« Kannst du mir was erzählen? » (est-ce que tu peux me raconter quelque chose ?)

L’homme jette un coup d’œil à l’enfant qui vient de lui poser la question. Blottie sous une couette violette, au milieu de milles peluches et d’un patronus en forme d’hermine, il y a sa fille. Sa princesse. Son rayon de soleil et l’amour de sa vie. Comment lui résister ? Impossible. Alors d’un coup de baguette, il éteint la lumière, enclenche la veilleuse qui illumine la pièce d’une douce lueur orangée et s’assied au bord du lit. « Ja, natürlich mein Schatz. » (oui, bien sûr mon trésor).

Aloysius Johann Wilhelm Von Sachsenheim a beaucoup de chose à raconter. Il pourrait commencer, comme tout le monde sur cette Terre, par sa naissance, ce jour où lui, l’héritier de cette noble famille allemande a vu le jour. Petite tête blonde protégée par sa mère et éduquée avec soin par son père, il a vite acquis les préceptes propres à sa famille. Rejoint quelques années plus tard par des jumeaux, Aloys est très proche d’eux. Bien qu’un peu jaloux de la complicité de ceux-ci, et malgré les disputes propres aux fratries, Orpheus et Eurydice constituent son monde.
Il pourrait continuer sur Poudlard, sur l’école de magie anglaise où il a fait sa scolarité et où il a excellé dans toutes les matières, mais il préfère que sa fille ait la surprise de cet endroit fabuleux le jour venu. Parler de son succès auprès des filles et de ses nombreuses conquêtes prendrait toute la nuit – et elle est encore un peu jeune pour ça. C’est à cette période qu’il est aussi devenu grand frère à nouveau. Ulrich et Lenore. S’il est moins proche des deux benjamins à cause de leur différence d’âge – il était à Poudlard tandis qu’eux grandissaient en Allemagne – il n’en reste pas moins très attaché à eux. Souvent couverts de cadeaux et d’attention quand il les voit, il tente d’être un modèle de grand frère parfait.

Il pourrait aussi lui conter sa rencontre avec sa mère, Arlene, alors qu’ils n’étaient que des adolescents. Il lui faudrait cependant enjoliver un peu l’histoire s’il souhaite faire rêver sa fille. Amis depuis plusieurs années déjà, il était plutôt satisfait lorsque ses parents lui ont annoncé ce mariage arrangé.  Les deux partis ont trouvé dans cette union un parfait compromis. Fiancés réciproquement à un allemand sang-pur (ou presque) pour le bien de la lignée, ils ont apprécié le fait d’être amis avant tout. Arlene savait par conséquent à quoi s’en tenir concernant son volage de mari et ne s’en est pas offusquée. Après tout, s’ils s’aiment de façon uniquement amicale et fraternelle, Aloysius ne changerait de femme pour rien au monde : c’est son alliée la plus fidèle, une amie très chère, elle est la mère de ses enfants et, ne l’oublions pas, elle est belle. Tous ne peuvent pas en dire autant de leur mariage arrangé.

S’ensuit son engagement auprès du Seigneur des Ténèbres, la marque, apposée sur son bras le jour de ses vingt-cinq ans. Il en est fier ; autant qu’il est fier de tout ce qu’il a accomplit chez les Mangemorts depuis qu’il les a rejoint. Il y a tout ces cadavres qu’il a laissé, tous ces sang-de-bourbes à qui il a prit la vie. Tous ceux qu’il a spoliés, subtilement, avec classe et bienséance, grâce à son travail au ministère. Il en est persuadé : le monde des sorciers se porte beaucoup mieux depuis. Mais il ne parlera pas de ça à sa fille ce soir – il laisse l’honneur à Tante Lenore de raconter les histoires de torture-sur-moldus.

Aloysius parlerait aussi des heures durant de ses voyages aux quatre coins de la planète qu’il a fait dans le cadre de son travail dans les relations internationales au Ministère. Les paysages magnifiques qu’il a découverts à l’occasion d’une discussion importante avec des sorciers hauts placés en Inde. Des spécialités culinaires qu’il a testées lors d’un repas avec un diplomate sorcier mexicain. Des monuments, prouesses d’architecture sorcière, qu’il a visité en se baladant dans les rues sorcières des grandes capitales. De ce travail, si riche sur le plan humain, qui l’amène à fréquenter de hauts dignitaires et à doucement tisser sa toile.


L’allemand pose ses yeux sur Iris, qui attend bien sagement son histoire. Attendri, Aloysius, glisse sa main vers son visage et remet quelques mèches blondes derrière son oreille. Elles semblent presque rousses, à la lumière orangée de la veilleuse. Sa petite fille, si jolie avec ses grands yeux bleus, son visage parfait et sa peau douce. Elle ressemble chaque jour un peu plus à une Von Sachsenheim. Une vague de nostalgie le submerge : en voyant sa princesse, il revoit sa sœur il y si longtemps. Les mêmes mimiques que quand ils étaient petits. La même bouille. Le même sang. Son cœur se sert. Il pourrait – il voudrait – lui parler d’Eurydice, sa tante qu’elle n’aura que trop peu connue. Il a des tonnes d’anecdotes concernant sa petite sœur, il serait capable de lui prouver, moult exemples à l’appui, à quel point c’était une personne fantastique. Mais il n’y arrive pas ; les mots restent coincés dans sa gorge et les larmes au bord de ses yeux. La blessure est trop fraîche, elle n’est pas encore guérie. Il n’est même pas sûr qu’elle le sera un jour.

Il revoit avec horreur et tristesse ce soir d’aout 1979. Il avait prit part à l’attaque, lui aussi, aux côtés des Mangemorts, aux côtés de sa famille. Le plan était rodé, tout était prévu. Cette attaque devait se passer comme toutes les autres, sans encombre. Sauf que. En apercevant le corps sans vie de sa sœur au milieu du carnage, son monde s’était arrêté. Il avait d’abord refusé l’indéniable. Evanouie. Voilà ce qu’elle était. Il ne pouvait pas en être autrement. C’était sa sœur après tout, elle ne pouvait pas mourir. Seuls les sang-de-bourbes périssent dans cette guerre ; pas sa famille. Mais elle gisait là, poupée encore chaude dont le cœur ne bat plus. Il n’a rien pu faire, tous les sorts étaient vains. Son cœur ne battait plus : il ne pouvait plus ignorer la terrible vérité. Morte. Tout avait basculé, tout s’était effondré. C’était sa sœur, sa responsabilité. Il s’en voulait de s’être éloigné. Oh, comme il s’en voulait ! Il aurait dû l’avoir à l’œil, surveiller ses arrières, il aurait dû être là pour voir le coupable, pour lui faire payer au centuple, il aurait dû… Il hait Belize de toute son âme.

Voir la peine d’Orpheus avait été encore plus éprouvant. Il perdait une jumelle, il perdait sa moitié. La tristesse infinie de son frère n’avait fait qu’accroître son sentiment d’impuissance, de responsabilité, et sa soif de vengeance.

Tout ce qu’il lui reste désormais, c’est cette photo, qu’il a toujours avec lui. Celle peu après la naissance d’Iris, celle où Orpheus avait daigné faire acte de présence, celle où la famille est réunie au grand complet, pour la dernière fois. Tout ce qu’il lui reste, c’est cette photo et le poids des remords.

Aloysius pourrait sinon expliquer à sa fille ce sentiment de culpabilité intense, celui de n’avoir rien pu faire et celui de n’avoir pas profité correctement de sa sœur avant qu’elle ne parte. Il ne compte pas reproduire la même erreur une seconde fois. Il veut voir sa famille, il veut partager des choses au quotidien avec eux, il n’a pas envie d’avoir d’autres regrets. Alors il se démène pour passer le plus de temps avec eux. Grâce à son travail au Ministère, il a aussi l'opportunité d'intervenir ponctuellement à Poudlard dans le cours de relation internationale afin de faire part de son expérience. C'est très occasionnel (trop à son goût d'ailleurs), mais c'est toujours l'occasion, le temps d'une demi-journée, de redécouvrir avec joie le château dans lequel sont cristallisés tant de ses bons souvenirs de jeunesse. Et puis il y a Cythère. Il revoit Eurydice en elle ; elle lui ressemble tant. Et il ne compte pas revoir la même scène encore une fois, pas question. Alors de loin, depuis le Ministère, il veille. Il prend ses responsabilités d’aîné et s’assure que tous soient heureux. Enfin, il essaye.


Mais il y a une chose que ce père souhaite par dessus tout raconter à sa fille ce soir. « Tu sais quels étaient les deux plus beaux jours de ma vie ? » Iris lève des yeux brillants d’excitation. « Non. Raconte ! » Il lui parle de la naissance de Benedikt, il y a déjà huit ans de ça. De ce premier fils dont lui et Arlene sont si fiers. Puis de sa naissance, à elle. Il lui décrit ses petits pieds fripés et ses joues roses, il lui exprime le bonheur intense de tenir sa petite fille si frêle dans ses bras si forts. Il ajoute avec un rire l’air sérieux et stressé de Benedikt à chaque fois qu’il prenait sa petite sœur dans ses bras.

Et il termine avec un baiser sur le front de sa fille endormie. « Gute Nacht, meine Liebe. »