I. ÉGYPTE 1971 - 8 ANS. Un soupir se glisse entre ses lèvres, tordant ses doigts d’un air angoissé. Son regard se plante dans le paysage qui défile devant ses yeux, ne ressentant plus cette admiration pour les couleurs qui ornent le pays chaud. Assise au fond de son siège, c’est une humeur peu commune qui s’installe sur son visage. Ses longs cheveux bruns cachent ses joues, puis une fine partie de son visage, mais cet air de dégoût ne disparait pas pour autant. Elle ne veut pas quitter ses parents. Pas maintenant. Comme tout enfant, la jeune fille a besoin d’eux pour l’accompagner dans son adolescence, besoin de les sentir près d’elle, peu importe comment. Son regard se baisse, tout en gardant un silence d’or. Les lèvres pincées et les yeux plissés à moitié, c’est un minois boudeur qui vient prendre place. « Sofia, ne fais pas la tête, » demande sa mère d’une façon aussi douce que gentille. Une dame pour qui elle garde un ravissement. Une dame qui a su faire preuve de courage en ayant quitté son ancienne famille, les Shacklebolt. « Tout se passera bien et tu manques à ton grand-père. » L’enfant n’est pas plus convaincu que ça, campant sur sa position, mais il s’oblige à répondre d’un hochement de tête. Croisant ses bras pour passer les mains sur ses coudes, elle porte alors son attention sur deux œufs soigneusement disposés sur le siège passager à sa gauche. Leur coquille est habillée d’écailles éclatantes au soleil. Une taille différente pour chacun d’eux. Un contraste de couleur dissemblable. Un nom qui diffère chacun leur espèce. Le tout, enroulé à moitié dans une légère couverture. Son père, plus jeune, s’était tourné vers l’élevage des dragons, tandis que ses deux frères prirent une orientation différente. Une passion s’est éveillée depuis et il ne vit que pour ça. Que pour eux, pour ces animaux incontrôlables et fascinants à la foi. Sofia a fini par prendre goût aux activités de ses parents. Ces créatures sont devenues des animaux de compagnie pour elle, bien qu’elle leur en veuille de devoir faire voyager ses géniteurs dans différents continents et pays pour participer à l’évolution des espèces. En réalité, ça a toujours été comme ça. Même avant sa naissance et ne pouvant pas prendre à chaque fois la charge d’un jeune enfant sous les bras, ils ont décidé de l’envoyer loger et son grand-père du côté paternel et profiter des grandes vacances aux côtés de ses cousins et cousines. Relevant ses yeux vers la mâchoire de l’homme, elle lâche ses premières et, certainement, ses dernières paroles du voyage. « Où allez-vous après ? » Dotée d’une grande curiosité, elle ne peut s’empêcher de vouloir en savoir plus. Faisant référence aux dragons, elle montre en pointant ces derniers du menton. « À Londres pour quelques temps. Mais on prendra des nouvelles de toi, on te le promet, » répond-t-il en gardant sa concentration sur la route. Levant les yeux au ciel, elle les repose ensuite à l’extérieur. C’est un nouveau départ, une nouvelle vie qui s’offre à elle, mais elle ne sent pas le courage de l’affronter, du moins pas encore.

II. ÉGYPTE 1973 - 10 ANS. Différente. C’est à partir de là, à partir de cet âge, qu’elle se sent comme l’inverse du reste du monde qui l’entoure. Elle se sent comme fragile au milieu de la foule sauvage, perdue dans cette forêt sans fin, seule dans une mer agitée. Les pieds balançant sous la table, elle bloque ses mains entre ses genoux et tente de mettre sa tête entre ses épaules. Les cheveux en bataille en laissant échapper quelques nœuds par-ci, par-là, Sofia attend le moment venu pour prendre ses médicaments. Un moment de la journée qu’elle n’apprécie pas tant, mais elle se sent dans l’obligation de les avaler pour ne pas décevoir son grand-père ou encore ses parents malgré leur absence. Les yeux égarés dans le vide, elle sent le souffle chaud de Mereen, le chien du manoir, sur ses mollets. La jeune fille se souvient encore des paroles des médicomages, de leurs conseils et leur avis sur son cas. Sur sa bipolarité, en réalité. Une particularité survenue du jour au lendemain, faisant d’elle une personne vaguement incontrôlable selon les temps qui courent. Ils ont dit qu’elle allait guérir suite à son traitement. Ils ont dit qu’elle allait être un peu mieux en forme suite à ça. Mais elle n’a jamais été convaincue par ces dires. On détermine la brune comme une enfant curieuse et audacieuse sur tous les points, mais la vérité est qu’elle ne l’a jamais été à ce sujet. Les poumons gonflés, elle délaisse un soupir brisé le silence de la grande pièce avant de voir le vieillard arriver. « Tu sais ce qu’il te reste à faire, » siffle-t-il entre ses dents, prenant place sur la chaise en face d’elle. Une mine boudeuse s’impose sur son visage, ce dernier légèrement froncé. Elle n’a pas envie de les prendre, de s’en gaver jusqu’à ressentir de la fatigue. « Sofia, tu sais très bien que c’est pour ton bien. » L’égyptienne hoche la tête négativement. Insistant sur le fait que sa petite fille doit les prendre, l’homme se met à séparer les doses. « Je n’ai pas envie de les prendre... » Sur ses dessins, elle s’est souvent représentée comme une enfant presque normale, sans respecter les obligations médicales et jouer à l’extérieur avec des amis. Ça a toujours été dans sa nature de se voir différemment, de se voir étrange à côté des autres. « Tu n’as pas vraiment le choix et moi non plus. » Il y a toujours le choix. Sans mauvaise attention, il fait glisser jusqu’à elle les deux pilules sur la table, avant qu’elles ne soient repoussées par l’enfant, répondant à nouveau d’un mouvement de tête. « Je n’en veux pas, » lâche-t-elle en haussant la voix un peu plus que d’habitude. La mâchoire serrée, elle ne se rend pas tout de suite compte que son verre venait de se briser, valsant sur le même rythme que ses paroles. Des morceaux s’éparpillent un peu partout sur la table, avant que Sofia ne ressente qu’une gêne et un malaise presque indescriptible. « Je veux pas de ça chez moi, jeune fille. » « Mais... » Ses yeux s’abaissent, tandis que son grand-père ne peut s’empêcher de relever son menton en gardant une œillade prévenante sur la brune. Elle n’a pas compris qu’il s’agissait d’une mince partie du don qu’ont certains sorciers durant leur enfance. Ils appellent ça les premiers signes de la magie, et l’homme sait. « Même si tu deviendras une grande sorcière, ça ne te donne aucun droit sous mon toit. » Un clin d’œil s’évade, puis un sourire et des étoiles apparaissent dans les yeux de la Shafiq.

III. LONDRES 1975 - 12 ANS. Allongée sur le lit de sa nouvelle chambre, elle contemple les aiguilles de la pendule en suivant le rythme de ses pieds. Sa langue claque contre son palais, en consonance avec les cliquetis qui s’échappent toutes les secondes. Elle en a souvent rêvé de manière éphémère. Elle s’est déjà imaginée vivre dans cette ville, là, sous les lumières nocturnes et les rires joyeux des habitants. Sofia a toujours eu cette habitude de percevoir les choses bien plus extraordinaires qu’elles ne le sont déjà. Londres, une nouvelle ville, une nouvelle famille, une nouvelle vie. Bien que ses terres natales et la chaleur de son pays lui manque, l’Égyptienne a fini par rejoindre la petite famille de son oncle, frère de son père. Et, même si elle en garde en léger pincement au cœur, Sofia ne regrette pas ce choix. Elle a aussi beaucoup à apprendre ici. En réalité, elle a compris que c’était une sorte d’opportunité pour elle. Se redressant sur son lit, elle passe une main dans ses cheveux pour remettre en place une mèche derrière son oreille. Le moment est venu. Il est venu, il est temps de leur dire au revoir et supporter leur absence durant neuf mois. « Boude pas Sofia ! On reviendra. » Le sourire sur le visage, Mosi, l’ainé de la fratrie, garde le dernier mot pour la faire rêver un peu plus. Poudlard est le nom de l’école ou il ira, suivit de Zahra et Balkis, ses cousines. Un château qui semble cacher énormément de secret, outre celui de former les plus grands sorciers de l’Angleterre. Ne laissant pas paraître son malaise, elle se jette dans les bras de chacun, tour à tour. Alors qu’ils apprendront toutes sortes de choses sur la magie, la brune prêtera main forte à son oncle pour la création des balais. Sa particularité l’empêche de pouvoir abreuver son savoir, du moins, c’est ce qu’avaient dit les médicomages durant sa précédente visite. Elle ignore pour combien de temps encore, mais elle a hâte. Hâte de pouvoir manier une baguette, hâte d’entrer dans le cercle scolaire, faire des connaissances, côtoyer de véritables professeurs, même si elle apprécie les cours à domiciles donné par son oncle, sa tante ou encore son grand-père lorsqu’il est de passage. Faible, c’est le mot qu’ils lui ont donné pour décrire son image, sa mentalité. Ce sont les médecins qui ont décidé de faire ainsi, sans penser au confort de l’enfant. Mais peu importe, Sofia garde l’ambition d’y aller, un jour, à son tour là-bas. Un jour, la jeune fille fera elle aussi sa valise et partira neuf mois en Écosse. Un jour, elle ira à Poudlard.

IV. LONDRES 1977 - 14 ANS. « Wingardium Leviosa. » Sofia ne compte plus le nombre de fois où elle a cité cette formule. Elle ne prête plus attention non plus aux minutes qui s’écoulent entre ses doigts. Répétant encore et encore, le bout du parchemin se décide à rester immobile. L’extrémité de la baguette pointée sur le papier, l’autre est fermement serrée dans la main de la jeune fille. « Sois plus fluide dans ton geste, » déclare le grand-père, aujourd’hui un peu plus présent que ces deux dernières années suite à son déménagement à Londres. C’est une grande aide pour elle. Bien que ce ne soit pas ce qu’elle a toujours souhaité, elle a maintenant la chance de découvrir la magie sous tous ses angles. Sofia se mordille la lèvre inférieure, plissant vaguement des yeux. Le souffle court, elle insiste pour la énième fois sur le sort. « Wingardium Leviosa, » siffle-t-elle entre ses dents, mais le parchemin ne frétille même pas. Serrant les dents, elle eut un moment de vide, comme si elle ressent ce besoin de se remettre en question. La concentration s’échappe et sa bonne humeur avec. « J’y arriverais pas. » Un soupire s’échappe de ses lèvres, tandis qu’elle dépose d’un mouvement ferme sa baguette sur la table. Elle n’aime pas ne pas réussir, mais, en plus de ça, elle se sent misérable à ne pas réussir une chose qui paraît pourtant si simple. Mosi et ses cousines y arrivent, pourquoi pas elle. « Réessaye. » Ses mots ne sonnent pas comme une proposition, mais plus comme un ordre proprement dit. Son grand-père a toujours été comme ça, avec ses petits-enfants comme avec ses enfants. Sa voix porte et ses paroles résonnent dans la pièce. Sofia n’a pas le choix. Tant qu’elle ne réussira pas à effectuer le sort, elle ne pourra pas sortir de table pour continuer à dessiner les nombreux traits sur les pages d’un livre. Impuissante, elle dévisage le vieil homme avant de s’emparer une nouvelle fois du bâton. Presque culpabilisée, elle se racle la gorge. « Wingardium Leviosa ! » Son bras accompagne la baguette dans sa gesticulation, comme si les deux ne font qu’un. Ses mots glissent le long de sa bouche, doux et calmes. Presque après une petite heure de persévérance, le morceau de papier se met gentiment à léviter au-dessus de la table, s’envolant un peu plus haut dans les airs et se pose un peu plus loin. Gagnante, Sofia laisse un large sourire s’évader sur son visage. « Tu vois quand tu peux ! N’abandonne pas rapidement, sois toujours gagnante. » Elle répond d’un hochement de tête, silencieuse. Dans la lancée de cette satisfaction, elle ne peut s’empêcher d’écrire une lettre à Mosi pour lui raconter son exploit.

V. LONDRES 1979 - 16 ANS. Une année qu’elle n’est pas prête d’oublier. Pas prochainement. Elle ne peut oublier à quel point elle a été riche en émotion, surtout pour elle. Des symptômes de la bipolarité presque soignés, Sofia se sent peu à peu revivre. La culpabilité d’être différente des autres s’est envolée, même si elle en garde une légère crainte. Ses dessins rayonnent, son sourire est plus présent. Telle une chenille, le papillon a pris sa nouvelle forme et bas des ailes pour la première fois. Malgré les ondes positives, Sofia reste une personne fragile et encore un peu naïve pour ressentir la bravoure du lion brûler en elle. Les mains autour du manche à balais, ses pieds quittent petit à petit la terre ferme sous les grands yeux de son cousin. Depuis peu, Sofia s’est abandonnée à l’activité du vol sur balais donnée par l’ainé de la fratrie. Pendant de longues années, elle a aidé son oncle à en créer et en réparer, jusqu’au jour où, à son tour, elle a voulu apprendre à voler, gardant une adoration pour le sport qu’est le Quidditch. « Redresse-toi un peu et regarde toujours droit devant toi, » conseille l’Égyptien. Elle répond d’un hochement de tête, même si elle avait fini par noter ce qu’il fallait faire ou non durant un match. Le temps d’une seconde, Sofia n’a jamais réellement pensé à intégrer une équipe. Elle n’est peut-être pas la personne la plus courageuse et la plus sereine, tout en s’en rendant compte. Mais la passion est belle et bien présente. Une passion qui ne fait que débuter depuis presque cinq années. « Mosi, je sais ce qu’il faut faire tu sais, » elle lui adresse un sourire, prête à voler un peu plus haut. « Allez viens avant qu’il se mette à pleuvoir ! » Sans attendre un mot de plus de la part du garçon qu’elle a fini par considérer comme son grand-frère, Sofia se lève un peu plus dans les airs, tout en essayant de rester cachée des regards d’autrui.

VI. ÉCOSSE 1981 - 18 ANS. « Bonjour... » balbutie-t-elle en croisant les autres élèves et professeurs dans les couloirs. « Parle un peu plus fort Sofia ! » s'exclame son patronus, perché sur une de ses épaules. Le courage n’est pas son point fort. Il ne l’a jamais été, d’ailleurs. La jeune sorcière est encore intimidée par les grands élèves, par ceux qui sont passés par les cursus primaires. Ils ont l’air chez eux, dans leur propre monde. Quelque chose que Sofia ne ressent pas encore et ce détail se fait bien sentir à l’égard des autres. « J'essaye, tu sais. » Nephtys n’est pas méchant. En réalité, il ne veut que le bien de sa sorcière bien aimée. Il souhaite la voir intégrée comme une élève lambda, même malgré sa bipolarité qui est facilement remarqué à certains moments. Pourtant, Sofia essaie de se contenir, de se contrôler. Ce n’est pas facile de se coucher heureuse et se lever d’un seul bond, aigrie pour le reste de la journée, sans pour autant être la plus méchante de l’école. À ses yeux, elle s’estime assez courageuse pour pouvoir se reprendre mentalement, même si cela peut s’étaler sur plusieurs heures.
Aujourd'hui, Sofia n’est plus vraiment la même petite fille qu’autrefois. En réalité, elle ne se souvient pas complètement comment elle était. Sa mémoire se dégrade un peu plus chaque jour, même si elle essaie de faire en sorte que ce ne soit plus le cas. Elle ne se souvient pas avoir été un peu plus trapu physiquement dans le passé. Elle ne se souvient plus de ces années passées en Égypte et à Londres. Tout est flou. La seule chose dont elle se souvient parfaitement, c’est de la relation qu’elle entretient avec son cousin et ses cousines. De temps à autre, il n’est pas rare de les voir ensemble dans les environs ou à l’intérieur de l’école. Leur relation est fusionnelle, après tout.
Malgré ce handicap, elle tente de travailler le mieux qu’elle peut durant les cours, même si ce n’est pas toujours facile. Il est fréquent de savoir que Sofia se sent inférieure aux autres. Il est fréquent qu’elle se sente différente. Il est fréquent qu’il lui arrive de mauvaises bricoles à cause de ses pensées lunatiques. Ses camarades de classe restent distants, la trouvant étrange. Ce n’est pas la jeune fille tant aimé, mais au fond elle s’en sort plutôt bien. Sofia ne leur en veut pas, on ne peut apprécier tout le monde après tout. Ce qui revient le plus souvent, c’est la fameuse question. Une question qui n’est pas si stupide que ça. Que fait une adolescente rencontrant des problèmes de bipolarité étudiant la médecine magique ? Sofia n’est pas pour autant stupide. Elle ne l’a jamais été. Enfant, c’était une gamine bien intelligente et elle conserve cette intelligence avec peine, mais elle y arrive. Elle n’est pas folle, même si elle commence peu à peu à y croire à cause des dires des autres. Il est simplement question de vouloir aider les autres d’une autre manière. Un jour, elle prouvera que tout est possible. Un jour, elle ira travailler de bon matin, aimant un métier dont elle vise le sommet. Et ce, grâce à Poudlard. Grâce à cette école de magie dont elle est quand même très ravie et heureuse d’y être entré. Poudlard est son nouvel ami, en soi.