BELLUM PATRONUM
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Version 34
Nouveau tournant, nouvelle version installée ainsi que les nouveautés qui vont avec ! Vous pouvez la commenter ici.
Groupes fermés
Les sang-purs étrangers sont fermés. Redirigez-vous vers les familles de la saga ou des membres.
équilibre des groupes
Nous manquons d'étudiants, de membres des partis politiques Phénix et Gardiens. Nous manquons également de Mangemorts.
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| and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan) | | | and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:20 ( #) | Eachan Finnlay Reid ft. lee pace né-moldu quarante ans célibataire bisexuel ancien auror, à présent fugitif murène ruban neutre, à tendances pro-ordre depuis quelques mois angel dust (av) | |
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] À propos Nom: Reid Prénom: Eachan (Finnlay). Selon les zones géographiques, on prononce son prénom /i:kən/, /eikin/ ou bien /i:ʧən/ Âge et Date de Naissance: quarante ans, né le 30 mars 1943 à Inverness en Ecosse Nature du sang: né-moldu Situation familiale: Eachan est fils unique. Il a très peu connu son père, mort de ses blessures infligées lors de la Seconde Guerre Mondiale. Sa mère, quant à elle, vit encore en Ecosse mais il ne l'a pas vue depuis des années Miroir du Rised: un paysage écossais non occupé par la vie humaine, lui procurant une sensation de plénitude qui réconcilierait en lui son âme d'Homme et son esprit animal. Epouvantard: un squat d'héroïnomanes, un camé lui tendant un fix, une intraveineuse fatale. Composition de la baguette magique: il s'est séparé d'une première baguette composé de bois d'aubépine et d'une ventricule de cœur de dragon au début des années soixante-dix. Sa seconde baguette, qu'il utilise aujourd'hui, a gardé le même cœur mais le bois est à présent celui d'un ébène, arbre auquel Eachan s'identifie beaucoup depuis. Emploi: Ancien auror, il a perdu sa fonction il y a plus d'une dizaine d'années suite à sa disparition. L'Ordre a mis la main sur lui en 1981 et il est donc entré dans le personnel de Poudlard durant un an pour protéger les élèves et le château des menaces extérieures. A la fin de l'été 1982, l'animosité envers les nés-moldus est telle qu'il décide de fuir, mais il aide la résistance lorsqu'il le peut. Cependant, il reste très solitaire, ce pourquoi il n'a pas décidé de s'établir à Godric's Hollow. Le plus souvent, il suit de loin d'autres fugitifs et va à leur rencontre lorsqu'il estime que c'est nécessaire Animal de compagnie: aucun | [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Caractère L'une des premières choses qu'il faut savoir si l'on décide d'aborder un homme comme Eachan, c'est qu'il ne vous aimera probablement pas. Cela ne doit pas être pris personnellement, c'est sûrement l'un des traits qui marque le mieux son égoïsme car il a décidé un jour de se lancer dans une vengeance perpétuelle envers le monde entier. Il vit pour et dans le ressentiment. Il est vulgaire, cassant, railleur, susceptible, sarcastique, irascible et glacial. Ces adjectifs ne sont pas là pour lui donner des airs d'antihéros car force est de constater qu'il n'a rien d'un personnage principal. Il est, au mieux, un secondaire et n'a jamais aimé être sous les feux des projecteurs. Cependant, la nature de son sang a immédiatement fait de lui l'objet d'une attention toute particulière et il a été victime de moqueries et de jugements durant toute son existence, ravalant encore aujourd'hui sa fierté pour ne pas s'en prendre à ceux qui le confrontent à son statut car cela fait des années qu'il a compris que cela est inutile. Il s'est fait à l'idée que chaque nouvelle insulte le rend d'autant plus digne d'être un sorcier. Néanmoins, il conserve depuis sa jeunesse une aversion pour les Sang-purs, reflétant cet orgueil que ces derniers arborent perpétuellement comme une armure à l'intérieur de laquelle il peut souffrir en silence. Eachan est un lâche, le personnage de l'histoire que vous ne voudrez pas aimer car il a fait ressortir ce qu'il a de pire en lui-même afin de badigeonner le sol qu'il foulait du mal qu'il a vomi durant des années ne supportant pas la douleur que cela lui infligeait s'il gardait tout, caché à l'intérieur. Il déçoit ses proches et crache sur l'aide que l'on veut lui apporter afin de mieux pouvoir en vouloir aux autres lorsqu'il se sent abandonné. Il est ainsi et on pourra difficilement le changer. Après tout, il est comme un vieil oncle : on l'a toujours connu ainsi. Eachan a une devise personnelle : on est animal avant tout mais humain après tout. Voilà pourquoi il s'est engagé à survivre toutes ces années et pourquoi, finalement, on trouve du positif en lui. Animagus confirmé depuis 1967, il préfère sa forme animale à sa forme humaine après avoir passé neuf ans dans le corps d'un renard roux. Par souci de confort, il va encore aujourd'hui se changer en animal pour effectuer des tâches simples comme manger, boire, dormir, se déplacer ou uriner car il trouve son enveloppe charnelle humaine trop encombrante, trop grande, trop maladroite. En 1981, lorsqu'il revient à la civilisation, il ne sait plus parler correctement et doit suivre des cours primaires afin, d'une part, de savoir de nouveau vivre en société, et d'autre part, de pouvoir lancer des sortilèges en sa qualité d'Auror. Il considère que chaque être humain est doté d'une partie animale en lui et que c'est celle-ci, et non pas les complexes philosophies sur la beauté de l'existence, qui garde l'individu en vie aussi longtemps que possible car il s'agit d'un instinct de survie que l'Homme, lorsqu'il était encore animal, a développé. On fuit devant le danger et on recule au bord de la falaise. Le courage est un acte intéressé car on veut être pleuré si l'on vient à mourir. Les suicidés sont des divas, les belliqueux des prédateurs. Lui qui a subi les médisances de ses pairs pendant si longtemps car il n'avait pas le bon sang dans ses veines voit amèrement se dessiner dans la société humaine tous les détails du règne animal, où chacun veut être le lion perché sur son promontoire au milieu de la savane. Malgré tout, il reconnaît la puissante différence qui sépare les Hommes des animaux car il sait ce que c'est que de retourner à l'état sauvage. Les codes sont différents et, tout comme l'instinct de survie animal l'a forcé à fuir face à une mort certaine, c'est le besoin de mourir accompagné, d'être enterré et non pas oublié qui l'a fait revenir. Eachan se sent fragmenté car rejeté par les communautés dans lesquelles il cherche désespérément à trouver sa place : en recevant sa lettre pour Poudlard, il a vécu un premier déchirement car il devait quitter sa mère à jamais. Mais une partie des sorciers le considérera éternellement comme un paria, ce qui fait qu'il reste très solitaire dans le monde magique, ne comptant ses véritables amis que sur les doigts d'une main. En outre, la civilisation l'a fait disparaître lorsqu'il a dû prendre une autre identité pour pouvoir effectuer une mission d'espionnage au service du Ministère, et cette même civilisation n'est pas partie à sa recherche lorsqu'il s'est retrouvé en situation critique, ce qui l'a poussé à dépérir et plonger dans la drogue, vendre sa baguette magique pour payer quelques doses et finalement devoir retourner dans le monde moldu en croisant le chemin d'un dealer d'héroïne, une substance dont il éprouve un manque qu'il ne pourra jamais combler, bien qu'il soit sevré aujourd'hui. Enfin, la Nature ne l'a jamais totalement accepté en son sein lorsqu'il a passé ces longues années sous la forme d'un renard, puisque ses semblables ne l'ont pas reconnu comme tel : il était différent, il avait une odeur étrange, il ne savait pas chasser alors qu'il avait une taille adulte, il ne suivait pas le cycle des chaleurs ou celui des saisons, et malgré le temps passé en autarcie, malgré son accoutumance à la vie d'un renard lambda, jamais il ne rejoignit une meute car généralement, les autres animaux avaient peur de lui ou cherchaient à l'attaquer. De ces différents rejets, Eachan n'en a retenu qu'une seule leçon : il rejetterait les autres à son tour, et ce fermement. Mis à part cela, il s'agit d'un homme sérieux dans son discours mais désinvolte dans ses manières. Il n'a aucune pudeur, elle s'est égarée entre les arbres des forêts des Highlands mais il reconnaît qu'il faut écouter la loi et que la nudité peut gêner en public. Il est grossier et s'il avale de nombreux mots dans ses phrases, ce qui le rend extrêmement familier avec tout le monde (il n'a par exemple jamais compris le principe du vouvoiement lorsqu'il était en France), il ne les mâche absolument pas et dit ce qu'il pense avec une franchise parfois blessante. Il est carnivore par défaut, cela lui arrive encore de partir chasser des rongeurs dans la forêt pour se nourrir, mais il peut globalement tout avaler puisque son estomac s'est accommodé à la viande crue et aux petits os de ses proies. Selon lui, il n'aime pas les légumes, mais en réalité il cherche à se donner un genre. Il fume car il a voulu échanger sa mauvaise habitude d'héroïnomane pour une autre, mais ça aussi, c'est sûrement pour le style, au-delà du fait qu'il s'agit d'un lien social manifestement très efficace : quand tu fumes, tu parles avec ton pote qui fume. Il va depuis peu à des réunions moldues d'anciens addicts environ une fois par mois à Londres et sous couvert de Polynectar car il est recherché par les autorités. Autrement, il passe ses journées en cavale, gravitant autour du village des fugitifs et suivant parfois de loin les éclaireurs de Godric's Hollow, convenant qu'il aurait sa place dans la Résistance mais ne supportant pas l'idée d'être au milieu d'une nouvelle communauté qui, selon lui, suivrait le même schéma que les précédentes. | [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Patronus Le patronus d'Eachan est une murène ruban, une espèce d'anguille assez rare dont le nom fait référence notamment à la fluidité avec laquelle elle se déplace dans l'eau, l'apparentant ainsi aux courbes d'un ruban lors qu'il est secoué. Le sorcier n'a jamais vraiment voulu savoir pourquoi il s'agissait d'un tel animal, se contentant bien assez de la symbolique du renard, puisqu'il s'agit de sa forme d'Animagus. Comme la baguette qu'il a laissé derrière lui avant son exil, il a également changé de souvenir en cours de route. Ainsi, le premier souvenir auquel il faisait référence fut l'instant où il réussit pour la première fois à se changer complètement en animal, la joie qui l'enveloppa alors n'ayant pas d'équivalent. Mais son second souvenir, faisant partie d'une période bien plus sombre de son existence que le précédent, rendit son patronus bien plus fort et bien plus éclatant de blancheur, de pureté. En effet, pour réaliser le sort, il se remémore aujourd'hui une nuit lors de son exil où il retrouva sa maison d'enfance et le visage de sa mère dont il ne put se rappeler le nom, cependant cette dernière croisa ses yeux de renard et sut qu'il s'agissait de son fils si bien qu'elle lui laissa à manger sur le pas de sa porte d'entrée. La force de ce souvenir ainsi que sa complexité, quoique maquillée en la simplicité d'un amour familial, lui permit de réussir à lancer le sortilège même après son exil, au moment où il dût réapprendre à être un sorcier. Eachan part du principe que tout le monde est capable de réussir à produire un patronus, et notamment ceux dont l'existence a rencontré des obstacles qui paraissaient à l'époque infranchissables. En effet, pour lui, un souvenir heureux au milieu du chaos sera même plus puissant qu'un souvenir heureux faisant partie d'une vie heureuse, tout comme les étoiles brillent de plus bel lorsque le ciel est noir. |
Pseudo et âge: constantine/elsa, 21 ans Où as-tu trouvé le forum ? jsp, gt ivre Personnage: inventé As-tu un autre compte sur BP ? ouiii, ophelia selwyn Présence: idk mais je peux vous donner une fourchette #référence Une remarque ? loulou, la cosse ne se mange pas (sinon les autres, du love ET SURTOUT DES BOULES /me fout tout en l'air et part au bubble tea ) |
Dernière édition par Eachan Reid le Sam 10 Juin - 12:44, édité 4 fois |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:20 ( #) | [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
(part one ; [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]) the only reason i ever did things right is to get out of this place, to be able to grasp the chances that would take me away. being good and taming the wild in me has never had a point but even less if i am trapped, it is when i'm a prisoner that i fight the hardest.and so don't be surprised if i let all moderation go if i can't walk out of these doors because the only way i'd survive is throwing myself out of the windows.
day one ; Je ne crois pas qu’à ton âge tu connaisses la rage du lion en cage. As-tu déjà entendu le crissement des os se brisant sous tes doigts ou simplement le chant de l’eau givrant face au froid ? Le goût du métal avant l’injection létale, triste fin parce qu’on reste sur sa faim, on dévore ceux que l’on traite de vautours parce qu’ils volent plus haut et jouent des tours. Mais même si j’attendais un trait fin et sagittal dans ma poitrine, je n’ai qu’un poids sur le cœur et un rire effacé, imaginé sur un visage émacié qu’aurait porté mon prédateur si j’avais fait partie de la chaîne alimentaire. Non, moi je fais partie du régime élémentaire, totalitaire, dans lequel tu dois te taire et plaire avec ton rictus frappé au fer brûlant sur les lèvres, bonus si tu te laisses faire en silence, malus si tu t’élances dans le vide pour échapper aux insectes qui rampent sous ta peau. Dommage, ils tombent avec toi, la secte ne te laisse jamais t’écraser sans contrôler ta chute pour effacer les traces de ton sang sur les pavés après ta mort. Un hommage sur ta tombe alors qu’ils t’ont injecté les mensonges dans les veines, qu’ils ont tenu la laisse que tu avais au crâne et que la crasse qui t’aveuglait se trouvaient sur leurs mains tavelées, couleur tumeur. Tu ne connais pas la colère, juste un écho en l’air que tu as entendu au fond de toi sans le comprendre, le prendre, parce que tu le méprends mais qu’il te pend au nez comme un condamné sur l’échafaud devant des cons damnés et des chafouins. Et quand tu comprendras que rire rime avec mourir alors tu écouteras attentivement le temps qui passe et qui n’attend pas à la recherche d’un bruissement incertain, peut-être le bonheur, pour lequel tu ne risquerais rien car tu être lâche. Je te dis ça parce que j’ai été lâche moi aussi. Et douleur rime avec douceur, avec doux cœurs, ceux qui se font rares en ces temps opprimés, ceux qui ont quitté le thorax des hommes pour suivre un autre axe, tôt un matin avant l’aurore, pour ne pas que les loups se réveillent avant eux, pour ne pas que l’horreur les prennent malgré eux. Alexandrins, poème, bohême, beau et même doux comme douze chœurs chantant les mois de ces années qui n’en finissent pas, le moi de chaque ego, le ça ça-et-là, le surmoi comme un mot sur une partition moite, un vieux livre de psychologie que personne n’a jamais compris car les riches ont une autre logique et les pauvres n’ont pas de logis. Je suis un animal et mon âme a mal. Je crois que la dernière fois que j’ai vu une femme aussi bonne que toi, c’était dans un magazine porno en 1971. Et tu veux pas savoir depuis quand j’ai pas baisé. Ou peut-être que je regardai l’ampoule. Le teint de sa peau avait le même ton que l’électricité. Blanc comme si elle vivait sous terre et que le soleil la rendait malade. Mais peut-être que la vie la faisait crever d’envie, et qu’elle crevait vraiment. On ne prenait pas les gens assez au sérieux, assez au pied de la lettre. On les prenait à bras le corps pour les empêcher d’avancer. Mes crocs se serrèrent et ma langue les balaya lentement à la recherche d’un vieux repas coincé dans l’émail. J’avais faim. Sauf qu’il n’y avait que ces silhouettes approximatives dans mon champ de vision qui s’amusaient des jeux de lumière comme pour annoncer la couleur de l’entretien. En sous-sol dans une chambre humide sans fenêtre, pas besoin de vos têtes d’enterrements pour savoir que ce n’était pas ma journée. Connards. « Quel est votre nom ? » Coup d’œil furtif vers la gauche : impossible de détailler le second individu. Il gardait son manteau de mystère tapis dans la pénombre, debout sur le plancher. Dédain. Mon dédain. Je me moquais de son opinion, elle était forgée dans son esprit rien qu’à voir le reflet de mon corps monstrueux dans ses prunelles sombres. « C’est le moment où je demande un avocat ? » Plissement des paupières indétectable, mais chaque bruit entrait dans mon oreille pour résonner dans mon crâne jusqu’à ce qu’il explose. La goutte d’eau du robinet mal fermé de l’appartement jouxtant celui-ci. Le loir qui faisait son chemin à travers les poutres du toit. La respiration soudain coupée de cette femme alors qu’elle entendait le son de ma voix. Elle était terrifiante et je le savais : c’était comme si on m’avait ouvert la gorge pour étendre mes cordes vocales au grand jour et que j’y frottais un archet fait de barbelés. Et la comparaison était légère, pourtant j’avais eu du temps et du silence pour y penser. « C’est le moment où vous répondez aux questions que l’on vous pose, M. Reid. » Ricanement sec. Etait-ce ce genre de phrases qui faisaient que les gens se sentaient importants ? Mon regard se posa sur les parchemins qu’elle tenait dans ses mains de porcelaine. Impossible d’y lire quoi que ce soit mais je devinai aisément qu’il s’agissait d’un dossier à mon sujet. Pourquoi le garderait-elle si proche de son cœur si ce n’était pour le cacher des pupilles aiguisées de l’intéressé ? Ne t’en fais pas princesse, je suis au courant de tout ce qui s’y trouve, le vrai comme le faux, le plus commun et le plus insensé. Je penchai légèrement la tête sans ciller. Tu ne me reconnais pas sur la photo, c’est ça ? J’avais changé de corps entre temps, voilà pourquoi. « Eachan Finnlay Reid, né le 30 mars 1943 à Inverness en Ecosse, fait sa scolarité à Poudlard dans la maison Gryffondor et suit un parcours d’offensive magique en troisième cycle après avoir obtenu des notes passables à ses examens de fin de second cycle. Il devient Auror à l’âge de vingt-quatre ans, en 1967. Il est d’abord chargé d’un travail de surveillance aux Etats-Unis avant d’être rapatrié six mois plus tard pour débuter une mission d’infiltration de la mafia magique française, mission qui n’a jamais officiellement pris fin. Craignant de briser la couverture de sa taupe et de risquer la vie d’un Auror, le Ministère de la Magie n’a pas agi pour extirper M. Reid du système, ce qui conduisit à la disparition de ce dernier pendant trois ans et demi. En 1972, une altercation dans une boîte de nuit pour Moldus alerte les autorités magiques : un homme d’une bonne trentaine d’années correspondant aux descriptions de M. Reid se serait transformé en renard dans la foule, faisant ainsi de nombreux témoins qu’il fallut retrouver afin d’effacer leur mémoire pour éviter des séquelles psychologiques inutiles. M. Reid est un Animagus connu du Ministère, sa forme est un renard roux européen et il est à ce jour officiellement en pleine capacité de transformation. Après l’incident de 1972, il disparait de nouveau, cette fois sans laisser de trace. » Ils se croyaient poétiques et télégraphiques mais leur stature était aussi fragile que leur ossature. Le chemin qui nous séparait était si court, étais-je pourtant le seul à le voir ? « Vous êtes bien Eachan Reid ? » Haussement d’épaules et mépris. Si Eachan Reid avait vécu toutes ces choses telles qu’elles venaient d’être décrites alors non, je n’étais pas Eachan Reid. Et si je leur racontais ce qui s’était véritablement passé et pourquoi personne n’avait retrouvé Eachan Reid, c’était que je n’étais plus Eachan Reid, que cet homme avait existé un jour mais qu’il s’était perdu et que lui seul aurait pu se retrouver. Je parlais en métaphore mais ils se sentaient importants et intelligents, ces gens-là. N’oubliez pas que vous n’êtes rien dans l’univers. Pourtant je restai silencieux, à nouveau, et pas par crainte de lui faire peur avec ma voix d’outre-tombe, mais bien pour me délecter de la morgue qui suintait de leur visage enfin apparent à travers la pénombre. « On ne vous relâchera pas dans la nature avant d’avoir eu des réponses. Vous n’avez pas de baguette mais par mesure de sécurité, des sorts vous empêchent également de transplaner en-dehors de ces lieux. La question est simple : êtes-vous Eachan Reid ? » Grognements indéchiffrables. J’avais de toute façon du mal à détacher des mots distincts mais je n’y mettais aucune volonté. La voix bestiale et l’accent écossais se chargeaient du reste. Je me redressai sur mon siège et affrontai leur regard luisant en accompagnant mon mouvement d’un soupir agacé. « J’parlerai pas avec des connards du Ministère. Foutez-moi à Azkaban, j’préfère et vous pourrez retourner chez vous sereins. » J’embrassai les détraqueurs avec plaisir, ils n’avaient rien à aspirer de ma carcasse. C’est moi qui allais sucer leur bouche immonde à la recherche du moindre cauchemar, le mordre à pleines dents pour leur prouver que je ne ressentais déjà que le froid et la détresse. Quelle joie voulaient-ils retirer à l’animal sans âme ? « Donc vous confirmez que vous êtes bien Eachan Reid ? » Je serrai le poing et frappai la table aussi fort que je le pus. Le fracas fit vibrer mon crâne mais je gardai mes yeux rivés sur la femme. « Mais va te faire avec tes questions à la con. Ouais c’est le nom inscrit sur mon putain de passeport, bon courage pour le retrouver maintenant. Sauf que j’adhère pas à toutes les conneries que vous racontez sur ma vie donc non, vous devez vous tromper d’Eachan Reid. Ya plus d’écossais que vous pensez sur cette foutue planète. » Ils restèrent de marbre, peut-être surpris de me voir capable d’aligner une aussi longue phrase sans crier à l’agonie. Mais au-delà de l’agonie à laquelle j’avais hurlé jusqu’à cracher mon cœur sur les pavés des ghettos, c’était surtout l’ironie qui marbrait mes mots qui captait leur attention. Je prenais ça au second degré. « Monsieur Reid, vous ne comprenez pas. » Je me penchai en avant, posant grossièrement mes coudes sur la table et les scrutant en souriant calmement. « Alors explique-moi ce que je dois comprendre, princesse. » Mes paupières se fermèrent une fraction de seconde et mes iris s’accrochèrent lascivement à ses pommettes pâles et immaculées. L’homme s’interposa immédiatement, s’avançant vers moi en fronçant ses sourcils, sa barbe soignée frissonnant d’une soudaine colère, comme s’il venait de comprendre que j’étais juste un déchet de plus dont il ne savait pas se débarrasser. Va te coucher mon gars, je vais pas me décomposer en une nuit. Mais il n’aimait pas le sous-entendu qui perlait à mes cils, seul éclat de lumière qui brillait encore sur mon visage. Ils pensaient vraiment que j’avais quarante ans ? Si moi-même je n’y croyais pas, était-ce vraiment la vérité ? Un rêve était-il un mensonge s’il ne se réalisait pas ? Combien de souhaits d’anniversaire mourraient chaque année dans l’océan des désillusions ? Va te faire avec tes questions, on est dans le concret. « Nous ne sommes pas affiliés au Ministère, monsieur Reid. Mais nous savons que vous l’avez été un jour et il nous est nécessaire d’en savoir plus compte-tenu de la situation actuelle. » Je fronçai mes sourcils à mon tour, adoptant un air plus sérieux. « D’en savoir plus sur … ? » Je leur mâchais les mots sans même avoir de dent valide plantée dans la mâchoire. Car l’échange devait être équitable malgré leur position de force. J’étais leur détenu, visiblement, mais je ne disais pas la même chose à tous mes geôliers à travers les barreaux de ma prison de mensonges et de vérités. J’écartai les bras, avec difficulté mais surtout cette fatalité à laquelle beaucoup allaient se retrouver confrontés s’ils s’étaient passé le mot pour me déterrer. « Ecoutez, vous me dites pas pour qui vous bossez, je raconte pas ma vie à des inconnus qui m’isolent dans une pièce sombre, faites pas les durs à cuire, ça vous va pas au teint. » Je m’humectai les lèvres et y constatai un goût de rouille. Effets secondaires des potions que j’avais dû prendre pendant deux mois pour pouvoir marcher de nouveau sur mes deux pieds. L’humour les laissait immobile comme les statues des cimetières. Au moins ces dernières avaient un aura sacré que mes deux comparses n’avaient pas le mérite de posséder. « Vous avez raison sur un truc : j’ai disparu entre 1972 et aujourd’hui. Sûr que vous savez mieux que moi combien d’années ça fait vu que j’oublie toujours en combien on est. Et croyez-moi, j’ai pas passé ces années à lire le journal tous les jours, assidu comme les putains d’excités avec lesquels j’ai travaillé quand j’avais vingt-cinq ans. C’est le principe de disparaître. On est plus là. » L’humour se muait facilement en sarcasme sur mon palais car c’était ce qui faisait réagir le plus vite mes interlocuteurs. Il était nécessaire qu’ils prennent conscience de leurs lacunes et que leur technique n’allait pas marcher. Je voulais bien être leur prisonnier mais ils jouaient alors à mes règles, car je ne pouvais m’appliquer aux leurs, et ce n’était pas faute de bonne volonté. Je n’étais pas comme les autres. Je ressemblais à peine aux images qu’ils voyaient sur leurs parchemins. Et si l’extérieur mentait, que pouvait inspirer ce qui se trouvait à l’intérieur ? Des fleurs ne pousseraient pas entre mes côtes lorsque j’allais mourir et je n’engraissais pas mon destin d’espoir car je ne croyais ni en l’un, ni en l’autre. Je me savais déjà condamné et mon corps me le prouvait chaque jour. Quelque chose se profile à l’horizon, Eachan. Je n’aime pas donner des conseils parce que les gens sont trop stupides pour les écouter, mais tu ne devrais faire confiance qu’à toi-même. Ce qu’il reste de moi, c’est ça que tu veux dire ? Et s’il ne reste rien de moi Levi, ma confiance a-t-elle droit à un lieu de repos éternel ? Ne te laisse jamais approcher par quiconque.. Leviathan m’avait dit ça avec un ton qui ne lui ressemblait pas : un sérieux concerné et sincère, quelque chose qu’il pensait et un conseil qu’il me donnait comme une relique car ils étaient bien trop rares de sa part pour qu’on les néglige, au milieu de tout le sarcasme qu’il vomissait sur les autres. Je m’efforçais alors de l’écouter, pourtant j’étais celui qui était intouchable. J’étais celui qui avait disparu. « Nous sommes affiliés à l’Ordre du Phénix. Nous avons besoin de connaître votre passé pour pouvoir savoir quel rôle vous jouez ou allez jouer à l’avenir. » J’ouvris en grand mes paumes moites et les frappai lentement l’une contre l’autre, feignant d’applaudir leur aveu. « Les bons élèves ! Les francs-maçons de notre société magique ! » Je me tournai vers l’homme, presque certain qu’il était celui qui parlait le moins. Je confondais sans cesse leurs voix. Mon ouïe fragile entendait les bruits parasites et il m’était nécessaire de distinguer le moindre son. Je n’avais plus temps de savoir qui me parlait vraiment. Deux individus aux mêmes opinions ne prononçaient qu’un seul discours à l’unisson. « Mon brave, éclaire ma lanterne. Quel rôle pourrais-je jouer dans cette histoire ? Tu t’attaques à un pion que ta reine a bouffé depuis le début de la partie, il est sur le bas-côté. » Nouveau haussement d’épaules. Ils ne me faisaient pas confiance. J’étais le premier à les comprendre puisque j’étais le premier à me trahir. « N’importe quel rôle. Peut-être aucun, mais dans ce cas il nous est aussi nécessaire de le savoir. Vous êtes de toute façon recherché par les autorités magiques, si vous ne coopérez pas, nous ne vous laisserons pas partir. » Un soupir se fit entendre. J’ignorais s’il venait de ma gorge ou de la leur. « Mais si vous n’avez rien à vous reprocher mise à part cette affaire de transformation en renard, ça se passera bien. » Le faible sourire de la femme me paraissait sincère. Mon rictus le fut tout autant, parfaitement froid et méchant. « Disparait pendant une dizaine d’années mais n’a rien à se reprocher. Je testais la vie en autarcie mais je suis revenu parce que le sexe me manquait. » Cela ne les fit pas rire. Peut-être qu’ils y croyaient vraiment et que la blague tombait à l’eau. « Nous avons besoin de vos souvenirs. Ils sont le seul moyen de pouvoir retracer la piste que vous avez suivi depuis votre mission en France. » La proposition brisa le silence qui s’était installé dans la salle et elle m’inspira le même dégoût que le cadavre d’un chat sur la route. Et j’avais parcouru de nombreuses routes. Et j’avais croisé bien des chats malchanceux, mal léchés, malfamés, malins et malheureux. Mais surtout des chats écrasés. « Vous vous foutez de moi ? » Leur absence de réaction et leurs yeux fixés sur moi m’indiquèrent bien vite que non. J’entrouvris les lèvres mais ne sus quoi leur dire. Qu’ils pouvaient aller se branler à côté plutôt que de vouloir violer mon cerveau. Que le fait que cette idée leur soit passée par la tête montrait bien qu’ils n’en étaient pas à leur premier interrogatoire, ni à leur dernier. Que l’Ordre avait changé depuis les fois où ils m’avaient tacitement montré la porte de sortie. Ou bien qu’ils ne les verraient pas car ils ne le savaient pas encore, mais ils regretteraient de voir ce qu’ils demandaient à voir. Lorsque l’on disparaissait pendant neuf ans, on avait des raisons qui ne prenaient pas la gloire et le courage en compte. « Entendez bien qu’on ne vous demandera que certains souvenirs de jours précis qui sont des évènements clé. Pas d’invasion de votre vie privée. » Je ricanai sombrement. « Allez crever. » Les secondes passèrent dans le mutisme le plus total. Puis ils se regardèrent, échangèrent un léger hochement de tête puis s’éloignèrent et sortirent de la pièce par une porte que je remarquai à cet instant seulement et dont les contours disparurent finalement tandis que mon crâne lourd se penchait vers mes bras croisés sur la table. Au bout de quelques minutes, mon front rencontra mon poignet et mes muscles se relâchèrent. Ma mâchoire devint molle, ma salive pâteuse et mon esprit fut recouvert d’un brouillard semblable à celui qui tapissait les paysages le matin, et que l’on dominait du haut de la colline.
night one ; Je frottai ma tête contre le sol froid, ma joue balayant la poussière incrustée dans la pierre pour y trouver un confort impossible. L’air était glacial malgré l’absence de vent ou même de fenêtre. C’était l’atmosphère qui réglait la température et la chaleur avait quitté les cœurs depuis bien des heures déjà, laissant place au vide et à l’obscurité. De là où j’étais, je ne pouvais observer que les formes tranchées des pieds de la tables et des chaises car mes yeux s’étaient momentanément habitués à la pénombre. Je me recroquevillai, tentant en vain d’oublier mes os glacés qui me faisaient mal, trop usés pour un âge que je ne faisais pas. Une chose était certaine pourtant : ils pouvaient toujours se tordre et me faire adopter mon autre forme, celle à laquelle je m’étais abandonnée si longtemps et que j’abandonnais à son tour pour replonger dans l’océan des regrets que représentait mon passé. Ils n’étaient pas méchants. Ils n’étaient même pas fous, simplement à la limite du désespoir pour venir me demander mes souvenirs et mon aide. S’ils redonnaient vie à des cadavres comme le mien pour refonder une armée, la situation devait être bien plus dramatique que ce qu’ils me laissaient mielleusement entendre, mais je l’avais compris aux cernes sous leurs regards larmoyants : ils n’en dormaient plus la nuit. Je fis rouler mon épaule sous ma peau fragile pour m’assurer que je n’étais pas tombé en morceaux et la douleur que cela me procura m’indiqua que j’étais encore en vie, capable de ressentir mais condamné à errer devant les portes d’un sommeil paisible que l’on me refuserait jusqu’à mon dernier souffle. Je ne rêvais que des sentiers boueux et des paysages déchiquetés du nord de l’Ecosse, sous une pluie qui ne cessait jamais de tomber sur mes pensées pour me priver d’un toit, même imaginaire. Le grincement sec de la porte retentit mais je n’esquissai pas le moindre mouvement. On s’avança, un air interdit sur le visage. Le claquement de l’interrupteur précéda le grésillement agaçant de l’ampoule qui clignota plusieurs fois avant de nous faire l’honneur d’une lumière blafarde éclairant mollement la pièce. Mes paupières se plissèrent mais je faisais partie des murs à présent, et la silhouette mit quelques secondes à me retrouver dans le décor. L’éclat de surprise qui traversa ses prunelles fut probablement l’instant le plus satisfaisant de ces dernières heures, mais il fut de trop courte durée. Elle, puisqu’il s’agissait manifestement de la femme et non de l’homme, s’avança jusqu’à la table centrale pour y déposer une assiette et un verre. Je voulus garder mon calme et mon silence, rester immobile et la faire venir jusqu’à moi, qu’elle s’accroupisse, qu’elle me demande, me supplie même de réagir, mais mes instincts primaires décidèrent à ma place et je me redressai, attiré subitement par l’odeur de la nourriture. J’étais animal avant tout mais humain après tout. Voilà donc la forme tant attendue, premier indice d’une longue chaîne rouillée qui s’accrochait à la vérité. Des oreilles à l’affût, un museau long duquel s’échappaient deux canines pointues annonçant la suite d’une mâchoire puissante de carnivore, des muscles noueux et noués sous un pelage aussi roux et flamboyant que les braises mourant dans une cheminée, se terminant sur une queue épaisse qui fouettait l’air avec agressivité car je tenais à ma solitude mais qu’elle avait l’air bien décidée à engager la conversation, même si ma forme de renard mettait entre nous une barrière infranchissable. Je grimpai avec agilité sur la chaise et m’installai dessus, ma queue s’enroulant autour de mes pattes et ma tête s’approchant lentement de la nourriture pour en humer l’odeur. Je restai en suspens, constatant que la majeure partir du plat était constituée de légumes cuits. Je n’avais plus l’habitude. « Vous devez manger. Prendre des forces. » Elle avait remarqué mon hésitation et mon regard glissa vers elle pour se planter dans le sien, la défiant de parler davantage. « On est déjà sympas de vous nourrir avec quelque chose de correct. J’en ai pris tout à l’heure, c’est bon. C’est de la ratatouille. » Elle me sourit et cela m’agaça d’autant plus. De la ratatouille. Putain mais ça t’amuse en plus ? Va bouffer tes légumes de merde plus loin. T’as vu ma gueule, t’as cru que j’étais un putain de lapin ? Avec ta tête de première de la classe et ton dossier trop précis sur ma vie pitoyable, t’aurais pas pu te renseigner deux minutes sur mon régime alimentaire ? Mon museau repoussa l’assiette malgré l’odeur appétissante qui s’en dégageait. Elle avait raison, ils ne me servaient pas un plat infâme, j’étais simplement encore incapable d’avaler une chose pareille. Je redescendis de la chaise et avançai à pas de loup vers les ténèbres qui enveloppaient le fond de la pièce. J’entendais un loir gratter le sol à la recherche d’une petite graine. Ses moustaches attrapaient la poussière et ses narines suivaient les sillons creusés entre les dalles. Par-dessus tout, j’écoutai son cœur battre sans relâche, pompant le sang qui circulait si vite dans son petit corps, définition même d’être né pour mourir car il ne servait qu’à nourrir les prédateurs. La chasse fut presque trop rapide. Le rongeur n’avait aucune issue et j’avais trop faim pour le laisser partir. Un homme dans le corps d’un animal chasserait toujours mieux que l’animal seul puisqu’il avait la capacité de réfléchir, d’analyser. Un coup de crocs et la vie quitta l’enveloppe charnelle du jeune loir dont je pris la queue entre mes dents pour venir le rapporter à mon interlocutrice. Je déposai le cadavre sur la table pour qu’elle constate les faits en silence puis, après l’avoir regardée dans les yeux en armant mes prunelles d’une lueur arrogante de défi, je croquai dans la chair du rongeur afin d’en avaler la moitié, ses os fragiles se brisant contre l’émail puissant de mes crocs carnassiers. Je ne laissai que l’estomac et l’intestin, échoués sur la table comme une méduse morte sur la plage dont les tentacules avaient été emmêlées par l’écume des vagues qui l’avaient rejetée de leur royaume. Je notai l’air de dégoût qu’elle m’accorda et le compris. Je ne le craignais même plus alors que je m’étais caché pendant des semaines du regard de Leviathan pour ne pas qu’il sache à quoi j’en étais réduit. Je ne pouvais pas rester bien longtemps sous forme humaine. C’était comme si le processus de transformation s’était inversé et que je devais rapprendre à me métamorphoser en Eachan Reid. Ironie infinie : je me demandais sérieusement si des animaux possédaient le pouvoir de prendre la forme d’un homme sans savoir quel serait ce dernier, tout comme nous ne pouvions savoir en quoi nous, animagi, étions capables de nous changer avant la première fois. Et rien ne valait l’euphorie de cette découverte, même si elle était accompagnée de la crainte de ne pas être satisfait. J’avais eu du mal à croire en mon reflet dans le miroir, en ce visage fin au museau allongé et aux pattes puissantes, en ce pelage roux incandescent qui luisant d’un aura aujourd’hui disparu mais à l’époque vif et jeune, porteur de dynamisme et d’une rage de vivre inouïe. La fureur m’avait quittée pour mourir seule en dégageant des relents de souffrance et d’amertume. « Nous ne sommes pas l’ennemi, Eachan. Vous le savez très bien. » Je restai silencieux, mes muscles tendus pour garder mon immobilité, mais mon esprit se détendait peu à peu malgré sa présence. Je m’y habituais vite car elle possédait un agréable parfum aux notes sucrées et maternelles qui me rappelaient mon enfance. Le goût de la Nature et de la liberté se mêlait probablement aux perles de sueur qui coulaient sur sa nuque et l’éclat dans son regard brillant témoignait de la justesse de celui qui luisait dans son cœur tel une braise assoupie. Au fond, je savais qu’elle ne me voulait aucun mal et que j’avais eu de la chance d’avoir été retrouvé par l’Ordre et non une quelconque mafia. Mais la rancune bataillait dans ma poitrine et je luttai pour garder mon sang-froid, pour lui prouver que j’avais mes torts mais qu’ils étaient moindres par rapport à ceux que l’on m’avait infligés. Encore une fois, j’étais prisonnier de l’ironie puisqu’il fallait lui offrir mes souvenirs pour qu’elle puisse en avoir le cœur net. Les minutes suivantes se passèrent dans le silence le plus complet et je gardai ma forme animale pour ne pas briser cette barrière. Elle finit par se relever sans ménager nos oreilles face au bruit que les pieds de sa chaise firent en raclant le sol. Je l’agaçais. « Vous devriez vous montrer plus coopératif avec moi, c’est mon collègue qui vous surveille la nuit prochaine et il vous apprécie moins. » Elle avait raison. Je pouvais sentir la dose d’agressivité qui circulait dans les veines de mes interlocuteurs et son partenaire s’était montré bien moins enclin à négocier. J’avais deviné un malaise, un mal-être, un malheur, quelque chose que mon flair n’avait pas laissé au hasard et qui le rendait irritant. Elle se tourna et se dirigea vers la porte, prête à sortir mais suspendit son geste en entendant le bruit sec que mes semelles firent en claquant contre la pierre. J’avais repris forme humaine, debout sur mon piédestal, et avais regagné la terre ferme en un saut agile. A présent, je la toisai d’un air grave, les épaules recourbées vers l’avant et les cheveux retombant sur mon front humide. Une ombre laissant mourir en son sein les fleurs d’une vie oubliée, fanant au creux de sa carcasse car nées au milieu d’organes dégénérescents. Voilà donc ce que j’étais devenu. Elle me toisa longtemps, attendant de ma part la suite de ma manifestation, mais j’avais appris à comprendre les silences autant que les mots et la gêne qui s’installa dans la pièce ne fut pas un inconvénient. Elle serait peut-être troublée, moi pas. « Vous voulez rajouter quelque chose ? » finit-elle par souffler en un soupir presque inaudible. Je haussai les épaules, amusé. Les gens avaient perdu foi en ce mutisme dans lequel on pouvait plonger, sans chercher à en dénicher la moindre signification. Mais j’avais été animal assez longtemps pour me passer de parole, de grammaire et de poésie afin de m’exprimer. Cela me faisait rire de devoir me plier de nouveau à ce handicap que les humains avaient, celui de se focaliser uniquement sur ce qui paraissait évident alors qu’il suffisait de gratter la surface polie pour découvrir le relief complexe du récif et la profondeur de l’abysse caché. « Tu connais mon nom. Moi je connais pas le tien. Ne viens pas me dire que tu veux me parler d’égal à égal et chercher à gagner ma confiance alors que vous êtes si réticents à laisser tomber votre masque. » Je me raclai la gorge, les relents de mon repas cru imbibant mon palais, puis crachai par terre pour en perdre l’arrière-goût désagréable. Elle parut dégoûtée, à nouveau. « Après c’est à moi qu’on reproche de pas être ouvert, mais vous êtes juste une belle bande d’hypocrites. » Ses sourcils légèrement froncés trahissaient son doute : elle comprenait que je veuille rester inaccessible. On vous apportait de la ratatouille pour mieux pouvoir vous cuisiner ensuite. Néanmoins, un tueur en série qui sert un verre d’eau fraîche à sa victime ne paraît pas plus humain, mais au contraire bien plus malsain, bien plus fourbe qu’avant. Et ça, elle le savait tout autant que moi. Qu’est-ce qui la différenciait à présent des geôliers d’Azkaban ? Eux non plus ne révélaient pas leur nom aux détenus. « Rosemary Londubat. » Elle claqua la porte derrière elle et me laissa seul avec ce secret dénoué. J’avais certes passé des années loin de la civilisation sorcière, certains noms résonnaient toujours de la même façon dans ma mémoire. Les familles de sangs-purs sonnaient comme des cloches sacrées aux yeux de ceux qui n’en faisaient pas partie. Restait à savoir s’il s’agissait d’un angélus ou d’un requiem.
day two ; Cela faisait à présent plusieurs heures que la notion du temps s’était perdue au fond de mon esprit tourmenté. Je rêvais de champs infinis et de sentiers effacés qui striaient les forêts écossaises. Je rêvais de calme et de l’odeur douce des végétaux ployant sous mon passage. Je rêvais en somnolant, m’enfonçant dans des souvenirs qui me paraissaient si lointains à présent comme on s’abandonnait lentement au confort d’un lit moelleux. Il me suffisait de fermer les yeux pour me retrouver avec moi-même et mes instincts animaux qui ne convenaient plus à ce corps. J’avais l’impression d’être un serpent forcé de retrouver son ancienne peau qui gisait quelque part dans un caniveau insalubre. J’avais perdu mon agilité, ma force et mes repères. Ma taille était trop grande, mes membres incontrôlables car ils s’articulaient autour d’axes que je ne suivais plus. Cela m’arrivait encore de me surprendre à machinalement lécher mes avant-bras pour en lustrer les poils et de me rendre compte que c’était inutile et vain. J’avais laissé ma pudeur de côté pendant des années et, d’un coup, il était nécessaire de retrouver la bienséance d’une société construite sur des mœurs dont je dénichais enfin l’absurdité. J’étais peut-être un lâche, ils jalouseraient tout de même tous la liberté que j’avais acquise au terme de ma fuite, lorsque les limites humaines de la raison et de la morale ne s’étaient plus appliquées à mon esprit canin. La liberté dont jouissaient les animaux sauvages, en somme. N’était-ce donc pas cette sauvagerie qu’ils devinaient au fond de mes prunelles, celle-là même qui les faisait craindre le son de ma voix et les conséquences de mes actes dont je ne mesurais plus l’ampleur ? L’Homme ne faisait plus partie de la chaîne alimentaire mais j’étais la preuve vivante que cette dernière pouvait s’enrouler autour de ses pieds déterminés pour le faire trébucher, pour que son genou se plie et qu’il baisse de nouveau la tête devant sa reine au nom de Nature. Nous étions faits de chair et de sang, rien de plus. La métaphysique enchantait plus d’un penseur assoiffé d’érudition mais j’étais retourné à l’état prosaïque d’un simple animal : ce qui restait de nous n’était pas l’âme ou l’esprit, mais bien le corps. Ce que notre prédateur dévorerait ne serait pas l’âme ou l’esprit, mais bien le corps. Ce qu’un ennemi torturerait jusqu’à la mort n’était pas l’âme ou l’esprit, mais bien le corps. Entre garder la bouteille vide ou seulement l’eau qui se trouvait à l’intérieur, le choix était fait : la bouteille, matérielle et solide, avait un intérêt et une utilité, tandis que l’eau glisserait entre les doigts de nos mains en coupe avant que l’on puisse les porter à nos lèvres pour la boire. Je perdis de nouveau le fil de mes pensées et vis mes pattes toucher timidement la surface d’un petit ruisseau avant d’y plonger mon corps, les ondulations du court d’eau caressant doucement le pelage blanc de mon ventre et s’infiltrant entre mes griffes qui raclaient la boue et les cailloux formant son lit, ce qui laissait entrevoir de légers nuages de terre aqueuse au fond de la petite rivière. Je me dirigeai vers le gué et remarquai que la largeur du lit s’agrandissait à mesure que j’avançais. Bientôt j’avais à peine pied et ma tête franchissait difficilement la surface. J’avais du mal à respirer mais le gué se rapprochait tranquillement, ce qui me rassurait. Je plongeai sous l’eau et mes pattes se synchronisèrent afin que je parvienne à nager, dessinant une courbe entre les algues et des roches maritimes. Je retrouvai l’air libre mais la rivière était devenue un lac à l’eau trouble. Devant mes prunelles humides se dressait un promontoire de pierres ayant remplacé le gué et je pus y voir une silhouette s’y dresser, me faisant face. Puis plus rien. Un coup de feu sec et puissant me réveillant dans la pièce sombre qui constituait ma cellule, faisant vibrer les os de mes jambes et suscitant une douleur fantôme dans ma cuisse. Je gémis, étirant mon grognement pendant plusieurs secondes car je ne parvenais plus à bouger. J’étais bloqué, à la fois homme et renard, incapable de réfléchir à comment me relever. Seules mes mains se mouvaient au bout de mes bras maladroits et les ongles sales qui les ornaient grattaient le mur qui me servait de dossier ainsi que les sacs en toile qui décoraient le pourtour de la salle. Je réussis à percer l’un d’entre eux car toute ma force se concentrait sur mes phalanges fragiles : le reste de ma carcasse était immobile, cassée telle un vase ayant chu d’une étagère et s’étant brisé en mille morceaux sur le sol, irréparable. Pathétique songeai-je finalement et ce fut à cet instant précis que la porte s’ouvrit, précédent l’entrée d’une silhouette que je n’eus pas de peine à reconnaître. Ce n’était pas Rosemary mais son partenaire, celui qui selon elle ne m’appréciait guère, ou du moins pas autant qu’elle. Etant donné le peu d’estime qu’elle devait avoir de moi, je n’espérais pas grand-chose avec son collègue. La logique du bon et du mauvais flic était un cliché dépassé mais on y tenait encore, et ce inlassablement, comme pour nous assurer que la situation était normale et qu’elle se résoudrait comme n’importe quelle affaire, dans la joie et la bonne humeur. Donc j’allais finir par tout avouer en pleurant et me repentant, les suppliant entre deux sanglots de ne pas me traîner en prison, leur assurant que tous les torts que j’avais infligés autour de moi étaient fruit d’un destin auquel je n’avais jamais pu échapper. J’étais bon acteur, n’est-ce pas ? Après tout, selon leur petit dossier très précis sur chaque seconde de mon existence, j’avais joué le rôle d’un mafieux pendant plusieurs années et j’avais tenu le masque contre mon visage jusqu’à la fin. Il déposa une assiette sur le coin de la table et observa mes restes en décomposition sur le sol sans prononcer le moindre mot. Seule sa respiration de fumeur agacé brisait le silence et je ne pus m’empêcher de lui faire une remarque : « T’es claustro ou quoi ? Stresse pas, je peux pas bouger, je vais pas te manger. » Il garda son calme le plus profond et je haussai les sourcils, feignant d’être étonné. Enfin, je tendis mollement mes bras vers lui et agitai mes mains pour perturber les lignes de fuite de son champ de vision. « Ça te dit tu m’aides à me relever ? » Il se pinça légèrement la lèvre inférieure puis attrapa mon poignet droit d’une main ferme pour me tirer vers lui. D’un coup, je pus le regarder de haut comme je l’avais toujours fait, jouissant d’une taille bien supérieure à la moyenne. Mais cela se voyait moins qu’avant, puisque mon dos recourbé m’avait fait perdre quelques centimètres et que la fatigue pesait aujourd’hui sur mes épaules. Je passai à côté de lui et m’installai sur la chaise, constatant que l’assiette était garnie cette fois de cuisses de poulet charnues. La sauce dégageait une odeur délicieuse qui me fit saliver immédiatement, une fois qu’elle eut atteint mes narines irritées. « Romy a insisté pour que vous mangiez quelque chose de sain cette fois. C’est de sa part. » Je ne bronchai pas et tendis une main fébrile vers le plat. « N’oubliez pas d’être reconnaissant. » Son ton était baigné d’ironie mais cela ne fit que suspendre mon geste. Je le prolongeai jusqu’au bout, entendant les gargouillis de mon estomac de plus en plus fort. Il avait déposé des couverts à côté de l’assiette, néanmoins ils ne trouvèrent aucune utilité entre mes mains. Mes doigts saisirent directement la nourriture et je mordis dans la chair pour en cueillir les saveurs et le jus. Je laissai mes réflexes ronger l’os et en sucer le cartilage presque jusqu’à la moelle puis le fis retomber contre le rebord en porcelaine pour m’emparer d’une autre cuisse, tout aussi appétissante. L’homme prit place en face de moi et ne me lâcha pas du regard. Peut-être se trouvait-il oppressant, ou bien doté d’une stature intimidante, mais le ressenti était bien heureusement subjectif. A moi, il ne m’inspirait qu’un mépris amusé, car il ne se montrait pas coopératif alors que j’étais le goupil rusé de cette sombre mascarade et qu’il était nécessaire de négocier avec moi s’il voulait obtenir un résultat dans lequel il ne se sentirait pas floué. Rosemary l’avait finalement compris avant de claquer la porte, laissant tout l’intérêt naissant de notre conversation reposer dans l’écho de ce bruit sourd, et j’attendais presque avec impatience qu’elle reprenne place devant moi. « Jawhar Shafiq. » indiqua-t-il sobrement. Je levai les yeux de l’assiette pour croiser ses iris sévères puis repris ma dégustation sauvage. Encore un putain d’aristocrate. J’essuyai mes lèvres d’un revers de la main et frottai mes paumes grasses contre le tissu abîmé de mon pantalon. J’étais serré dans cette couture : il appartenait à Leviathan, qui se serait empressé de me faire une remarque glaciale s’il avait su que je traitais l’un de ses habits de cette manière. Mais le pantalon n’avait pas fait long feu à mon retour à Londres puisque cela ne m’avait pas pris beaucoup de temps pour être plongé dans une bagarre d’ivrognes dès la sortie de l’aéroport. Pas de portoloin, avait-on décrété, une arrivée en Moldu dans le monde moldu passerait plus inaperçue. C’était sans compter mon caractère sanguin face à des idiots couplés d’alcooliques. Je fixai Jawhar sans cacher le profond agacement qu’il m’inspirait, mais encore une fois il n’y prêta aucune attention. Rosemary devait lui avoir dit de se présenter alors il le faisait à contrecœur, ne dissimulant pas sa mauvaise foi derrière sa barba taillée et son visage aux traits fins. J’avais toujours eu une aversion contre les sang-purs, même ceux qui ne me voulaient aucun mal. Après tout, aucun d’eux ne s’était interposés entre moi et mes oppresseurs lorsque j’étais entré à Poudlard puis au Ministère. Aucun d’eux n’était parti à ma recherche lorsque j’avais disparu, comme si je n’avais été tout ce temps qu’un dommage collatéral et non une vie aussi importante que la leur. Ils avaient peut-être rejoint l’Ordre pour faire bonne figure, ils restaient tout de même attachés à ces valeurs que je ne comprenais pas, celles de vouloir rester purs alors qu’autour d’eux la magie ne cessait d’évoluer. Combien de sang-purs avaient tenté en vain de devenir animagus et combien de nés-moldus, à force d’être confronté à l’idiotie de ceux qui les targuaient d’être de médiocres sorciers, y étaient parvenus ? J’avais cru en la capacité de mes pouvoirs jusqu’au bout, me persuadant à raison que ma magie était plus vaillante que la leur car elle était apparue, forte et sincère au milieu de gènes moldus, comme une rose écarlate et épineuse fleurissant avec majesté sur une lande stérile. « Parlez-moi de votre mission concernant la famille Faust. » Je mordis dans une nouvelle cuisse de poulet sans répondre, mêlant le parfum irremplaçable de la viande cuite à point à mes réflexions soudaines. En vérité, je savais que j’allais leur expliquer, au moins brièvement, la raison de ma disparition. J’avais vite compris que j’allais perdre patience avant eux, puisqu’ils étaient libres d’aller et venir alors que j’étais prisonnier. Et suite à neuf ans de totale liberté à travers les montagnes écossaises, la taille restreinte de cette pièce et son caractère ténébreux m’oppressaient jusqu’à m’en donner la nausée. « Pourquoi ? Ça n’a duré que six mois et ce n’était pas marquant. » Je mentais. « Nous cherchons à comprendre au-delà des faits. Notre but n’est pas de vous mettre en prison M. Reid, mais bien de vous sortir de celle que vous vous êtes bâtie autour de vous-même. Et j’ai jugé que votre mission aux Etats-Unis était un bon point de départ vu qu’il s’agit du début de votre carrière. C’est à cause de cette dernière que vous avez disparu, nous cherchons à retracer le chemin parcouru. » Un rire froid s’échappa de mes lèvres et je secouai la tête pour démentir ses mots. « Laisse-moi te corriger Shafiq, si j’en suis ici aujourd’hui, ce n’est pas à cause de ma carrière qui a mal tourné mais de ma naissance dans le mauvais monde. » Parce que tout n’était qu’une histoire de statut, finalement, et que j’y étais de nouveau confronté après avoir passé tant d’années à me défaire de cette hiérarchie absurde. Face aux autres renards, je m’étais battu d’égal à égal. Et cet équilibre avait été rompu par les Hommes il y a bien longtemps, perçant une brèche dans le pacte naturel qu’était l’existence et laissant s’échapper des démons depuis les entrailles de l’enfer qui s’empressèrent de posséder certains individus et les rendre assoiffés de pouvoir sans jamais qu’ils ne connaissent le sentiment gratifiant de la réussite, les clouant ainsi au cercle vicieux des désirs et rendant bien plus inhumains que n’importe quel animal, aussi sauvage soit-il. « Que voulez-vous dire pas là ? » Mes incisives rognèrent de nouveau l’os de la cuisse et seuls les bruits de succion lui répondirent sur l’instant. Il me forçait à insister sur des choses qu’il savait déjà et cela m’ennuyait profondément. J’étais cependant forcé de jouer à son jeu et répondre à son questionnaire avec assurance pour qu’il croie à tout ce que j’allais lui raconter. Néanmoins je n’avais rien à perdre et j’avais compris que la situation dans laquelle je me trouvais était la moins pire possible. L’Ordre avait beau accueillir des cons dans ses rangs, ils n’étaient au moins pas hostiles aux nés-moldus. « Y’a bien que les sangs-purs pour pas comprendre ce que je veux dire par là. » J’avais arrêté de véritablement leur en vouloir parce qu’au fond, j’étais peut-être trop exigeant. Il ne me connaissait pas et je lui intimais déjà de tout saisir alors qu’il n’avait pas idée de l’enquête complexe qu’on venait de lui refourguer. J’étais une affaire classée depuis plus de dix ans et d’un coup, on réchauffait les vieux indices et les souvenirs disparus. Il y avait quelque chose de tellement injuste dans la magie, après tout. Mes réflexions sur le caractère proprement matériel d’un être humain rencontraient un obstacle de taille lorsque l’on prenait en compte la magie. L’esprit existait puisque la mémoire pouvait être malléable, représentée en limbes argentées que l’on arrachait de la tempe de ceux dont on voulait sonder l’âme. J’imaginais déjà Rosemary et Jawhar marcher d’un pas enthousiaste sur les pavés de mon histoire, fantômes du futur venus me hanter pour me rappeler que j’étais déjà condamné. Mais ma naissance m’avait condamné, c’était la seule vérité que je voulais bien accepter, puisque j’aurais préféré abandonner mes pouvoirs à mon prochain et rester dans l’ignorance d’une vie moldue plutôt que de vivre dans un monde qui me nommait paria à chaque coin de rue, même si ce monde était unique et exceptionnel. Tu veux mes souvenirs ? Pourquoi tu t’acharnes sur moi, tu pourrais aider la police moldue à résoudre des meurtres qui en valent la peine, peut-être même que les airs de devin qu’ils t’accorderont te permettront d’avoir ton propre talk-show. Paraît que c’est comme ça que ça marche. Finalement, suite à ces années animales, le monde moldu aussi me paraissait étranger. J’avais passé des semaines en convalescence bloqué dans un appartement new-yorkais, Leviathan m’ayant interdit de bouger de peur de ses sortilèges ne fonctionnent pas. A présent que je pouvais prendre du recul sur ce qui m’était arrivé, je me demandai si Levi ne m’avait tout simplement pas menti en me forçant à rester immobile sous la couette alors que j’aurais pu gambader librement dans sa demeure en son absence, simplement pour se moquer et s’assurer que j’étais toujours le con d’Auror que j’avais été autrefois. Ma condition m’avait donc assujetti à la seule distraction qui s’était trouvée par hasard dans ma chambre : la télévision. Et quelle n’avait pas été ma surprise de devoir suivre des émissions terriblement idiotes sur toutes ces choses inutiles que les Américains transformaient en reliques prophétiques pour la simple et bonne raison que des gens encore plus idiots prendraient leurs mots pour la réalité. Voilà pourquoi les souvenirs n’existaient plus : car ils ne pouvaient subsister que s’ils étaient personnels. Que valait l’histoire de cette petite fille de onze ans qui avait vécu dans la rue pendant tant de mois avant d’être retrouvée et recueillie par une famille aimante qui ne souhaitait que son bien lorsque ce morceau unique d’une existence singulière devenait le sujet d’une émission immonde de banalité ? Des chiffres d’audience, voilà tout. Je m’étais interrogé sur la valeur de mon histoire en face des caméras mais réfléchir en terme d’argent m’avait donné la migraine après tant de temps passé à chasser son gibier gratuitement pour me nourrir et dormir à la belle étoile. « Je vous en prie, M. Reid, éclairez ma lanterne puisque vous avez la science infuse. » Je lui adressai un sourire amusé. Il tentait d’adopter mes piques ironiques en gardant la stature d’homme important qu’il voulait se donner en face de moi. Cela ne me ferait que l’apprécier d’autant plus, n’est-ce pas ? « Vous voulez que l’on parle de votre enfance dans le monde moldu ? » Je ne pus empêcher le ricanement sec. « Tu t’es pris pour mon psy ? » Un éclat étrange traversa ses prunelles et je sus, au fond de moi, que dans une autre dimension, celle où Jawhar et moi-même étions de bons amis, il aurait ri à cette plaisanterie acide en admettant de bonne foi que ma répartie battait cette fois la sienne. Mais je dus me contenter d’un vague silence amusé, suivi d’un raclement de gorge qui marquait son désir machinal de reprendre la parole. « Vous allez bien devoir me dire quelque chose à un moment ou à un autre. » Certes. Mais j’appréciais aussi le simple fait d’observer son malaise de plus en plus apparent, comme si rester dans une pièce aussi sombre et froide que celle-ci attaquait autant l’oppresseur que l’oppressé. « Tu sais pourquoi j’ai réussi à devenir un Animagus ? » Il haussa les épaules. « A force d’entraînement ? » Je niai d’un mouvement sec de la tête et pianotai un instant sur la table, mes ongles produisant un bruit tranché, sans écho, comme deux os d’un squelette exhibé en cours d’anatomie se cognant l’un contre l’autre, poussés par le vent. « Non, ça c’est la réponse des égocentriques qui pensent que tout leur est dû. Moi je suis pas mesquin, j’accorde le mérite aux autres. A tous ceux qui m’ont craché dessus, littéralement ou non, et qui m’ont dit que je n’étais qu’une pauvre tache dans ce monde et que si j’avais du sang de sorcier dans les veines, c’est parce qu’une de mes ancêtres était une pute qu’un sorcier avait bien voulu se faire par hasard, parce qu’elle était là, les jambes écartées, crevant la faim et ne demandant que ça, qu’on lui défonce le vagin en échange de quelques pièces pour pouvoir manger mais que comme une sale conne elle était tombée enceinte. » Je marquai une pause pour reprendre une bouchée de viande. « Ceux qui ne comprennent même pas que les nés-moldus sont d’autant plus exceptionnels que justement, aucun sorcier n’est venu mettre sa queue dans le vagin de l’une de mes ancêtres et que je suis un miracle de la nature, doté de pouvoirs que le ciel m’a accordé parce que je suis génial. » Mon ton restait calme mais Jawhar pouvait aisément comprendre que mon esprit crachait enfin le venin qu’il avait si longtemps gardé en lui, car il était peut-être un sang-pur, il n’était heureusement pas de ceux dont je parlais. Il trouvait du sens en mes mots restés jusque-là impuissants, inaudibles. « Mais j’étais trop jeune et trop con pour m’en rendre compte moi-même à l’époque, je ne vais pas les blâmer. Et tu vois, à force de me dénigrer, ils ont obtenu la monnaie de leur pièce. » Un sourire froid étira mes lèvres grasses et je continuai d’entrecouper ma déclaration de coups de dents carnassier dans la chair moelleuse et savoureuse de la volaille, bénissant un instant la décision de la Londubat d’avoir pensé à me caresser dans le sens du poil. « Un cousin Malefoy s’est fait attaquer par un renard sauvage au visage en 1967 et a dû être hospitalisé d’urgence à Saint-Mangouste. Il en garde apparemment des cicatrices qui retracent la mâchoire de l’animal et son œil droit a été gravement touché. Les médicomages ont malheureusement réussi à le réparer, il n’est donc pas borgne mais il souffre de douleurs et de troubles constants de la vision depuis ce jour. » J’étais manifestement fier de moi et le silence de Jawhar me conforta dans mon orgueil. « Le plus malsain dans tout ça, c’est qu’aucun de ces sombres imbéciles ne savaient que j’avais réussi ma métamorphose. Cet idiot croit encore qu’il a été mordu par un renard quelconque alors que c’était juste une belle vengeance que je prenais sur lui, au nom de toutes ces femmes moldues violées par des sorciers dont il parlait avec tant de ferveur. Et bien sûr, au nom d’une magie véritable dont il ne verrait jamais la couleur, souffrant d’une cécité partielle au niveau physique mais entière au niveau mental. » Le sentiment de victoire qui avait bouillonné dans mon cœur lorsque mes crocs de jeune animagus s’étaient refermés sur sa joue pâle d’aryen consanguin avait valu toutes ces années d’apprentissage et le goût de l’hémoglobine imbibant ma langue m’avait fait pousser un aboiement de satisfaction lorsque j’étais retombé sur le sol avec agilité pour l’observer en retrait plaquer ses mains sur son visage écarlate et hurler à la mort. Il s’était amusé pendant si longtemps à prophétiser sur mon sort de moins que rien que je m’étais fait un plaisir cette fois-là de ruiner sa beauté de jeune premier et ses chances de réussir à l’examen de fin de cycle. Il l’avait d’ailleurs raté, absent lors des épreuves car souffrant toujours de la déformation de son faciès et des trous devenus cratères pourpres en dessous de ses pommettes. L’ingénu s’intéresserait enfin à la science mais son destin restait perdu dans ses souvenirs. La fameuse mémoire qui conservait chaque chose sous le voile brillant et résistant de la vérité.
Dernière édition par Eachan Reid le Mar 30 Mai - 19:36, édité 7 fois |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:20 ( #) | [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
(part two ; [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]) i've always been the type of person to hide my pain away. i swallow it down where no one can see it until it begins to corrode me from the inside out. i've never known any other place to put it ... i was never taught any other way to deal with it. my pain has never mattered much to anyone else, so i've learned to contain it until i reach a point where i end up hurting myself just as much as whatever it was that caused the pain to begin with. but that's what emotionally sensitive people do; we hurt ourselves by hiding just how much things hurt us because we believe it is our weakness. whenever we are hurt by life we do not tend to our wounds but simply pretend they are not there until we do ourselves more damage ... and then we wonder why we're such slow healers.
« Mes souvenirs sont sanglants Shafiq, je veux pas te donner la nausée si tu y fourres ton nez. » Jawhar ne broncha pas, plongé dans un mutisme qui lui allait bien et m'écoutant raconter mon histoire jusqu'au bout. Mon ton familier ne l'alarmait pas, ce qui me surprenait car d'habitude, cela irritait vite mes interlocuteurs. Il se pencha en avant et le relief de son visage m'apparut plus distinctement, le temps d'une poignée de secondes, mais ces dernières furent suffisantes pour que je remarque des sillons creusés dans sa peau comme si elle était desséchée et qu'on avait tenté en vain de lui rendre la vie, telle une terre stérile où l'on avait planté un arbre, nous fatiguant nous-mêmes de nos espoirs puérils. Ses yeux étaient cernés de rides qui lui donnaient mon âge alors qu'il était probablement bien plus jeune. Sa barbe, malgré le soin avec lequel il l'avait taillée, trahissait un sentiment de douleur car sa couleur était celle de la poussière, celle-là même que je reconnaissais en m'allongeant sur le sol de ma cellule. Quelques poils blancs la mouchetaient également, luisant d'un éclat glacé sous la lumière morose de l'ampoule. Il y avait une beauté intrinsèque et émouvante à ce qui dépérissait. Les artistes l'avaient appelée nature morte, trouvant dans le mal et la finitude des choses une façon de voir le temps qui passait sans s'arrêter, de dompter enfin l'abstrait et de le peindre pour que jamais il ne soit oublié. Voilà ce que ces secondes m'inspirèrent, puis la voix de Jawhar retentit comme pour souligner toute ma réflexion et me le rendre étrangement plus familier : « Croyez-moi M. Reid, j'ai connu pire que ce que vous me racontez jusqu'à présent. » L'intensité de son timbre ne laissait aucune place au doute, mais je ne sus si cela provoqua en moi le besoin d'en savoir plus ou celui de soupirer pour lui signifier que ce n'était pas un concours de celui qui avait eu la pire existence. « J'te préviens juste. » grognai-je alors pour changer de sujet. Je me redressai sur ma chaise et laissai retomber l'os de poulet dans l'assiette. Machinalement, je voulus en saisir un autre, sans succès cette fois-ci. Mon interlocuteur haussa les épaules, navré. « Désolé, il n'y avait que trois poulets disponibles. » Je ne pus dire s'il se moquait ou s'il était sincèrement consterné par ma situation, mais l'obscurité ne me permit pas de me plonger dans une véritable réflexion. Impossible d'analyser proprement son expression. « J'ai retrouvé vos relevés de notes et les commentaires de vos professeurs à Poudlard. Vous avez été embauché par le Ministère principalement parce que vous aviez la capacité de vous transformer en renard. C'est tout de même rare qu'ils soient aussi peu influencés par des résultats parfois à peine passables. » Je hochai la tête sans grand enthousiasme. En vérité, Jawhar avait raison mais il ne savait pas bien à quel point. A l'époque, j'avais passé un entretien d'embauche et j'avais cru être pris pour ma détermination. « Tu sais bien comment ils sont. Ils allèchent le chaland avec leurs locaux magnifiques et les noms importants sur les cartes de visite, sauf que j'ai eu pas eu droit à un bureau et encore moins à une carte. De la chair à canon, voilà ce que j'étais. » Je détestais le monde entier. Mais s'il y avait bien une institution que j'avais envie de voir couler dans une mer d'excréments et de moisissure pour me venger de ce qu'elle m'avait fait subir, c'était bien le Ministère de la Magie. Ils m'avaient donné le statut d'Auror mais ça n'avait eu aucune véritable valeur. « Votre mission de surveillance de Leviathan Faust ne s'est pas foncièrement mal passée pourtant. » Mes doigts huileux passèrent sur mon front puis rabattirent mes cheveux longs en arrière, révélant un regard pensif. « Oh non. Dieu merci, Leviathan Faust n'a pas ruiné ma vie lui non plus. » Un rire sec ponctua mes mots et se brisa finalement dans le silence amer qui suivit. Je devais admettre que Leviathan m'avait appris à me méfier de tout ce dont il fallait se méfier en ce monde et qu'il était doté d'une intelligence hors du commun, ce qui le rendait à la fois exécrable et fascinant. Mais malgré tous les défauts qu'on pouvait lui accorder de bon cœur, je ne l'associais pas à cette haine viscérale que j'avais pour le Ministère. Je le détestais aussi, mais d'une autre manière, d'une manière attachante et narquoise qui me rappelait sa fougue de jeune sorcier téméraire. En vérité, il n'était pas si intelligent. S'il l'avait été, il se serait passé de faire bien des conneries. « De quoi parlez-vous, si ce n'est de Faust ? De votre mission en France ? J'aimerais simplement comprendre ce que le Ministère vous a fait. » Je crispai mes doigts autour du rebord de la table et serrai les dents, sentant monter en moi le désir sauvage de gronder comme un animal, mais je me retins, les muscles tendus et le regard pointé vers Jawhar. Pourtant ce n'était pas lui que mes prunelles fusillaient avec tant d'agressivité, mais tous ces visages fantômes, souvenirs conservés au creux de ma mémoire qui m'étaient soudain apparus sur la rétine pour me hanter une nouvelle fois, une fois de trop. Je baissai finalement la tête, brisant le lien visuel qui me reliait à mon interrogateur. « La nuance est là Shafiq. Le Ministère n'a jamais rien fait. » Mon air railleur s'était assombri subitement et je me forçai à songer à la douceur des montagnes et le parfum apaisant des forêts pour submerger le sentiment oppressant qui venait de m'envahir. Jawhar s'en rendit compte et ses paupières se plissèrent subrepticement. Il croisa ses doigts sur la table, se racla la gorge puis s'humecta les lèvres. Ma phrase le laissa perplexe mais il se ressaisit vite, caressant pensivement ces mêmes lèvres de son pouce dont la couleur me rappela celle des parchemins sur lesquels mes doigts d'ancien cadre supérieur s'étaient longtemps perdus. « Selon toi, combien de temps peut durer une mission d'infiltration ? » Il comprenait mais j'avais toujours envie de le secouer et de lui hurler toute cette colère que la mention du Ministère faisait remonter en moi. Il resta silencieux mais mes iris insistèrent à travers la pénombre et lui intimèrent de reprendre la parole pour souligner l’injustice. Après tout, il savait de quoi je me plaignais, c’était dans leur dossier à mon sujet. Mais la formulation devait être si banale et bureaucratique que je devais émouvoir autant qu’un chiffre statistique. Dommage collatéral. Dommage, connard, ils ont fait taire ceux qui râlent. « Quelques mois, un an tout au plus. » Je hochai la tête avec lenteur pour appuyer la logique de ce qu’il avançait. « Tout à fait. Tu devrais travailler là-bas et leur apprendre deux trois trucs sur la condition humaine. » Je fermai le poing et l’écrasai contre la table, non pas brusquement mais calmement, prenant le temps d’y condenser toute ma force pour équilibrer ma réflexion et mon courroux. « Pendant trois ans j’ai été officiellement une taupe du Ministère, et puis au début des années 70, ils ont fini par m’abandonner à mon pauvre sort parce que c’était trop risqué de me sauver. Ils avaient peur que je ne m’en sorte pas vivant, disaient-ils. Ils n’ont eu strictement aucun scrupule à me faire disparaître. J’ignore si c’est parce qu’ils craignaient des représailles de la mafia ou s’ils avaient eu les informations qu’ils désiraient et pensaient que me laisser là où j’étais leur coûterait moins de temps et d’argent, mais le résultat était le même. Et je n’étais pas une taupe chez des putains de bonnes sœurs, mais bien au milieu de trafiquants de drogues et de prostituées. » Je remontai d’un coup sec une manche de mon pull, laissant à l’air libre le creux de mon coude. Là où ma peau avait des airs de champs de bataille où sifflait la mort une fois l’affrontement fini. Là où une étrange tumeur s’était installée et que la magie comme le temps ne pourraient jamais rien y faire, laissant ces traces violacées marbrer le relief de mes veines. Là où j’avais creusé une entrée pour qu’un démon me possède jusqu’à ma mort et même après, car il avait englouti le moindre salut possible comme un détraqueur se penchant sur un prisonnier plein d’espoir. Là où un millier d’aiguilles s’étaient plantées, inlassablement, les unes suivant les autres pour dessiner la silhouette du véritable personnage principal de cette histoire : mon Héroïne. « Tu sais, ça fait cliché, mais j’ai des marques qui le prouvent. J’ai des marques qui prouvent que le monde sorcier m’a bien enculé. Je dis pas que j’ai une volonté de fer et que c’était mon destin de né-moldu que d’avoir sombré dans la drogue au lieu de me battre, j’ai pas besoin de me victimiser davantage. Mais n’importe qui à ma place aurait ployé face à la menace et y’a pas eu l’ombre d’un représentant du Ministère pour me tirer d’affaire lorsque mon seul but dans l’existence devenait peu à peu celui de trouver un fix d’héro, même si pour ça je vendais ma dignité ou ma putain de baguette magique. Et pour ça, ils doivent payer. » Je marquai une pause, simplement pour la forme. « Pour ça, je les ferai payer. » J’avais mes noms en tête. Et j’avais ma hargne accrochée au cœur, la seule qui m’avait permis de survivre en devenant un animal, la seule qui m’avait rappelé jusqu’à la fin que j’étais un homme dont l’enveloppe charnelle ne gardait plus un esprit sain, mais bien au contraire, un corps tuméfié aux relents sulfureux de vengeance.
1967 ; Le froid de l’hiver naissant s’engouffra dans le col de mon manteau et je rentrai ma tête entre mes épaules pour me réchauffer, sans rencontrer un véritable succès. On m’avait prévenu du climat maintes fois au Ministère, conseillé d’emporter de nombreux pulls pour soulager la douleur que provoqueraient les températures négatives, mais mon esprit intrépide s’était borné à me croire plus fort que ce que j’étais réellement. Je regrettais à présent ma décision. Mes sourcils froncés cachaient mon regard bleu relevé vers les immeubles et se perdant dans un paysage qui se confondait en guirlandes et neige artificielle que les Moldus s’étaient amusés à placer dans les arbres pour les décorer. C’était la veille de Noël et je pouvais ressentir dans les rues de New York une effervescence que je n’aurais jamais cru connaître. Je n’avais jamais eu vraiment l’occasion de passer les fêtes au château lorsque j’étais à Poudlard car je profitais des vacances pour retourner voir ma mère à Inverness. Elle restait ma seule famille et moi la sienne, ce pourquoi il me paraissait nécessaire et évident de passer Noël auprès d’elle. Nous avions peu de choses à nous raconter à cause de notre différence, néanmoins les sourires suffisaient à combler le silence, et elle savait qu’au fond j’étais dans un élément qui me convenait. J’avais été un enfant turbulent que les établissements scolaires avaient profondément haï. Un incompris insolent comme il en existerait toujours. Puis j’avais reçu cette lettre de Poudlard et le visage de ma mère avait changé. Il ne s’était pas éclairé de joie ni effondré de tristesse, il s’était simplement métamorphosé pour n’afficher qu’une étrange et pâle douceur, comme ce que la couleur des cendres d’un feu éteint dans une cheminée, au milieu de la nuit, inspirait à celui qui s’endormait sur le fauteuil, bercé par la chaleur. Ma mère était belle en noir et blanc, elle faisait partie de ces femmes à qui il manquerait toujours quelque chose car elles avaient tout perdu, et pourtant elles souriaient tout de même puisque la vie ne les avait pas quittées. Elle était de cette génération d’abandonnées puisque les maris étaient morts à la guerre. Combien de frères et sœurs aurais-je pu avoir si mon père n’avait pas succombé à sa blessure ? J’avais de la rancune envers le monde sorcier pour ne pas lui être venu en aide et ensuite m’arracher à ma mère, peut-être doucement, peut-être en lui expliquant qu’elle ne pouvait pas faire autrement que l’accepter, mais le résultat était le même : j’étais sorti de son existence et chaque année nous trouvions de moins en moins de choses à nous dire, pourtant un lien intarissable nous unissait malgré tout et je l’aimais plus que tout au monde. Elle avait d’ailleurs été la première à voir les résultats de mes efforts acharnés. Je lui avais demandé de ne pas hurler et de garder en tête que ce n’était en rien dangereux. Mais j’avais voulu lui faire la surprise quelle que fût sa réaction. Je m’étais transformé en un renard roux aux muscles puissants et au regard intelligent sur le carrelage de sa cuisine et, sans que cela ne m’étonne particulièrement, elle s’était mise à hurler de terreur, se saisissant d’un couteau pour le pointer vers moi. J’étais resté muet pour ne pas l’effrayer davantage puis m’étais approché lentement sans que mes prunelles ambrées ne lâchent les siennes, l’obligeant à reconnaître l’âme de son fils au fond des pupilles d’un animal sauvage. Et ce qui dut se produire se produisit en effet, puisqu’elle reposa son arme improvisée et baissa sa garde pour se pencher en avant et s’accroupir. Elle s’était finalement assise à mes côtés et avait caressé la fourrure recouvrant mon visage comme une mère touchait son enfant à peine sorti du ventre sur un lit d’hôpital, avec cette même hâte, un amour curieux et charnel qui ne les quitterait plus jamais, dorénavant. J’avais enfoui mon museau entre ses bras et nous avions gardé cette position jusqu’à nous endormir, l’un contre l’autre, un soir semblable à celui que je vivais aujourd’hui en Amérique. Jamais elle ne pourrait oublier la chaleur de mon corps contre le sien, l’odeur singulière qu’il dégageait – sans que cette dernière soit particulièrement désagréable, elle était différente de celle de n’importe que être humain et de n’importe quel animal – ainsi que les battements de mon cœur dans ma poitrine canine, y reconnaissant là le cœur de son fils unique qu’elle pouvait reconnaître entre mille puisque seul celui-ci témoignait avec justesse de toute l’étendue de l’amour qu’il avait pour elle. Les lumières de l’avenue me paraissaient presque aussi brillantes et superbes que ce souvenir, mais la réalité m’en éloignait toujours un peu plus. J’avais une mission et ne pouvais faillir. Mes pas suivirent les lignes des pavés du trottoir et je bifurquai à l'intersection suivante, bénissant les Américains d'avoir élaboré un plan aussi simple pour une ville aussi grande. Je pouvais ainsi suivre à distance ma cible sans même avoir à me situer dans les rues qu'elle empruntait. Je le rattrapai ainsi, le voyant surgir à plus d'une vingtaine de mètres sur ma gauche et se diriger vers une enseigne que je reconnus aisément comme celle d'un cinéma. Cela faisait bien longtemps que je n'étais pas entré dans un tel établissement et je fouillai dans mes poches à la recherche des quelques dollars nécessaires pour m'acheter un billet. Je m'approchai de l'entrée mais me cachait dans le renfoncement d'une porte pour pouvoir l'espionner sans qu'il ne me remarque. Il s'était accoudé de manière désinvolte sur le rebord et mâchait tranquillement un chewing-gum en observant toutes les personnes qui l'entouraient une à une, ne les ménageant pas de son air hautain. Mes oreilles se firent attentive lorsqu'on lui demanda quel film il souhaitait voir et je relevai discrètement la tête pour remarquer avec une surprise gênée qu'il s'agissait d'un cinéma ne passant que des films érotiques. Ravalant ma fierté, je me décidai à m'avancer jusqu'au guichet à mon tour et baissai la tête, bredouillant le nom du film d'une voix confuse. On me tendit un morceau de papier et on m'indiqua la salle ainsi que le comptoir pour acheter mon pop-corn et une boisson. Je remerciai le vendeur d'un hochement de tête courtois puis rabattis mon attention sur la silhouette de ma cible qui disparut à cet instant derrière la porte de la salle que l'on m'avait indiquée. Je décidai de passer aux toilettes pour laisser un peu de temps puis pénétrai à mon tour entre les fauteuils, m'installant à l'avant dernier rang pour avoir une vue plus plongeante et globale du lieu. L'obscurité m'empêcha de détailler les formes qui se trouvaient devant moi et je me tassai sur mon siège, sortant de ma poche un petit carnet noir que j'ouvris entre mes cuisses. Je me saisis d'un crayon accroché à la doublure de ma veste puis de ma baguette que je pointai en direction du carnet en soufflant une formule : Aparecium. L'encre magique et invisible s'opacifia petit à petit, révélant en premier le nom du sujet ainsi que les informations primaires que le Ministère avait sur lui. Leviathan Faust. M'envoyer si loin pour une première mission n'avait pas franchement été la source de mon appréhension par rapport à ce que l'on m'avait raconté sur cette famille dont les tendances et les désirs restaient particulièrement flous aux yeux de l'administration anglaise. Les conflits nés de la Guerre Froide libéraient les mœurs politiques et le gouvernement magique n'avait pas hésité à embaucher des espions pour surveiller les deux blocs, même s'il se targuait d'appartenir à l'Ouest et de soutenir les Etats-Unis. La famille Faust était traître et soupçonnée de faire des affaires avec des mages noirs et trafiquait hypothétiquement des œufs de dragon en URSS, ce pourquoi une poignée d'Aurors avait été désignée pour garder chacun un œil sur les différents membres de cette lignée trouble. On m'avait attribué Leviathan et si cela ne m'avait fait ni chaud ni froid en Angleterre, c'était une toute autre histoire depuis que j'avais commencé mes recherches et ma surveillance à mon arrivée à New York. C'était un personnage profondément baroque, fréquentant à la fois les hauts lieux des milieux mondains de la ville, véritable dilettante voulant probablement appartenir au noyau d'esthètes et d'intellectuels modernes et atypiques qu'avaient vu naître les années 60, mais il passait à côté de cela son temps libre à traîner dans des lieux mal famés sans que je ne puisse y trouver de véritables explications. En tant que scientifique renommé, il avait le luxe de pouvoir s'offrir les produits des meilleurs apothicaires de la ville mais il tenait étrangement à se rendre dans des boutiques dont la réputation laissait à désirer puisqu'elles n'accueillaient apparemment que des mafieux bedonnants et des mages noirs aux intentions douteuses. Leviathan était donc un sacré mystère et réfléchir à son sujet me maintenait éveillé durant des nuits entières, si bien que je m'affaissai lentement entre les accoudoirs, plongé dans une somnolence que les images rougeoyantes du film pornographique qui commençaient à apparaître devant moi accentuèrent sans peine. Mon écriture me parut floue et je fermai les yeux, mes doigts s'enfonçant dans ma joue pour retenir ma tête et l'empêcher de tomber sur le côté. Je laissai échapper un premier ronflement qui retentit brusquement dans mon esprit et me fit me redresser subitement, constatant avec gêne que mon crâne avait reposé pendant plusieurs minutes probablement sur l'épaule de l'individu qui s'était assis à ma gauche. Je bredouillai une excuse confuse puis me concentrai sur l'écran pour ne pas croiser le regard de l'inconnu, mais les images de pénétration visqueuses qu'il vomissait me donnèrent la nausée immédiatement et je détournai le regard vers les contours lumineux de la porte de sortie. Ce ne fut qu'à cet instant que je me rendis compte que la salle était presque vide, ce qui signifiait que la personne présente à mes côtés s'était installée là parce que je m'y trouvais, et je me rappelai immédiatement que le public, quoique maigre, était composé de gens venus ici pour se masturber. Je me retournai immédiatement et constatai que l'homme m'observait, pourtant je ne fus pas confronté à un air lascif, des mains baladeuse et une érection, mais bien à une lueur profondément narquoise dans les prunelles de mon voisin qui resta silencieux et dont le sourire m'indiqua qu'il se moquait ouvertement de moi. Et un frisson d'angoisse me parcourut lorsque le changement d'angle de caméra dans le film modifia la lumière qui se reflétait sur ses traits et que je reconnus le visage du jeune Leviathan à quelques centimètres seulement du mien. Par réflexe, je portai ma main à la poche de mon pantalon pour en extirper ma baguette mais je sentis la pointe de la sienne pousser contre mon flanc. Il secoua lentement la tête pour me signifier de rester immobile. « Tu dors vraiment comme un bébé. » Je déglutis, incapable de prononcer le moindre mot tant l'étonnement et la peur m'estomaquaient soudain. Il était vrai que je ne m'y étais pas attendu et que malgré l'étrangeté qui marbrait le sol que les pas de Leviathan foulaient, je ne m'étais jamais posé la question de savoir s'il s'agissait de quelqu'un d'agréable et de diplomate ou bien d'un psychopathe de plus. Je penchai par défaut pour la seconde proposition, conscient que je n'avais pas étudié l'homme pour ce qu'il était mais pour ce qu'il faisait, et ma démarche me parut d'un coup bien incomplète même s'il s'agissait là des ordres du Ministère. Leviathan se tourna vers la toile sur laquelle était peinte à présent l'image d'un pénis éjaculant sur une poitrine opulente et il haussa les sourcils, amusé. « N’oublie pas de noter la chute surprenante de ce film dans ton joli cahier. » Sur ces mots sarcastiques, il me tendit la main et m’intima de lui donner le fameux carnet. J’hésitai mais il enfonça un peu plus sa baguette dans ma peau et je m’exécutai. Puis il fit un signe de tête en direction de ma propre baguette. Je serrai les dents avant de la sortir de ma poche et de la lui confier à contrecœur. Il feuilleta les pages, un sourire froid perché sur ses lèvres, laissant un soupir s’échapper parfois du fond de sa gorge lorsqu’il lisait l’une de mes remarques. « J’arrive pas à croire que j’ai réussi à te berner tout ce temps sans que tu t’en rendes compte. » Il referma mes notes d’un coup sec, soulevant dans l’air le parfum singulier du parchemin usé, et se tourna de nouveau vers moi. Je n’osai pas croiser son regard mais j’avais toute la peine du monde à rester concentré devant les scènes de pénétrations gluantes qui se déroulaient devant moi. « Tu me décris comme un vieux pervers. Comme quoi, j’étais vraiment convainquant. Tu sais que je suis allé dans un sexshop juste parce que je savais que tu m’y suivrais, c’était pas la peine d’écrire des pages entières sur ma possible frustration sexuelle. » Je déglutis, agacé, et protestai : « Tu racontes n’importe quoi. » J’avais prononcé cette phrase sur un ton outré et familier, comme un jeune frère n’acceptant pas les mots de son aîné moqueur. Il ricana doucement et haussa les épaules avant d’ouvrir de nouveau le cahier à la page datée de la semaine précédente. Adoptant un timbre solennel, il lut : « 18 décembre. Faust fréquente aujourd’hui un sexshop moldu. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu revenir à son appartement accompagné. Où est donc passé le jeune éphèbe de Brooklyn qui le suivait d’habitude dès la sortie de ses soirées mondaines ? J’ignore s’il a acheté quelque chose mais cet isolement soudain est peut-être révélateur. » J’avais retenu ma respiration durant sa lecture et mes poumons se vidèrent alors peu à peu de l’air qu’ils avaient contenu. J’admettais, en écoutant mes propres mots, que je m’étais perdu entre les différentes hypothèses que j’avais émis à son sujet depuis le début de ma mission. Mais je restai pourtant de marbre, le regard sévère pointé vers lui. « Tu boudes ? » Au-delà de sa répartie et de son assurance, c’était son air supérieur et bien trop intelligent qui m’irritait profondément. J’avais réussi à garder un semblant d’objectivité et d’indifférence à son égard, maintenant une distance de sécurité entre nous, mais à présent tout mon plan tombait en morceaux – y avait-il déjà eu un plan, véritablement ? Ou bien Leviathan avait-il simplement construit le labyrinthe dans lequel je me trouvais et tentais en vain de me repérer, changeant selon son humeur les issues en impasses et les raccourcis en détours ? Je penchai pour la seconde proposition, à en juger son expression railleuse. « Je devrais être celui qui fait la gueule, tu allais rentrer chez toi et raconter que je me branle devant des films pornos au cinéma parce que je me suis fait larguer. » Il était venu ici dans le seul but de me piéger et de me mettre mal à l’aise, et non par goût personnel. Une goutte de sueur perla sur mon front et je la chassai d’un coup de main que ses yeux perçants suivirent avec légèreté. « Viens. » Il se leva et je l’imitai sans réfléchir, prenant sa suite entre les rangées de sièges pour laisser la salle désormais déserte. En passant devant le guichet, Leviathan posa une main sur mon épaule et jeta un regard au vendeur dont le visage se crispa en un rictus discret dans ma direction. Je fronçai les sourcils en comprenant le sous-entendu qu’ils s’échangèrent tacitement mais n’eus pas le temps de dégager la paume de mon voisin pour garder un semblant de contenance et parer l’énième moquerie du sorcier. Déjà il m’entraînait sur le trottoir et nous transplanâmes lorsque nos silhouettes furent enveloppées des ténèbres urbaines, dans l’entre-deux que l’éclairage lugubre des lampadaires ne pouvait atteindre.
night two ; Le visage de Jawhar me parut fermé lorsqu’il pénétra dans ma cellule et s’installa à la table pour me servir à manger. Je devinai pourquoi. Il restait probablement sur sa faim quant au souvenir que j’avais accepté de lui faire voir, son esprit vagabondant encore dans les rues de l’immense métropole qu’était New York car il se remémorait ses pas de fantôme qui m’avaient suivi jusqu’au cinéma. Il resta silencieux alors que j’engloutis la première bouchée d’un bœuf en sauce, toujours sans l’aide des couverts que mes deux gardiens s’évertuaient à apporter malgré ma réticence. Il me fixait avec rigueur et je finis par croiser son regard, sucer mes doigts pleins de nourriture puis soupirer d’un air navré. « Tu pensais que j’allais direct te balancer ma vie entière ? » Je laissai mon corps reposer contre mon dossier pour l’observer avec un peu plus de recul. « Je place un contexte mais j’explique ce que je n’ai pas envie de montrer, libre à vous d’y croire ou de me prendre pour un menteur. Cela dit, je tiens à préciser que depuis deux jours, je n’ai dit que la vérité. » Il ouvrit le feuillet de parchemins me concernant devant lui et je pus y repérer une photographie de Leviathan marchant dans un couloir que je reconnus comme celui qui bordait l’une des cours intérieures de Poudlard, délimité par des arcades en pierre dont les voussoirs étaient ornés de gargouilles et de dragons se rejoignant en une clé de voûte pointue, courbée comme un as de pique. « Dites-moi ce qui s’est passé après votre rencontre, Eachan. » Mes semelles frottèrent les dalles sur le sol et je m’accoudai au rebord pour adopter une posture moribonde, rien que pour l’agacer et étirer le temps jusqu’à l’extrême. C’était ma seule arme, l’unique moyen pour moi d’avoir l’impression d’être leur égal. Mais la réalité me rattrapait toujours car elle ne pouvait sortir d’entre ces quatre murs. « On a baisé. » Jawhar haussa les sourcils, non pas étonné que cela puisse arriver mais surpris que je le dise avec si peu de retenue. « Non, je déconne, finis-je par préciser dans un sourire narquois et le jeune homme ne broncha pas. Mais le mieux reste qu’à tes yeux ça ne soit pas impossible. » Et je ne m’attribuais aucun mérite. Tout aurait pu arriver lorsque il me fit transplaner à ses côtés et je me souvins que, dans la fraction de seconde durant laquelle il opéra cette téléportation improvisée, j’avais su ce que c’était que de ne rien comprendre, de ne pas savoir où mes pas me dirigeaient, d’avancer les mains liées et les yeux bandés vers l’inconnu. Les sang-purs qui m’avaient pris comme souffre-douleur durant toute ma scolarité n’avaient pas réussi à faire en plusieurs années ce que Leviathan parvenait à accomplir en une poignée de minutes et je me rappelai le claquement sec de ses doigts qu’il avait tenu à faire avant de transplaner, marquant ainsi le peu de temps qu’il lui avait fallu pour se jouer de moi et avoir une main mise sur mon destin. Certes, il ne connaissait pas mes capacités d’animagus mais il avait agi avec la certitude et l’assurance d’un homme qui savait d’avance qu’on ne refuserait pas les propositions qu’il ferait. Et il avait vu juste. « Leviathan se moquait éperdument d’être surveillé par un quelconque gouvernement. Il se considère encore aujourd’hui comme largement plus intelligent que tous les individus qui peuplent cette planète, s’il avait voulu semer le novice que j’étais, il l’aurait fait. Mais il a décidé de venir à ma rencontre et de changer les règles du jeu, c’est tout. » Jawhar nota quelque chose en-dessous de l’image du Faust puis reporta son attention sur moi. « Il a décidé qu’au lieu de m’espionner, je pouvais l’accompagner là où il allait sans me cacher, parce qu’il était parfaitement conscient, à la différence du Ministère, que sa famille et lui-même étaient assez puissants pour que les autorités magiques du Vieux Monde ne puissent jamais mettre la main sur lui. Ce que je n’ai jamais véritablement compris, c’est pourquoi il ne m’a pas tout simplement dit d’aller me faire foutre. Il n’est pas très friand d’Aurors, je parie qu’il devait juste bien aimer ma gueule de jeune premier. » Après tout rien ne l’avait forcé à me laisser trainer dans ses pattes et je savais aujourd’hui qu’il aurait aisément pu se débarrasser de moi, étant donné la facilité avec laquelle il s’était emparé de ma baguette et avait ruiné toute ma mission. A l’époque, sa proposition m’avait d’ailleurs paru incongrue, presque incompréhensible, ce pourquoi j’étais resté sur mes gardes, suspicieux. A présent que j’y réfléchissais avec une existence comme la mienne me séparant de ces instants de pure naïveté, la réaction de Leviathan, même si elle gardait un soupçon de mystère qui ne se laisserait jamais percer par quiconque, me procurait l’étrange sensation d’une douce familiarité : je n’en comprenais pas les raisons mais c’était parce que je connaissais Leviathan que j’étais à même d’en saisir un sens, une logique. « Et donc je l’ai suivi là où il allait, dans ses soirées chics et new-yorkaises, dans ses bars au fin fond des ghettos, sirotant en sa compagnie des cocktails que les elfes de maison avaient inventés pour lui spécialement et qu’il était le seul à pouvoir commander, le regardant danser avec la ville entière parce qu’il en était le roi tapis dans l’ombre, sans que personne ne le sache vraiment. Ou bien il s’en donnait l’air. » Je voulais peindre à Jawhar un portrait surprenant du personnage, les fissures d’en seraient que d’autant plus visibles ensuite lorsque j’allais être amené à parler de l’envers du décor. « Leviathan a poussé, volontairement ou non, son caractère à l’extrême. J’ai vécu durant plusieurs semaines à ses côtés, j’ai fini par comprendre qu’il jouait presque la comédie dans ses airs maniérés et sa profonde inconscience. S’il se réveillait de bonne humeur le matin, tout le monde pouvait être sûr que la journée allait être bonne parce qu’il lui suffisait d’un regard bourré de charisme pour redonner le sourire à n’importe quelle âme en peine. Mais au contraire, s’il se levait du mauvais pied, personne ne pouvait rien dire et à la moindre remarque, son interlocuteur pouvait se faire incendier sans entendre passer dans le timbre de Levi une once de scrupule. Il brillait dans l’art d’être au centre de l’attention mais aussi dans celui de détruire verbalement ceux qu’il méprisait. Et j’étais immunisé parce que j’étais juste une ombre dans le décor, comme si chaque parole qu’il m’adressait était un aparté qui ne comptait pas vraiment. Je ne faisais pas partie de sa réalité, tel un nègre écrivant les mémoires d’un souverain qui s’avérait en réalité être un fantoche. » Ma langue se déliait soudain car c’était soulageant de voir se déverser tous ces sentiments contradictoires hors de mon cœur meurtri. « Mets-toi à ma place Shafiq, tu aurais aussi été obnubilé par ce type. » Il ne répondit pas mais la lueur qui siégeait dans ses prunelles ne me trompa pas. Je savais que ce n’était pas moi qui était trop facilement influençable mais bien Levi, et Levi seul, qui savait manipuler n’importe qui, présentant à chacun une facette de sa personnalité pour pouvoir s’adapter à toute situation. En ce qui me concernait, il ne m’avait peut-être pas ménagé, mais cela s’était déroulé d’une toute autre manière car il ne se posait pas la question de m’estimer ou non. J’étais présent, de toute façon, et ça l’amusait de parler à quelqu’un. En vérité, si j’avais appris quelque chose de Leviathan Faust durant cette mission, c’était que malgré sa popularité et son charisme, il s’agissait d’un homme qui se sentait profondément seul et je l’avais surpris plus d’une fois à me parler sur un ton complaisant, plus sincère et profond que d’habitude, prenant goût à cette enquête sur lui-même dont il s’était finalement chargé en me prenant sous son aile, la changeant petit à petit en pure introspection. Il ne s’était certes jamais assis auprès de moi pour me dire qu’il avait besoin de parler et je ne m’étais jamais improvisé psychologue ou confident car un faux pas de ma part et il s’en retournait immédiatement au cynisme le plus insolent, mais j’avais parfois été étonné par des aveux justes et ponctuels sur ce qu’il avait ressenti lors de différents évènements, même s’il avait systématiquement enchaîné avec une blague assez caustique pour que la profondeur de ses mots se dissipe et qu’il brouille les pistes afin que je ne puisse le suivre jusqu’aux confins de son esprit tourmenté. « Et pourquoi n’avez-vous pas gardé contact avec lui une fois de retour en Angleterre ? Vous ne vous considériez pas comme ce qui se rapproche le plus d’un ami pour lui ? » Je souris paisiblement, mon doigt passant sur le bord de l’assiette pour en cueillir un peu de sauce que je portai à mes lèvres avant de répliquer : « Parce que Leviathan Faust ne se soucie guère des autres et des risques qu’il fait prendre aux autres. Et il finit toujours par se moquer de l’attachement que l’on peut éprouver à son égard. Fais le calcul, la relation n’avait aucun équilibre. » J’avalai presque sans mâcher une bouchée de bœuf puis poursuivis d’un ton neutre, factuel : « Il avait trouvé une sorte de relique que l’on estima originaire des tribus des Natifs, au Canada. Un objet magique plutôt mystérieux, mais très certainement puissant, et il l’avait acquis lors d’une soirée dans un club sorcier du Bronx, fréquenté par des braconniers et des mafieux. Malgré les avertissements des antiquaires et des spécialistes de la magie amérindienne, il a tout de même tenu à exploiter le potentiel de l’objet parce que oui, il restait un Faust et que je devais à l’origine le surveiller pour une raison comme celle-ci : le fait qu’il n’en faisait qu’à sa tête sans penser une seconde aux conséquences. » Les souvenirs refaisaient surface un à un mais je les chassai pour en retrouver un autre, plus précis, plus subtil. « Appelle la Londubat. Je ne veux pas que tu vois ce souvenir, sinon ça va faire des jaloux. » Et l’idée d’avoir une personne foulant ma mémoire m’était déjà hostile, je refusais ainsi qu’ils soient deux à danser dans la pensine pour y disséquer mes sentiments. Jawhar se mordit l’intérieur de la joue et finit par hocher la tête avant de se lever en laissant sur la table ses notes. Mais elles ne m’intéressaient pas puisque je connaissais déjà les faits et que ce qu’il en pensait lui avait attrait au jugement, ce que je ne permettais pas. Il claqua la porte et je replongeai mes doigts dans mon assiette, figeant mes muscles dans la pénombre et me concentrant pour mâcher et tenter de profiter un instant du goût de la viande sur mon palais, mais j’avais une boule au fond de la gorge qui me donnait la nausée, accrochant mes pensées à ces instants que j’avais rangé depuis longtemps au fond de mon crâne mais qui ressortaient à présent car ils m’avaient forgé tel que j’étais aujourd’hui, aussi violemment qu’un coup de marteau dans une roche immaculée.
1968 ; J'ouvris les yeux. Je crus un instant être devenu aveugle mais je me forçai à ne pas refermer les paupières pour m'habituer à la pénombre. J'ignorais l'heure qu'il était et je voulus relever la tête pour observer ma montre, cependant une douleur sans précédent traversa ma mâchoire. Petit à petit, ma mémoire se reconstruisit et retrouva un ordre certain des événements récents. Je parvins à rouler sur le dos en poussant un râle sombre et sauvage, constatant que j'avais repris forme humaine mais ne me rappelant pas l'instant où cela s'était produit. Je plaquai mes mains contre le sol et poussai dessus pour parvenir à me redresser. Mes gencives me brûlaient terriblement et je portai une paume tremblante à mes lèvres, le bout de mes doigts s'humidifiant soudain. J'y jetai un coup d’œil furtif : du sang coulait de ma bouche par longs filets que le col de ma chemise épongeait avec peine. Le rouge avait dessiné comme les rayons d'un soleil écarlate autour de mon cou et quelques gouttes avaient perlé jusqu'à mon ventre. J'essuyai du dos de ma main mon menton, conscient que le sang recouvrait également une partie de mes joues car la sensation collante du liquide vermeille séché contre la peau était reconnaissable entre mille. Je m'accroupis et me relevai tant bien que mal pour pouvoir observer ce qui m'entourait : une lumière inhabituelle éclairait la pièce où je me trouvais et bientôt, les nuages de poussière se mêlèrent au ciel qui s'étendait au-dessus de moi. Je m'avançai sur le parquet, hésitant, les jambes alourdies par le poids de mon corps à moitié mort, mais je m'arrêtai lorsque les planches devant moi ne semblèrent pas se poursuivre. L'odeur asphyxiante de la fumée emplit mes poumons fragiles et je compris qu'une partie de l'endroit où je me tenais venait d'être réduite en cendres. Je crachai d'un air morose sur le parterre calciné, le décorant ainsi de ma salive pourpre au goût de rouille. Arrivé au bord de la ruine, je pus observer en bas une foule de personnes qui s'était amassée autour de l'immeuble. Moldus ou sorciers, je l'ignorais et cela n'avait aucune espèce d'importance. Je fis volte-face et claudiquai jusqu'à l'extrémité de la pièce. « Lumos » prononçai-je dans un souffle épuisé après avoir sorti ma baguette de la poche de ma veste. Le corps inerte de Leviathan apparut sous mes yeux à mesure que la lumière éclairait les détails de la scène qui s’était déroulée devant mes yeux. Je plongeais peu à peu dans la réminiscence et pus entendre le brouhaha et les cris des passants terrifiés. Je m’agenouillai aux côtés du sorcier inconscient et vérifiai rapidement si son pouls battait toujours, ce qui était le cas. Je poussai un soupir de soulagement en le constatant puis me redressai et pointai ma baguette dans sa direction pour le soulever et le porter jusqu’à son lit. Il grogna lorsque je plaçai la couverture sur ses épaules. Je pris le temps de m’assurer qu’il n’avait pas froid, la peau brûlante de son front m’indiquant que non, avant de me transformer en renard et de gagner la salle de bain entre les ruines. Je savais que nous ne pouvions pas rester là mais le sommeil lourd dans lequel Levi était plongé me laissait sceptique quant à la possibilité de transplaner. Je grimpai agilement sur le rebord de la baignoire et poussai la manette du robinet pour l'ouvrir et en approcher mon museau ensanglanté. Mes griffes raclèrent la porcelaine de l'évier et l'eau qui y coula rougit en passant sur mes plaies. La douleur de ma mâchoire était plus supportable sous cette forme car c'était en renard que j'avais été blessé. Retrouver mon corps humain étirait les blessures que l'on m'avait infligées, ce qui me brûlait d'autant plus. Ce n'était peut-être pas le plus pratique mais je pouvais contenir ma peine plus longtemps et garder ainsi un peu plus d'endurance. Je me rappelai la chaleur étouffante que j'avais ressentie en attrapant la cause de ce désastre entre mes crocs. Leviathan, encore une fois, s'était montré téméraire, comme un enfant ne voulant pas suivre les règles juste pour montrer qu'il savait emmerder le monde comme personne. Son insolence avait eu raison de lui et cela se lisait sur les traits figés et moribonds que son visage présentait. Le Kanyahte'Ka'Nowa, aussi appelé hochet-tortue, avait soi-disant le pouvoir de faire trembler les montagnes car selon les religions amérindiennes, le monde se trouvait sur la carapace d'une tortue géante avançant dans les étoiles. La puissance de ces reliques entraînait généralement leur conservation à l'abri d'une quelconque utilisation mais certaines s'étaient perdues en route, notamment celles qui n'avaient pas quitté leur village d'origine jusqu'au pillage de ces derniers par des mages aux intentions douteuses. Et c'était le cas de celle qui s'était retrouvée dans les mains de Leviathan, ce dernier descendant d'une lignée amérindienne par sa mère. J'avais su qu'il manigançait quelque chose assez vite car dès qu'il travaillait sur un projet palpitant, je reconnaissais toujours la lueur fébrile qui scintillait dans son regard sombre et le tremblement significatif de ses mains, trahissant son excitation. Mais cette excitation allait de pair avec sa profonde insouciance, voilà ce qui l'avait conduit à se retrouver inerte sur le sol de son appartement alors qu'il avait tenté d'exploiter le pouvoir de ce hochet sacré. L'objet, réveillé par de dangereuses formules, lui avait aspiré une partie de son énergie vitale puisqu’il l'avait tenu à mains nues, sans prendre aucune précaution. Il avait été comme frappé par la foudre. Alerté par le fracas, je m'étais précipité à la porte de son laboratoire pour comprendre ce qui se passait mais malheureusement, cette dernière était protégée par un sortilège qui m'avait ralenti car j'avais dû trouver le moyen de contrecarrer la protection. J'avais pénétré dans le bureau de Levi en changeant de forme pour que ma légèreté me guide plus rapidement jusqu'à lui, cependant le mal avait été fait et j'avais vite compris que le hochet-tortue qui brillait d'une lumière aveuglante à quelques pas de ce que j'avais pris pour le cadavre du jeune Faust me prendrait la vie également si je ne l'éloignais pas de nous au plus vite. Je l'avais donc attrapé entre mes crocs et j'avais eu l'impression, l'espace de quelques instants bien trop longs, de tenir dans ma gueule des braises ardentes gonflant ma mâchoire de cloques, si bien que j'avais dû lâcher le hochet dans un coin de la pièce et concentrer mes efforts sur Leviathan lui-même, reprenant forme humaine afin de le porter tant bien que mal sur mon dos et gagner la sortie. Trop tard, bien évidemment, pour nous protéger de l'explosion qui détruisit un bon morceau de la façade de l'immeuble, nous perdant ainsi dans un labyrinthe de décombres et de poussière. La fraîcheur de l'eau calma les brûlures sans faire disparaître la douleur mais je n'eus pas le temps de m'attarder sur les détails car déjà j'entendis les membres d'une autorité quelconque – magique ou moldue – défoncer la porte d'entrée de l'appartement pour constater les dégâts et s'assurer que personne n'était mort dans l'explosion. Des connexions surgirent dans mon esprit et je sus qu'il fallait s'échapper au plus vite, si bien que je regagnai la chambre de Leviathan, me transformai en homme et le redressai en chassant la couverture de sa poitrine, ignorant les grognements qu'il émit, même évanoui, pour manifester la douleur que ces mouvements brusques infligeaient à ses muscles ankylosés. « Désolé mon vieux, tu ne vas pas aimer ça mais c'est nécessaire. » grommelai-je avant de disparaître, l'emportant avec moi. Nous arrivâmes à l'appartement que j'avais moi-même loué pour les mois que j'allais passer à New York mais que je n'utilisais plus depuis déjà plusieurs semaines puisque Levi m'avait accueilli chez lui avec cet altruisme faux et nonchalant qui le caractérisait : il n'avait pas cherché à me faciliter particulièrement la tâche en m'invitant à habiter à ses côtés, ni à rendre ma vie plus confortable, mais au contraire il gardait ainsi constamment un œil sur ce que je faisais et avait le loisir de passer ses nerfs sur quelqu'un dès qu'il en avait l'occasion, sans parler des fois où il s'était simplement moqué de moi pour se divertir. Je ne comprenais pas la place que j'avais dans son esprit, ni d'ailleurs si j'en avais réellement une ou si selon lui j'existais à moitié, seulement lorsque je me retrouvais seul à ses côtés. Il se recroquevilla et j'essuyai avec le bout de ma manche la salive ensanglantée qui perlait de ses lèvres, le transplanage ayant eu un effet négatif sur son organisme déjà faible, comme je l'avais prévu. « T'avais pensé au fait que le médicomage dans l'histoire, c'est toi ? Pauvre con. » fulminai-je à son attention, impuissant. Je lui en voulais. Terriblement. Parce qu'il m'avait certes traité d'une étrange façon, faisant de moi à la fois son petit privilégié et son bouc émissaire, mais il avait été la première personne à me prendre en compte, même si je ne connaissais pas bien mon rôle dans son histoire. Et je m'étais attaché à son caractère et ses manies grandiloquentes, son regard vif et ses piques sarcastiques, me demandant comment on pouvait être aussi cynique à son âge alors qu'il ne connaissait manifestement rien à la vraie vie, celle que les véritables cyniques critiquaient avec tant d'amertume en jouant avec comme un chat face à une pelote de laine. Non, il ne connaissait rien de la valeur de cette vie qu'il avait tenue du bout des doigts au-dessus du précipice. Il ne connaissait rien de la valeur de cette vie qui ployait sous son regard de conquérant, éminent scientifique qui se permettait de briser des codes incassables, ou du moins le croyait-il naïvement. Il ne connaissait rien de la valeur de cette vie et je voulais la lui rappeler ce soir mais j'avais peur qu'il ne soit trop tard. Je l'installai dans mon petit lit et allumai la lampe de chevet qui éclaira la pièce d'une lumière douce et tamisée par l'abat-jour blanc-cassé qui couronnait sobrement l'appareil. Je passai un chiffon d'eau sur son front brûlant et ses mains qui finirent par se détendre puis cherchai dans mes papiers des recettes pour des potions ou des onguents qui lui permettraient d'aller mieux avant de me rendre à l'évidence : il avait besoin de l'aide d'un professionnel. Je n’avais même plus d’essence de Murlap pour soigner mes propres blessures. Je finis par m’asseoir sur le sol, non loin de lui, et m’endormir ainsi bercé par les sifflements de sa respiration difficile, épuisé par les récentes péripéties. J’ouvris les yeux. Leviathan m’observait, installé en tailleur sur les draps, les cheveux ébouriffés par le sommeil agité dans lequel la relique l’avait plongé. Je me redressai avec peine et m’adossai au mur pour retrouver un peu de contenance mais serrai les dents car la douleur de mes plaies s’éveillait de nouveau, oscillant au rythme de mon existence. Je voulais qu’il parle. Je voulais qu’il s’excuse. Je voulais qu’il reconnaisse qu’il avait eu tort. Cependant la lueur qui siégeait dans ses prunelles opaques m’indiquait d’avance qu’il ne ferait rien de tout cela. « J’ai bien fait de t’inviter à vivre chez moi. Cet endroit est vraiment un trou à rats. » J’inspirai lentement pour garder mon calme tandis qu’il poursuivait son discours qui sonnait déjà faux à mes oreilles. « Où est le Kanyahte'Ka'Nowa ? » Je haussai les sourcils, presque surpris qu’il soit aussi direct, aussi intransigeant et pragmatique, se moquant du reste alors qu’il n’y avait que ça dorénavant, le reste. Et Levi, tu sais ce que c’est, ce reste. C’est tout ce qui n’a aucune importance à tes yeux et qui devient l’océan au milieu duquel émerge ton îlot de cécité, celui qui te rend inconscient et irresponsable, celui qui te fait oublier les conséquences de tes actes. Prépare-toi à la noyade. Son air supérieur et sa mauvaise humeur court-circuitèrent ma raison si bien que je bandai mes muscles pour me relever et m’élancer dans sa direction. En sautant, je me transformai en renard et mes pattes avant le percutèrent de plein fouet, le projetant en arrière avec toute la force que la colère était capable de générer en moi. Le poids de mon corps sur sa poitrine l’empêcha de bouger et, pour la première fois depuis notre rencontre, je lus de la peur sur son visage, née d’un profond étonnement face à ma réaction. Je l’avais sauvé, je pouvais le tuer si j’en avais envie et il comprenait enfin que je n’étais pas une ombre sur le tableau de son existence mais bien une toile parallèle à la sienne dont les détails et les teintes témoignaient d’une profonde violence qui m’avait ramené à l’état sauvage. Il savait que j’étais un Animagus depuis qu’il connaissait mon nom, ayant immédiatement fait des recherches à mon sujet pour ne pas laisser entrer dans sa vie un parfait inconnu. Mais, jusqu’à cet instant, cela n’avait été qu’une mention sur mon dossier. A présent, il lisait la rage intérieure qui m’animait sur mes crocs luisants, le sang de mes blessures parfumant mon haleine de rouille et de carnage. Je le détestais. Et j’aboyai pour lui faire comprendre, incapable de prononcer le moindre mot sous ma forme canine. Et il le comprit comme il n’avait jamais compris un sentiment humain auparavant. Il le comprit, tendant ses muscles qui le tiraillaient tant qu’il poussa un gémissement de douleur, mais je fis abstraction de tout ce qu’il pouvait ressentir le temps d’une poignée de secondes, assez pour lui montrer ce qu’il faisait aux autres, perpétuellement. Il le comprit et se racla la gorge afin de trouver le courage ainsi que la force de me parler : « Je sais ce que tu attends de moi Eachan. » Ma poitrine se soulevait au rythme de ma respiration et mon souffle sonnait comme un vent funéraire en glissant sur son visage. « Mais si je te l’accordais, je ne serais plus ce connard de Levi. » Ses lèvres s’étaient étirées en un mince sourire narquois, habillant son regard plissé d’une faible lueur nommée sarcasme. J’avais besoin de ses excuses et je n’avais qu’à mordre son épaule de toutes mes forces pour le forcer à les prononcer. Je n’avais qu’à lui faire du mal et secouer moi-même sa langue contre ses dents afin de l’entendre siffler une once de regret. Je n’avais qu’à l’obliger à me donner ce que j’attendais de lui et ce qu’il était si réticent à laisser paraître dans son esprit. Voilà que les euphémismes lui sauveraient sa peau de mes griffes acérées. Je le détestais. Je repris forme humaine brusquement, agenouillé sur lui, les yeux bordés de larmes. Et je n’hésitai pas une seconde de plus, serrant le poing et l’écrasant violemment contre sa joue brûlante. Il ne tint pas le choc et s’évanouit, son nez faisant éclater des bulles de sang à chaque fois qu’il expirait. Je me relevai, le poing toujours fermé, cherchant à trouver ma place devant son corps de nouveau immobile et couché sur le lit d’un inconnu. Car après tout, n’étais-je pas qu’un inconnu de plus dans sa vie ? Cela me surprenait qu’il se soit souvenu de mon prénom. Je n’y trouvai pas ma place et titubai jusqu’à la porte de sortie, gagnant la rue enneigée et m’enfonçant dans le clair-obscur vespéral de Manhattan en tentant d’oublier en vain ce connard de Levi qui venait de me persuader grâce à un unique sourire frémissant qu’il valait mieux qu’il reste lui-même, car sinon il n’aurait pas été si attachant, car sinon je n’aurais peut-être pas risqué ma vie pour sauver la sienne.
Dernière édition par Eachan Reid le Mar 30 Mai - 19:55, édité 12 fois |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:20 ( #) | [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
(part three ; [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]) Black has depth. It's like a little egress; you can go into it, and because it keeps continuing to be dark, the mind kicks in, and a lot of things that are going on in there become manifest. And you start seeing what you're afraid of. You start seeing what you love, and it becomes like a dream.
day three ; Ils savaient me faire languir. C’était devenu un jeu que de voir mes geôliers disparaître derrière la porte, mon souvenir sous la forme d’un filet argenté piégé dans une sorte de tube à essai magique, réceptacle tout particulier pour ce genre d’exercice. Le sortilège provoquait en moi de légers frissons derrière la tête, comme des chatouillis presque agréables et je ne pouvais m’empêcher à chaque fois d’imaginer les mains fines et douces de Rosemary me masser tendrement le crâne. Ils avaient vu mes regards lascifs débordant de sous-entendus, je n’avais certes aucune excuse pour me comporter ainsi mais au-delà de l’attraction presque naïve que j’éprouvais pour l’unique femme m’ayant adressé la parole en neuf ans, la jolie Londubat possédait quelque chose, dans son teint ou son allure, qui m’inspirait confiance comme cela ne m’était que trop rarement arrivé. Je m’en mordais les doigts car je savais que sans cela, j’aurais été moins docile. Quel piètre animal sauvage j’étais. Incapable de dévorer ses ennemis et de s’échapper de cette cage matérielle. Rien ne devait m’arrêter si ce n’était la Nature elle-même. J’avais déjà compris que j’allais en dire d’avantage à Rosemary, même si les joutes verbales qui sévissaient entre Jawhar et moi réchauffaient le sang dans mes veines et me rappelaient l’homme que j’avais été autrefois. Rosemary, néanmoins, était comme l’allégorie d’un sentiment étrange, personnel et indescriptible, si bien qu’elle ne se doutait probablement pas qu’elle m’évoquait une telle idée : il s’agissait d’un mélange, en réalité, les fils de différentes émotions brodées entre eux pour coudre le tissu qui enveloppait mon esprit fragmenté afin que les morceaux ne s’éparpillent pas dans le néant. Ou bien s’agissait-il de souvenirs liés à ces fameuses émotions ? La nuance était trop subtile pour que je le sache, voilà ce qui rendait la chose d’autant plus belle car d’autant plus mystérieuse, chuchotée telle un secret dans le vent qui l’emporterait aux confins de l’infinité du monde. Où as-tu appris à parler avec tant de poésie, Eachan ?Entre les bras oniriques de ma mère lorsque je rêvais d’elle la nuit, son visage d’acrylique orné d’une bouche lyrique dont les chants chutaient dans mes oreilles en myriades de murmures cristallins. Dans les bois écossais se changeant en forêt aux parfums de mousse, d’étoile et de pétrichor sous mes yeux de goupil émerveillé, car oui j’avais vu la mer, oui j’avais vécu de longues veilles et oui j’avais assisté à de telles merveilles que l’œil humain rejetait au plus profond de lui-même pour ne pas avoir à affronter la responsabilité d’avoir été forgé dans la noblesse de la Nature, et donc de devoir en être digne. Le long de la courbe des aurores boréales que j’avais admirées au cap nord de mon pays, aquarelle mouvante et céleste dont je n’avais jamais voulu connaître la cause car tout était plus beau lorsque l’on en conservait le mystère, terreau fertile où l’on semait les graines qui donneraient des fleurs aux couleurs de ce qui nous reliait tous à travers le temps et l’espace : la Magie. Voilà peut-être comment résumer ce que les pommettes saillantes et la peau onctueuse de Rosemary m’inspiraient : l’extase de ne pas savoir d’où venait la poésie, la beauté ou la Magie car c’était leur mystère qui les rendaient si uniques. L’intéressée ne tarda pas à faire son apparition dans la pièce, m’apportant un sobre sandwich au saucisson dans lequel je m’empressai de mordre goulûment, mon palais se réhabituant petit à petit à toutes ces saveurs de plats cuisinés dont j’avais été privé durant de si longues années. Les rongeurs crus et les plumes des oiseaux morts sous mes griffes n’avaient pas été le point fort de mon aventure même si je m’étais vite plié à ce que m’ordonnait la Nature par souci de survie. « Vous êtes rentrés au Royaume Uni après ça ? Ou bien votre mission ne s’est pas achevée immédiatement ? » Je mâchai consciencieusement en adoptant un air sérieux qu’elle pouvait lire dans mes sourcils froncés. Son ton me paraissait conciliant, empathique, comme si elle me consolait d’une rupture. « Non, j’ai pas tout de suite laissé Levi dans sa merde. Il me devait des excuses et il me les a données. »Après tout, je choisissais soigneusement mes souvenirs pour dramatiser d’autant plus mon passé. Aucun récit n’était désintéressé. Et j’adorais entendre leur ton trahissant toute la pitié qu’ils avaient pour moi car ainsi, je pouvais me rappeler à quel point ils se sentaient supérieurs à moi, à quel point nous n’étions pas du même monde et à quel point je les méprisais malgré tout. Je sortis de ma poche un objet que je déposai sur la table, la lumière se reflétant sur la couche de verni et révélant sa nature : il s’agissait d’un magnet-souvenir de New York en forme de Statut de la Liberté, mal peinte car faisant partie d’une chaîne de produits tous identiques et n’ayant pour but que de voler aux touristes le peu d’argent qu’il leur restait au bout de quelques jours aux Etats-Unis. Rosemary me jeta un regard perplexe. « Il vous a offert un aimant ? » Elle n’y croyait bien évidemment pas car l’affaire était risible mais la victoire revenait de nouveau à Levi puisque même ici, même tant d’années après, même devant de parfaits inconnus, son humour nous faisait sourire d’un air navré, comme forcés de réagir car le niveau de la plaisanterie n’allait pas bien loin. Ba dum tss, merci Levi.« Oui, il voulait que je pense à lui tout le temps, et surtout devant mon frigo. » Je laissai échapper un ricanement amusé qui eut un écho dans le regard de Rosemary. Il brillait d’une intensité différente car elle se laissait divertir par mes remarques de cynique désabusé. Après tout, elle ne risquait rien. « En vérité, Leviathan en a fait un portoloin. A usage unique, bien évidemment, en direction de son nouvel appartement dans lequel il ne tarda pas à investir puisque son ancienne demeure était réduite en cendres et qu’il était hors de question pour lui de passer un jour de plus dans le taudis que j’avais loué. Ce connard a même eu des primes de dédommagement pour accident ménager involontaire car il a réussi à faire croire aux Moldus que c’était une fuite de gaz dont il n’était pas responsable qui avait provoqué l’explosion. » Je haussai les épaules avec désinvolture. « Je crois qu’il avait beaucoup d’estime pour moi, même s’il faisait tout pour feindre l’indifférence. Après tout, Leviathan Faust n’est pas du genre à faire des cadeaux à tout le monde. » Elle acquiesça d’un air absent. Elle attendait la suite à présent, puisque ce chapitre prenait fin. Elle attendait ce que je leur avais promis en brandissant mes bras marbrés de ces traces violacées rappelant les sillons que j’avais creusés dans ma peau en la labourant à coup d’aiguilles. « Puis vous vous êtes rendu en France. » Je soupirai d’exaspération face à cet euphémisme qu’elle se forçait à employer pour ne pas qualifier ce qu’elle ne connaissait pas encore. N’importe qui aurait fait la même chose à sa place, je ne la tenais pas rigueur de son politiquement correct. « C’est ça ouais. »Mon timbre était nonchalant et je changeai de position sur ma chaise sans pour autant en adopter une qui soulignait le quelconque respect que j’aurais dû avoir pour elle. « Après je me suis rendu en France, comme tu dis. » Et après, malheureusement, je me souvenais de tout. 1968 ; Elle fit glisser le dossier jusqu’à moi et l’écriture rouge qui en ornait la couverture m’alarma. Je relevai le regard, interrogateur, mais elle hocha lentement la tête pour m’inciter à ouvrir et lire la première page. Je m’exécutai, mes doigts passant lentement sur le parchemin et mes yeux lisant les premiers mots : Nom : Alistair Leopold Melville Âge : 28 ans Date et lieu de naissance : le 20 août 1940 à Belfast S’en suivait une liste d’informations objectives sur le physique et l’existence de cet individu dont la photographie était jointe aux pages du dossier. Un rouquin dont les yeux en amandes m’observaient d’un air de défi, puis il tournait la tête pour briser le lien visuel et regarder au loin. Je reposai les parchemins sur la table et relevai mes prunelles dans celle de mon interlocutrice. « Vous voulez que je sois irlandais ? » La page suivante concernant la vie cachée de Melville en tant que membre de la mafia magique irlandaise depuis sa sortie de Poudlard. Il était notamment soupçonné de trafic de drogue et de prostituées depuis l’Europe de l’est, s’occupant en particulier de la marchandise lorsqu’elle traversait la frontière française pour son escale à Paris. « Nous voulons que vous soyez discrets, M. Reid. » Ma mission était simple : le Ministère m’avait fourni une liste d’une poignée de personnes affiliées à la mafia française que je devais mettre hors d’état de nuire. Des politiques parlant en euphémismes, cela m’avait toujours fait amèrement rire. Même lorsqu’ils m'ordonnaient de tuer quatre ou cinq individus et de risquer ma vie pendant plusieurs mois sous couverture, ils réussissaient à modeler leur discours pour que celui-ci paraisse plus tolérable. J’étais obligé de me plier aux ordres car je faisais à présent partie d’un engrenage qui m’écraserait si je tentais de m’en sortir. Et je n’avais pas grand-chose à perdre. Quitter New York et abandonner Faust au triste sort qu’il méritait, celui de perpétuellement se croire au-dessus de tout alors qu’il n’était qu’un homme comme les autres, m’avait rendu plus aigri. J’avais probablement compris ce que signifiait l’amitié avant que l’on m’enseigne à laisser derrière moi tout ce à quoi je tenais puisque les autres avaient manifestement décidé de faire pareil avec moi. « Nous avons mis la main sur M. Melville et avons commencé à lui soutirer de nombreuses informations, notamment ses liens avec les cibles. Il les connait toutes mais est en effet plus proches de certaines que d’autres. Tout est dans le dossier, que vous êtes prié de connaître par cœur afin de vous approprier le personnage. Nous avons certains de ses souvenirs auxquels vous aurez accès afin de pouvoir imiter M. Melville au mieux. Un faux pas pourrait vous être fatal. » Son ton était neutre et elle découpait ses mots comme une machine aurait écrit des lettres les unes à la suite des autres sur un papier. Ne venait-elle pas de me dire que le Ministère prenait le risque de m’envoyer à l’échafaud ? Son métier à elle était de bannir de son expression et du timbre de sa voix toute trace d’empathie. Je n’étais rien ni personne, un visage sans nom qu’ils pouvaient remodeler selon leurs souhaits à eux. Je me demandais si les agents secrets du Ministère se reconnaissaient dans le miroir lorsque le Polynectar cessait de faire effet. Après tout, c’était devenu leur quotidien d’être les autres. Je fixai les éclats lumineux sur les verres de ses lunettes afin d’y chercher en vain une once d’humanité puis hochai la tête pour tourner de nouveau les pages du dossier. Je pus y lire les relations que Melville entretenait avec les cibles. Ils avaient gardé le meilleur pour la fin : il était l’amant d’une sang-pur française, l’une des dirigeantes de l’organisation et probablement l’une des plus dangereuse, cette dernière promise à un baron russe car ces gens n’avaient pas franchi la limite du siècle dernier et on se mariait encore par intérêt et non par sentiment. Quoique, je n’avais jamais eu foi en de quelconques sentiments, peut-être que je ne l’avais pas franchie non plus. La photographie de Dolores Héloïse De Linier, puisque c’était le nom de celle qui allait être mon amante sans que je ne puisse lui révéler toute la supercherie dans laquelle elle s’était emprisonnée, m’interpela plus que celles des autres cibles. Je lisais une étrange mélancolie dans son regard et son sourire en coin, absent mais dont découlait tout de même toute la splendeur de son expression, trahissait une perversion inouïe à laquelle je n’avais jamais été confronté auparavant. Elle m’observait comme elle observait une proie avec laquelle elle jouerait avant de l’abattre froidement, avec tout le vice dont elle était capable malgré la blancheur de sa robe. « Vous avez des questions ? » Je secouai la tête sans enthousiasme. « J’ai cru comprendre que vous parliez français. » Je ricanai en haussant les épaules. « J’avais commencé à apprendre quand j’étais à Poudlard pour draguer. La langue m’a plu mais j’ai oublié la plupart de mes acquis. » Elle nota quelques mots sur son carnet tout en me répondant : « Retrouvez vos acquis. Melville ne parle pas français et ses collègues parisiens le savent mais il serait judicieux de pouvoir comprendre ce qui se dit autour de vous. Cela vous permettrait de collecter plus facilement les informations. » Elle soutint de nouveau mon regard sans ciller. « Et bien entendu, aucune transformation en renard n’est tolérée si vous êtes en leur présence ou s’ils peuvent vous croiser. Ces gens sont entraînés à remarquer les anomalies et s’ils trouvent un animal sauvage dans leurs locaux, croyez-moi qu’ils se douteront immédiatement qu’il s’agit d’un Animagus. Vous pourrez toujours prétendre que Melville est Animagus, ils trouveront cela assez suspect pour vous éliminer. » Je levai la paume vers elle pour la couper. « Je ne suis pas stupide, merci. » Ses yeux insistants s’emparèrent des miens et un malaise s’installa entre nous, palpable et volontaire. « Grand bien vous fasse, M. Reid. Vous avez une semaine pour devenir Alistair Melville. Prolonger son absence au-delà de ce délai serait dangereux pour vous puisqu’elle deviendrait étrange à leurs yeux. Ensuite, nous vous enverrons à Paris avec vos premières missions. » J’entrouvris la bouche et elle se pencha légèrement en avant pour m’écouter : « Et en cas de situation critique, j’ai une sortie de secours pour sauver ma peau ? » Elle cligna des paupières et sourit froidement, monstrueusement. « Partons du principe qu’il n’y aura aucune situation critique et que vous allez réussir. Vous devez croire en vous-même M. Reid, et faire confiance au Ministère. » Je suis à cet instant que quelque chose clochait, sans pouvoir mettre le doigt dessus. Ils n’avaient pas le droit, légalement, de faire de moi une taupe assassine sans me garantir une échappatoire si un problème survenait. Et je choisis de leur faire confiance par défaut, puisqu’en tant qu’espion j’appartenais à une branche secrète du Ministère et que je ne pouvais la quitter sans devenir, quelque part, une cible des politiques qui m’avaient engagé autrefois, de peur que je révèle la véritable nature de cette institution alors qu’elle se dessinait plus clairement à mes yeux à chaque nouvelle directive. 1968 ; Mes pas me firent traverser la foule mais mon esprit siégeait ailleurs. Il y avait quelque chose de fondamentalement incroyable dans ces instants que je vivais sans y prendre part. Mes yeux suivaient la couleur écarlate des drapeaux que l’on brandissait partout dans la rue. On me bousculait parfois pour rejoindre l’avant du cortège, on hurlait, on riait aussi, la révolution peignant sur les visages des expressions jeunes, sombres et splendides comme un tableau d’Eugène Delacroix. Il y avait quelque chose que je n’avais jamais connu et que je découvrais ici, en France, quelque chose qui bouillonnait dans le cœur de ces citoyens révoltés, quelque chose qu’aucun autre pays ne semblait être capable de faire : arracher la liberté des mains des puissants. Je n’avais pas étudié l’Histoire de France, pourtant je me rappelai certains événements ayant eu lieu dans cette même ville qui témoignaient une nouvelle fois de leur incapacité à rester muet face à l’injustice. Voilà donc que les Moldus prouvaient leur valeur face aux Sorciers, puisque l’aristocratie magique française était toujours souveraine. Je pris mes distances et transplanai pour rejoindre l’une des rues adjacentes au boulevard Saint-Michel qui ressemblait à un champ de bataille. Des monticules de planches et de pavés formaient les tranchées modernes où se cachaient oppresseurs et opprimés, bourreaux et victimes, la police face aux étudiants. A présent au cœur du combat, je plongeai mon nez dans mon foulard et protégeai mes yeux à l’aide d’un sortilège afin d’affronter les gaz lacrymogènes que les CRS libéraient sans vergogne pour aveugler leurs adversaires. La scène avait des allures de guerre civile, mêlant le sang qui coulait des arcades sourcilières à la poussière de la chaussée défoncée. Partout on pouvait lire des mots de fureur et d’esprit, slogans impétueux écrits à la volée sur les murs d’une ville que la révolution avait mis à feu et à sang. En quelques semaines, j’avais commencé à comprendre le français que je déchiffrais sur les étiquettes que les camarades avaient collées partout. Il n’avait pas été aisé de saisir le sens de la situation et le mépris de la communauté sorcière, notamment du milieu mafieux dans lequel je baignais, ne m’inspirait que du dégoût. Il se passait quelque chose d’unique et les sorciers s’en moquaient, s’affairant à leurs affaires personnelles dans ce monde qui ne changerait, lui, jamais. Je me doutais qu’il s’agissait sûrement de mon sang moldu qui me poussait à réagir de la sorte, à me sentir autant concerné par ce qui se déroulait depuis le début du mois de mai, mais cela m’étonnait pourtant profondément que presque aucun sorcier avec lesquels je discutais de la situation n’ait un avis plus tranché que cette vague indifférence qu’ils me laissaient tous entendre. Après tout, nous étions tous humains. Voir un corps allongé sur le sol devait émouvoir n’importe quelle âme passant à ses côtés, qu’il soit ou non de sang sorcier. Sous les pavés, la plage. Je souris, amusé par la beauté simple et violente de ce slogan, ainsi que de tous ceux qui suivaient, inscrits partout autour de moi comme si les immeubles étaient devenus des tableaux sur lesquels on écrivait sans relâche ses pensées les plus aiguisées. Après tout, les universités étaient fermées, il fallait bien utiliser la craie et non la gâcher. Il est interdit d’interdire. Je sortis un appareil photo que j’avais acheté à Londres avant mon départ, sachant pertinemment qu’une ville comme Paris avait besoin d’être immortalisée. Et je n’avais pas eu tort puisque je n’avais cessé de prendre des clichés de tout ce qui attirait mon regard de jeune sorcier impressionné. Je voulais partager leur fougue, rire à leurs plaisanteries et respirer la sueur qui perlait de leur front en faisant couler la même sur le mien. Mais ce n’était pas mon combat, j’étais un simple spectateur qui ne pouvait pas prendre parti. Pourtant je savais au fond de moi que j’aurais tout donné pour connaître le sentiment que ces manifestants éprouvaient, même si cela m’avait contraint à abandonner mes pouvoirs. Je m’avançai au milieu du boulevard et les cris de rage et de peur bourdonnèrent dans mes oreilles, contagieux. La colère et l’angoisse montèrent jusqu’à mon cerveau, l’effervescence que j’avais connue au milieu du cortège révolutionnaire s’évaporant petit à petit pour leur laisser toute la place. Il n’y avait plus cette musique entêtante des chants que les ouvriers récitaient dans une clameur générale. Il ne restait que le silence assourdissant, entrecoupé du bruit sec des coups de matraque dans les côtes des casseurs, du fracas des pavés contre les murs et les vitrines des magasins, des hurlements et des battements de tous ces cœurs animés par un même dessein, un même destin. Une silhouette apparut à travers la fumée et sa main se posa fébrilement sur mon épaule. « Retraite ! Ils vont te massacrer ! » Je tournai la tête tandis qu’il me tirait en arrière mais il abandonna en voyant que je ne me laissai pas faire. Je ne voyais rien, les nuages blancs et opaques des lacrymogènes brouillant toutes les notions de distance et tous les détails du relief de la chaussée. Je dégainai ma baguette et visai une ombre dans le brouillard que je devinai être un policier. « Brachialigo. » chuchotai-je, l’entendant pousser un cri de surprise et lâcher son arme alors que ses poignets se retrouvaient ligotés dans son dos, le rendant hors d’état de nuire. Je poursuivis mon chemin à travers les nuages toxiques, libérant d’un discret anapneo la gorge d’un jeune homme qui étouffait dans le caniveau. Les crevasses que les pioches des révoltés avaient formées dans le béton ressemblaient à des fumerolles, comme si la ville était devenue un volcan grondant, prêt à exploser. Je ne baissai pas ma garde, ma baguette décrivant des cercles pour dégager la fumée sans que mes adversaires ne soient avantagés. Une nouvelle silhouette : j’avais manifestement pénétré dans le camp des CRS et cela me donna des sueurs froides. Je ne pouvais pas rester ici. Je ne savais d’ailleurs pas tout à fait quel rôle je m’étais assigné mais le contact de cet homme qui me conseillait de fuir avait réveillé en moi le besoin de désobéissance qui m’avait été refusé depuis que j’avais reçu ma lettre pour Poudlard, des années auparavant. J’avais le visage d’Eachan Reid, mais Eachan Reid n’existait plus. Il avait tout échangé contre les traits et le caractère d’Alistair Melville, si bien que l’homme qui se tenait face à la police à cet instant n’avait plus de nom. Eachan Reid était un dossier du Ministère, un Auror espion appartenant à une faction qu’il valait mieux laisser secrète en ces temps troubles de Guerre Froide et de méfiance générale. Je savais que je n’allais plus revoir ma mère. Je l’avais compris en croisant les yeux des premiers mafieux avec lesquels j’avais travaillé car ils m’avaient reconnus comme leur semblable. Et, lentement, Eachan Reid n’était devenu qu’un souvenir que j’oubliais un peu plus chaque jour par souci de sécurité. Je n’aurais jamais pensé cela aussi dangereusement facile d’abandonner une identité pour une autre. Mais les avantages devaient y être pour quelques choses. J’avais accès aux drogues sorcières que mon alter ego Melville consommait joyeusement du temps où il était libre, si bien qu’il avait été nécessaire de faire de même pour ne pas trahir ma couverture. Il y avait des rangs dans la mafia française que j’avais théoriquement étudiés lors des quelques jours que j’avais eus avant mon départ pour me préparer à ma mission. Mais une fois sur le terrain, j’avais pu assister à la réalité des faits. Melville jouissait d’un statut reconnu, il était estimé par ses supérieurs et craint par ceux qui lui obéissaient. Les premières fois, j’avais hésité à m’abandonner au style de vie qu’il avait adopté, puisque tout me paraissait contraire à l’éthique que je m’étais forgée au cours du temps. Mais le regard étonné des collègues de l’irlandais en le voyant refuser une injection d’élixir d’euphorie me fit vite comprendre qu’il faudrait me plier à la consommation de Melville afin de survivre. Car je les avais vus faire. Paris se divisait en quatre factions suivant les points cardinaux : Melville travaillait officiellement dans la faction sud, longeant la Seine jusqu’à Bercy, partageant une frontière à Montparnasse avec l’est, englobant Montrouge et la pauvreté du treizième arrondissement, axé principalement par la ligne aérienne du métro, parallèle à la rue d’Alésia. L’est, lui, continuait jusque dans les beaux quartiers du seizième et dix-septième arrondissement où siégeaient notamment les De Linier, cousins de la monarchie gangrenée de ce pays pourtant si beau. Au nord s’était développés les trafics de drogues et d’objets magiques que l’on faisait passer par les gares. Cela se savait mais les expressions restaient taciturnes au gouvernement car d’autres problèmes étaient prioritaires, notamment au niveau international. Ainsi, le trafic put se développer sans trop d’encombres, de nombreux cabarets et autres établissements similaires rouvrant leurs portes grâce aux financements de la mafia qui les utilisaient comme couverture et zone d’échanges, ainsi que de règlements de compte. Voilà pourquoi, lorsque la rumeur avait couru qu’Hubert Chambrin, l’un des proches des De Linier, était un pédophile récidiviste et que la milice interne à la mafia – un joli nom pour des hommes de main alcoolisés – l’avait coincé dans une boîte de nuit désertée sur demande, j’avais assisté à une scène glaçante durant laquelle les cinq comparses avaient torturé l’accusé à coup de sortilèges Doloris et autres supplices sans subtilité, prétendant qu’ avant quinze ans, on n’avait pas le droit de toucher. Le pauvre Hubert avait pourtant tout fait dans les règles, effaçant les souvenirs de ses victimes après ses actes impies. Et lorsqu’il avait vomi du sang sur la piste de danse, incapable de tenir debout tellement il souffrait sous l’emprise des maléfices, j’avais retenu ma bile au fond de ma gorge pour ne pas l’imiter et garder mon sang-froid, mais à quel prix ? Celui d’observer le Mal se mordre la queue car les agresseurs ne payeraient jamais pour des crimes semblables alors que je n’avais plus assez de doigts pour compter le nombre de femmes qu’ils avaient violées, mais ils parlaient de justice en lapidant un homme dont l’honneur dépassait presque le leur puisqu’il avait le courage de les regarder dans les yeux en mourant. J’avais observé, en sachant pourtant qu’ils étaient sous mes ordres, mais les faire arrêter m’aurait trahi. Ce n’était pas là le rôle d’un chef. Il devait rester tapi dans l’ombre et ne pouvait mettre fin à ce petit jeu qu’en libérant la victime de cette vie cousue de péché. Je m’étais alors avancé d’une démarche froide qui avait perdu toute humanité, dégainant ma baguette d’une poche intérieure de mon manteau et la pointant sur Chambrin en prononçant les mots qui achevèrent d’enterrer ce qui restait d’Eachan Reid en moi pour n’y laisser qu’une ombre : Avada Kedavra. L’éclair vert avait fusé de la pointe vernie de mon arme pour le frapper de plein fouet et son corps était tombé comme une masse sur le sol, la peau lacérée comme s’il s’était battu contre un fauve. Ses agresseurs s’étaient tournés vers moi en m’adressant un regard troublé et je leur avais désigné le cadavre d’un geste sec pour qu’ils s’en débarrassent avant de faire volte-face et m’en aller, gardant la prestance du mafieux que j’étais devenu jusqu’à ce que je sente mes muscles et mes membres trembler, les effets du Polynectar cessant d’opérer. J’avais retrouvé mon visage mais je ne l’avais pas reconnu en l’observant dans une flaque d’eau sous un pont sinistre qui guidait les voitures vers le périphérique. Je m’étais assis sur le trottoir crasseux et avait éclaté en sanglots, conscient qu’il n’y avait qu’un pas entre mon identité et celle de Melville. Trois mois de drogues injectées dans mon sang, de nuits blanches devenant rouges sous le poids de la violence, trois mois de sexe bestial en compagnie de prostituées dont je ne prenais plus la peine d’apprendre le nom, trois mois d’absence totale de limite sans savoir si j’allais mourir de cet excès ou du risque que je prenais chaque jour en me réveillant sous cette fausse identité. Eachan Reid détestait cette vie. Il détestait ces hommes machistes et cupides, il détestait cette corruption et ces jeux de pouvoir qui dévoraient les véritables problèmes et les injustices, il détestait Melville et son existence aux relents de pourriture car cet homme, comme tous ses frères d’armes, était un déchet. Mais une part de moi avait honteusement pris goût à tout cela et je n’y voyais qu’une seule raison : la drogue. Ils m’avaient eu. Piégé dès les premiers jours car je leur avais vendu mon corps et bientôt mon âme en tendant mon bras à cette prostituée qui s’était amusée à planter une seringue dans ma peau car putain, tu dois tester l’intraveineuse. Et la dépendance était venue d’elle-même parce que je n’avais pas eu d’autres solutions que de consommer de nouveau, d’abord de bonne foi pour habituer mon corps à la présence de l’élixir dans mon sang, puis finalement parce que, bordel, j’aimais ça plus que tout au monde. J’aimais ça plus que ma mère, plus qu’un poing d’acier plongé dans le visage d’un Malefoy, plus qu’un orgasme, plus que la liberté que m’octroyait mon pouvoir de métamorphose, plus que les sourires en coin de Leviathan et plus que tous les fantasmes et les souvenirs qui se mêlaient alors en moi pour ne devenir qu’un, prenant le nom d’ euphorie sans que je puisse en donner la définition tellement l’effet était intense. La dépendance avait grandi jour après jour jusqu’à dépasser les limites de ma couverture : je consommais à présent même sous les traits d’Eachan Reid, et je compris alors qu’il ne valait pas mieux qu’Alistair Melville car sa résistance à la drogue était proche de zéro. Si Melville pouvait garder sa contenance en présence de drogues, Reid n’en était guère capable et les proches de l’Irlandais finirent par se douter que quelque chose clochait car Alistair était devenu véritablement dépendant. Irascible et fébrile, symptômes évidents d'un manque constant. Je me sentais faible. Incapable de réussir à tenir un rôle car l’élixir d’Euphorie m’avait aliéné de moi-même et de l’identité que j’avais usurpée. Alors je me faisais moins présent aux côtés de mes collègues pour n’apparaître et ne prendre des décisions que lorsque j’étais à peu près sobre. « Everte Statim ! » J’avais prononcé la formule d’un ton assuré et le CRS fut propulsé en arrière. Ses semblables lancèrent des ordres et je compris qu’il fallait que je fuis immédiatement si je ne voulais pas devoir répondre de mes actes à la fois devant un tribunal moldu et un tribunal sorcier. Je transplanai dans une ruelle déserte et m’appuyai contre le mur d’une main tremblante puis respirai profondément pour retrouver un semblant d’air pur dans mes poumons. J’attrapai une flasque dans ma poche et bus quelques gorgées du liquide qu’elle renfermait : bientôt je pus observer dans la vitre qui me faisait face le visage de Melville, ses yeux plissés soulignant la méchanceté qui vivait en lui et qui avait recouvert toute l’humanité que mes expressions passées lui avaient apporté. Je n’étais personne. Deux corps, deux esprits, deux destinées qui s’étaient écrasés les uns contre les autres pour tomber en morceaux, incapables de cohabiter. Mes prunelles s’attardèrent sur des lettres capitales qui ornaient les murs des immeubles comme les échos de la révolution dont les tentacules glissaient depuis le cœur de la ville pour toucher toute la périphérie et ébranler le pays entier : un slogan noyé dans les ténèbres d’une nuit naissante. Bientôt le napalm ? Je plongeai ma main dans mon sac pour y chercher un petit flacon que je vissai à un couvercle se terminant en aiguille. Je retirai mon bras de la manche de mon manteau puis relevai le tissu de ma chemise jusqu’à l’épaule pour que la pointe de la seringue trouve les trous qu’avaient formé les précédentes, au creux de mon coude. J’attachai un garrot que je tins fermement entre mes dents avant de planter l’aiguille dans une veine et laisser le produit s’y libérer. Je titubai après quelques secondes, pris d’un vertige, puis souris en relisant les mots inscrits devant mes yeux en m’asseyant dans le recoin d’une porte de garage, gardant tant bien que mal mes affaires près de moi. Le napalm bouillait en moi et je sentis mon corps exploser d’extase. Oui, ça n’avait pas d’égal tant la sensation d’euphorie était saisissante, comme un coup de fouet claquant contre ma peau, oui, je préférais cette sensation à l’ardeur inimitable d’une révolution qui n’était pas la mienne, car l’élixir me permettait de contempler la beauté de chaque chose pour oublier ma propre laideur d’âme fragmentée et échouée contre un mur où avaient pissé les chiens et les Hommes, mais je ne faisais plus la différence car j’étais les deux à la fois, humain et animal, trafiquant et camé, Auror et mafieux, singulier et pluriel. night three ; Rosemary resta silencieuse durant plusieurs minutes et je la fixai d’un air amusé en mangeant le jambon et le pain qu’elle m’avait apporté. N’était-ce pas étrange d’en apprendre sur moi chaque jour et de moins me reconnaître alors qu’ils venaient à peine de me rencontrer ? Les souvenirs les faisaient tourner autour de la vérité car ils ne voulaient pas y croire mais j’étais là pour les rappeler à l’ordre et les forcer à retirer le voile d’objectivité qu’ils s’étaient forcés à placer sur nos longs entretiens. Rosemary cherchait à ne pas me juger mais je l’attendais au coin de son esprit pour l’intimer à le faire car je n’en étais plus capable. Je ne savais plus ce qui faisait partie du domaine du Bien et de celui du Mal. J’essuyai mes doigts contre ma chemise avant de me lever et de contourner la table pour qu’elle ne nous sépare plus. La jeune Londubat se trouvait près de la porte, adossée au mur, les bras croisés et les doigts tenant fermement le manche de sa baguette que je sentais prête à être utilisée en cas de besoin. Elle ne savait pas quoi dire car j’avais choisi un souvenir ambigu. Les émeutes de mai 1968 à Paris et cet instant face à la police soulignaient ma dualité : j’étais à la fois cet insurgé assoiffé de justice, capable de prendre des risques presque stupides si la cause me semblait digne, et ce sorcier gangréné par la drogue et la perte de son identité qu’il ne retrouverait jamais. Quel était celui qu’elle confrontait ce soir ? Je n’étais pas certain moi-même de pouvoir répondre à cette question. « Tu aurais voulu que je te montre un souvenir plus dans le vif du sujet ? » Mes phalanges vinrent épouser la forme de la table et je penchai la tête sur le côté pour que mon regard se fasse plus insistant. « Ça ne sert à rien, je peux t’avouer toutes les choses dont tu me penses coupable, ça me semble plus rapide. » Je haussai les épaules. « Tu veux savoir si j’ai tué des innocents ? » Le regard de Chambrin apparut dans mon esprit et il ricocha sur la poignée d’individus que j’avais assassinés, assez pour perdre définitivement la raison et n’éprouver aujourd’hui qu’un vague remord car je m’étais persuadé tout ce temps que j’avais été contraint et forcé de le faire, pour finalement m’être rendu à l’évidence : ça n’avait plus d’importance. Après tout, Chambrin était peut-être coupable des actes dont il avait été accusé. Ou peut-être pas. Mais cela ne faisait aucune différence puisque le temps avait passé et que je n’étais plus un Homme : je n’obéissais plus aux lois de morale et d’éthique qui régissaient officiellement ce monde. « Tu veux savoir si j’ai abattu mes cibles ? » Bien sûr que je les avais abattues. Ou bien envoyées à Azkaban mais c’était tout comme puisque ce qu’on y vivait se passait d’une quelconque humanité. Les prisonniers lorgnaient sur une mort possible comme un drogué sur une dose inaccessible. Et pour ceux que j’avais tués, cela avait marqué le début de mon déclin car le risque pris avait été trop gros. « Tu veux savoir si j’ai violé des femmes ? » Et cela non plus n’avait plus d’importance, comme leur âge à l’époque sur lequel elles avaient menti avant que nous ayons des rapports qui trahissaient toute la violence dont j’étais capable puisqu’il m’avait suffi de les payer pour qu’elles m’obéissent. Je n’éprouvais aucune fierté mais je n’en avais pas honte, pas plus que d’avoir ôté des vies. Voilà ce qui rendait le jugement facile, celui que je voulais voir couler des yeux de Rosemary alors qu’elle restait en retrait et que mon aura nocif embaumait la pièce sans aucun scrupule. « Moi je sais pas, mais Alistair Melville très probablement. » Cela ne justifiait rien, je le savais, elle le savait et elle me fit comprendre qu’elle le savait en serrant les dents, laissant ses prunelles s’enflammer d’une lueur terrifiante. Un rien la retenait de me clouer au sol et laisser passer sa colère soudaine face à mon comportement dans un sortilège pour venger toutes ces victimes. Car mes aveux étaient insolents et qu’elle ne décelait dans ma voix aucune once de regret. Je trouvais ces derniers inutiles. Les pensées contradictoires qui devaient parcourir l’esprit de Rosemary, au contraire, me fascinaient. Après tout, elle était consciente qu’elle ne connaissait pas la pression d’être une taupe, d’être dans le corps d’un homme qui avait rendu les pires crimes complètement banals. Elle admettait au fond d’elle que si je n’avais pas joué le jeu jusqu’au bout, j’aurais fini mort au milieu d’un terrain vague et mon cadavre aurait été jeté dans la Seine. Il avait été question de ma vie contre celle des autres et j’avais choisi de garder la mienne. Mais alors, pourquoi faire davantage de victimes ? Pourquoi continuer sur ma lancée et avoir tué lorsque je pouvais prouver ma bonne foi face à mes pairs sans ôter la vie ? Pourquoi ne pas avoir respecté ces prostituées alors qu’elles étaient humaines autant que moi, pourquoi m’être adonné à des plaisirs dont j’aurais pu me passer ? Pourquoi avoir utilisé des sortilèges impardonnables, non pas un seul mais bien les trois, prouvant ainsi que je n’étais pas mieux que ceux que j’étais chargé de surveiller et de trahir pour le compte d’un gouvernement ennemi ? Tout simplement parce que j’en avais été capable et que, sur l’instant, la satisfaction de faire le mal sans remord immédiat m’avait paru salvatrice. A force de jouer le rôle d’un monstre, on finissait par connaître les répliques par cœur et à y prendre goût. « Mais ce n’est pas le pire. » Je me raclai la gorge et essuyai mon nez d’un revers de main par réflexe. « J’veux dire, ce qui m’a vraiment flingué le cerveau, c’était la drogue, pas les remords. » Rosemary resta froide et distante pour me répondre, ce qui ne m’étonna pas. « Comment votre mission a-t-elle pris fin ? Vous vous êtes enfui ? »Je secouai la tête d’un air narquois. Elle voulait changer de sujet. « Dolores De Linier m’a démasqué. Je ne la baisais pas comme Alistair le faisait et elle s’est doutée de quelque chose. Elle m’a tendu un piège, petit à petit, qui s’est refermé autour de moi et le Ministère ne savait pas quoi faire. J’avais réalisé la plus grosse partie du travail en éliminant quatre des cinq cibles, restait cette connasse. Et tu sais, j’ai rencontré des gens barrés dans ma vie, mais pas autant qu’elle. » Je l’avais haïe au premier coup d’œil car elle avait tout d’une sang-pur prônant la suprématie. Pourtant cette même princesse pure et immaculée se faisait démonter par un russe au sang-mêlé qui avait trente ans de plus qu’elle et elle m’avait raconté sur l’oreiller à quel point elle aimait avoir mal avec les hommes. A quel point elle aimait s’en prendre plein la gueule. Et je respectais les fantasmes de chacun mais pas s’ils étaient trop malsains et qu’ils m’incluaient d’office puisque je jouais le rôle dangereux de son amant. Je n’étais pas allé jusqu’à observer les souvenirs des pratiques sexuelles de Melville en compagnie de sa petite Dolores dont le nom insistait sur cette réputation qui la précédait tant. Une nymphomane dont le mot douleur était inscrit sur la peau car on ne comptait plus le nombre de coups de fouets ayant laissé des cicatrices sur son dos. Et je ne parlais pas des griffures, morsures, coupures, brûlures de cigarettes et autres plaies innombrables que j’avais pu observer sans savoir lesquelles avaient été faites par Melville. Plus on s’était vus, et plus elle m’avait détaillé les recoins sombres de sa vie sexuelle, comme quoi elle s’était déjà prostituée plusieurs fois pour pouvoir passer la nuit avec une dizaine d’hommes et se faire payer, comme quoi elle s’était peut-être tapé son frère et qu’elle avait dû avorter, comme quoi elle avait couché avec tout Saint-Pétersbourg et qu’elle le referait encore si ça pouvait conduire son mari à la punir comme il se devait. Elle était immonde et elle jouait du mensonge et de la vérité car tout pouvait être vrai comme tout pouvait être faux. Peut-être s’était-elle faite ces blessures elle-même pour que j’y croie plus facilement. Peut-être qu’en dehors de Melville, elle était restée fidèle à son mari et qu’elle s’inventait un rôle afin d’avoir une longueur d’avance sur tout le monde. Et peut-être qu’au contraire, tous les mafieux de France et de Russie avaient trouvé le chemin jusqu’à son vagin pour y laisser leur semence. Peut-être que j’étais l’un d’eux. Peut-être pas. Mais je n’avais pas eu le temps d’enquêter assez car elle ne tarda pas à se méfier de moi et me mener en bateau sans que je ne m’en aperçoive. « Elle a levé l’effet du Polynectar en devinant un soir que je n’étais pas Melville et l’un de ses gardes du corps s’est chargé de me lier les poignets. Cependant, je les ai pris au dépourvu en me transformant en renard, tuant le garde en attaquant sa jugulaire puis m’en prenant à Dolores sous forme humaine, forcé de l’assassiner elle aussi pour regagner le temps que j’avais perdu. Ces deux meurtres ont sonné mon heure car ils allaient faire remonter la mafia à la vérité. Ma seule chance de survie a donc été de m’enfuir immédiatement puisqu’il n’y avait pas eu d’autres témoins et qu’ils partiraient à la recherche de Melville sans savoir que celui-ci n’était tout d’abord pas l’auteur des crimes en question, et ensuite qu’il était déjà à Azkaban sous un autre nom. » Alistair Melville disparut ainsi dans la nature et rejoignit Eachan Reid au-delà de la frontière des oubliés. Je n’étais ni l’un, ni l’autre. Je n’avais plus de nom. 1971 ; Tout paraissait immobile. Des silhouettes s’ébranlaient au ralenti pour ne pas briser le rythme comme s’il s’agissait d’une danse à travers la pénombre. Mes pieds nus traînaient sur le sol froid et reconnurent les reliefs du carrelage en mosaïque qui caractérisaient les bains-douches publics. Gare du Nord, la nuit. Des rideaux crasseux couvraient les vitres pour que la lumière ne vienne pas aveugler tous ces corps. Je n’eus pas à faire un pas de plus. Une main se saisit de la mienne et me guida dans une allée au milieu de la salle. Je confondais les matelas avec des tombes et sus que l’âme qui me tenait allait me présenter la mienne. Elle s’arrêta devant une paillasse en mousse recouverte d’un drap blanc strié de bleu, froissé car on y avait dormi la nuit précédente. Je voulus m’y agenouiller, incapable de parler. J’étais exténué. On me tendit un petit sachet contenant la poudre brune et je salivai instinctivement, mes muscles se détendant, mon corps se courbant, me laissant posséder par le pouvoir de l’héroïne. Mais je devais payer avant tout. Je fouillai dans ma poche et en tirai un petit objet brillant que je finis par reconnaître : un aimant représentant la Statue de la Liberté, faisant renaître en moi des souvenirs qui me firent sourire. Je le tendis à mon guide en échange de la drogue mais il ne réagit pas, se contentant de m’observer d’un air perplexe. « C’est un chemin qui te mènera au Léviathan. » Ma voix d’outre-tombe résonna dans la pièce et je secouai l’objet sous ses yeux, persuadé que cela suffirait à le convaincre. Après tout, ça avait du sens. Oui, ça en avait. Non ? Mais il leva la paume pour me stopper et me répondit : « T’as les trips bibliques que tu veux mon gars, mais moi je prends que l’argent. » Désarçonné, mon bras retomba le long de mon corps et l’homme s’approcha de moi pour fouiller dans mes poches. Il en tira quelques billets. Ce qu’il me restait pour manger cette semaine. Le tout disparut dans la manche de sa veste et il sortit une nouvelle pochette pour verser dedans la moitié de la dose d’héroïne qu’il m’avait présentée précédemment. Je n’attendis pas qu’il me la tende pour m’en emparer et m’affalai sur le matelas en poussant un gémissement de soulagement. Je saisis la cuillère mise à disposition, le métal brûlé dégageant une odeur qui me donnait la nausée mais le manque avait plus d’importance que tout le dégoût que cet endroit m’aurait inspiré si j’avais été dans mon état normal. Pourtant, cela faisait des mois que j’avais abandonné ma sobriété, mon nom, mon âme à mon unique amante. L’héroïne, c’était des orgasmes à chaque fois. Je n’avais plus à m’en faire. Une allumette craqua et la préparation muta pour devenir ce pour quoi j’étais venu. J’attrapai une seringue au hasard sur le sol et la remplis du liquide qui s’était formé au creux de la cuillère. Je nouai le garrot. Putain de trip biblique. Je voyais déjà la vierge qui viendrait me décrocher de la croix. Mon sang bloqué fit gonfler mes veines et la pointe de l’aiguille les caressa doucement jusqu’à trouver le champ miné de trous qui rendait la peau de mon bras gondolée. Puis elle s’enfonça comme les milliers qui l’avaient précédée, la seringue se vidant dans mon corps pour que la drogue fasse effet. Je renaissais dans le rôle du Christ statufié, une Pietà où je crevais lentement, troué de toutes parts par ces clous enfoncés dans mes paumes, mes pieds, mes épaules. Et le creux de mes bras, bordel. J’enlevai l’aiguille et l’entendis retomber sur le sol dans un bruit presque cristallin. Le gouffre qu’elle venait de former dans ma veine me brûlait mais l’euphorie qui me traversa bientôt n’avait pas de prix. Je l’avais lue, la Bible, j’en voyais les créatures légendaires apparaître aux quatre coins de la salle pour s’approcher de mon corps allongé et mourant. L’élixir d’euphorie n’était rien comparé à l’héroïne. Une drogue récréative face à un monstre de beauté qui me laissait le chevaucher et qui, petit à petit, avait pris place dans mes veines pour me contrôler. C’était un fantôme. Un sortilège. Un ordre un démon peut-être Quelque chose auquel on était forcé de croire car il existait devant nous, il existait en nous. Les Moldus avaient synthétisé la Magie sans le savoir et même les Sorciers ne pouvaient le supporter. J’avais l’impression d’avoir à ma portée un immense pouvoir, mais d’être devenu son objet de convoitise, comme s’il me possédait et non l’inverse. J’avais l’impression que l’on me disséquait vivant pour condenser ma magie au-dessus de mon corps afin de l’observer grandir à l’air libre mais que l’expérience était devenue incontrôlable car contre-nature et que l’entité qui en était issue avait aspiré tout ce qui faisait de moi un Homme pour me changer en sangsue vivant d’euphorie et d’extase. J’avais l’impression de mourir, de renaître, puis de mourir de nouveau entre les flammes d’un enfer constant, pour renaître encore tel le phénix ardent et indomptable qui battait des ailes dans mes veines fragiles. J’avais l’impression d’exister, l’espace de quelques secondes. Puis je sombrai comme tous les autres car nous n’étions pas capables, ni physiquement ni mentalement, d’être à la hauteur de ce pouvoir infini et éternel.
Dernière édition par Eachan Reid le Mar 6 Juin - 18:50, édité 7 fois |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:21 ( #) | [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
(part four ; [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]) there's a silent voice in the wilderness that we hear only when no one else is around. when you go far beyond, out across the netherlands of the known, the din of human static slowly fades away, over and out.
day four ; Les heures passèrent sans qu’aucune âme ne traverse la porte de la pièce qui me semblait à présent aussi familière que si elle avait été la chambre où j’avais passé mon enfance. J’avais pris ma forme de renard car elle me seyait toujours plus que ma forme humaine, même si les entretiens infligés par Jawhar et Rosemary me forçaient à me réhabituer à cette dernière. J’y retrouvais le confort et la quiétude des forêts que j’avais arpentées, conscient que la suite de mon histoire s’y plongerait. Mais les deux sorciers tardaient à revenir, me laissant ainsi seul avec moi-même comme je l’avais été si longtemps, à la seule différence qu’ils me confrontaient à ces démons que j’avais enfouis au plus profond de moi-même pour les faire taire, sachant pertinemment qu’il m’était impossible de les tuer. Je soupçonnais la Londubat de me laisser languir, incapable de calmer autrement sa colère qu’en m’obligeant à repenser mon passé pour me forcer à admettre que j’en avais profité. Je savais qu’elle avait raison. Je savais qu’au fond, j’avais choisi la voie la plus facile sur ce terrain miné en m’abandonnant à toutes ces tentations. A l’époque, j’en étais arrivé à un point de non-retour où j’avais compris que je n’allais pas m’en sortir vivant, si bien que la colère m’avait envahi comme pour crier vengeance et montrer à un Ministère indifférent qu’ils avaient fait de moi un monstre. Et à l’instant où mon esprit avait saisi cette sombre logique, ce fut sans hésitation que je m’emparai des rennes de mon destin, contraint de mourir mais décidé à en profiter. Pourquoi alors avoir pris la fuite ? Parce que nous étions des animaux avant tout et que l’instinct de survie prônait sur le reste en déviant la trajectoire du canon d’une arme posée sur la tempe d’un suicidaire pour le garder parmi les vivants. Nous étions des sorciers, nous ne paraissions pas devant Dieu à notre mort car tout se passait sous forme matérielle dans notre monde : bordel, nous avions le pouvoir de changer le vin en eau sans le moindre problème et les Moldus s’acharnaient à écrire des romans sur un type prétendument miraculeux. Nous devions répondre de nos responsabilités de notre vivant et laisser mourir notre esprit sous les baisers des Détraqueurs, mais jamais notre corps ne pouvait tomber sur le champ de bataille : mourir était lâche. Et pourtant j’avais réussi à accomplir un acte qui faisait de moi l’incarnation de cette vile lâcheté en gardant la vie sauve. Cela tenait du miracle. J’attendis qu’ils reviennent, mes yeux de renard fixant la porte avec l’attention d’un prédateur, les maudissant pour leur lenteur et la façon qu’ils avaient de me mettre face à ce passé qu’ils n’avaient pas connu, simplement entrevu lors des souvenirs les moins difficiles à soutenir que j’avais accepté de leur montrer. On leur avait parlé de la dépendance mais ils ne voyaient pas clairement de quoi il s’agissait. J’avais repris ma forme animale pour mieux pouvoir soutenir l’idée qu’aucune aiguille ne se planterait dans ma peau pour combler ce manque toujours présent dans ma poitrine. Il le serait éternellement. Un drogué restait drogué toute sa vie car il savait ce que la drogue provoquait en lui, il savait que cette poignée de secondes durant lesquelles il se sentait à la lisière du ciel valait bien plus que tout l’or du monde et tout l’amour d’une mère. Il avait pris le risque de goûter au fruit défendu et en payait à présent les conséquences en étant conscient de sa propre médiocrité, du fossé qui le séparait du seul paradis qui existait et que l’on ne pouvait atteindre qu’en mourant toujours un peu plus. La drogue avait quelque chose de religieux en elle, fondamentalement. Voilà pourquoi les drogues sorcières ne développaient de dépendance qu’après une longue consommation et que les sorciers résistaient mieux à l’accoutumance. Ils ne s’émerveillaient pas de cette euphorie passagère car le monde sorcier regorgeait déjà de merveilles. Mon erreur avait été de croire que les drogues moldues suivaient la même logique. Mais au contraire, elles étaient bien plus vicieuses, bien plus maléfiques qu’un élixir d’Euphorie ou bien que des feuilles d’un Alihosty. Elles privaient durant les périodes de sobriété le dépendant de la beauté du monde qui l’entourait pour creuser le gouffre qui existait entre la lucidité et le voyage sensoriel. Être sobre n’avait jamais paru aussi triste à aucun Homme que lorsqu’il se laissait tenter pour la première fois par les effets de l’héroïne. Et j’avais appris à de nouveau voir la splendeur de la Nature sans le filtre de la drogue pour la faire briller de mille couleurs, j’avais compris comment me contenter de cette sobriété pour contempler ce dont le monde était fait, admettant à nouveau qu’il était magnifique. A tel point que j’étais resté animal pendant des années ensuite. Voilà que mon humanité refaisait surface et, avec elle, toutes les tentations auxquelles je n’avais pas été confronté pendant une décennie presqu’entière. Jawhar et Rosemary l’avaient-ils compris ? Ou il leur faudrait encore des heures pour saisir l’étendue de la souffrance dans laquelle j’étais piégé ? La porte s’ouvrit finalement et la silhouette de la jeune Londubat apparut mais elle ne referma pas derrière elle. Ses yeux balayèrent la pièce jusqu’à tomber sur ma silhouette canine et elle m'adressa un hochement de tête. Elle lâcha la poignée et s’avança jusqu’à moi pour s’accroupir, ne laissant que quelques centimètres entre le bout de mon museau et son visage angélique. « Je veux vous faire confiance, Eachan. » Son expression avait changé, abandonnant la dureté de ses traits froncés de la nuit précédente pour un éclat énigmatique au fond de ses iris. « Je veux vous voir libéré car je veux croire que vous méritez votre liberté, non pas en tant qu’animal, mais en tant qu’Homme. » Je penchai la tête, laissant le renard que j’étais adopter mes mimiques humaines avant de me relever sur mes quatre pattes. « Je vous laisse sortir d’ici à condition que vous me promettiez de ne pas vous échapper. Jawhar et moi-même avons conclu que vous garder ainsi prisonnier était contraire aux valeurs de l’Ordre. Mais nous cherchons sincèrement à corriger les erreurs qui vous ont porté préjudice. Si vous tentez de vous enfuir, vous perdrez notre confiance et notre aide en agissant comme un coupable. » Elle se redressa et je la suivis des yeux tandis qu’elle regagnait le pas de la porte. Je finis par la suivre et descendre à quatre pattes des escaliers en bois poussiéreux menant à un minuscule séjour rustique couplé d’une cuisine qui bordait la pièce de l’étage inférieur. La lumière d’une fin d’après-midi mourant en soirée estivale atteignit ma rétine et je plissai des yeux, accélérant pour m’approcher au plus vite de la porte d’entrée que Rosemary ouvrit afin de me laisser sortir. Je retrouvais la liberté comme un enfant plongeant dans les bras aimants de ses parents le jour de son anniversaire. Mes muscles excités ne purent s’empêcher de me faire courir dans l’herbe haute et grasse qui entourait la bâtisse, gagnant le sommet d’une butte pour observer les alentours. Le lieu était isolé et paisible, ce qui me plut immédiatement. Mais, par-dessus tout, il m’était familier. Devant moi s’étendait un immense lac bordé de montagnes aux couleurs automnales malgré la saison, et ces dernières se reflétaient parfaitement dans l’eau noire comme pour accueillir les baigneurs téméraires aux portes d’un autre monde miroitant à la surface de celui-ci. Rosemary me rejoignit et s’assit à mes côtés. Je choisis cet instant pour reprendre forme humaine, ce qui la fit légèrement sursauter car elle ne s’y était pas attendue. Après tout, rien ne m’empêchait de l’attaquer ou de transplaner à présent que j’avais retrouvé un semblant de force et de liberté. Pourtant je restai immobile, incapable de détourner mes prunelles du spectacle qui se jouait devant moi. « Voici … -Loch Katrine. » la coupai-je d’un ton serein et mystérieux. Elle acquiesça, ne trouvant rien à ajouter car elle savait pertinemment que j’étais le maître des lieux. Les Highlands étaient mon royaume, j’étais né en leur sein et elles m’avaient laissé mourir au creux de leurs forêts majestueuses pour que je puisse renaître sous une nouvelle forme, plus pure et plus juste. J’en connaissais les secrets car j’avais appris à écouter les arbres, les montagnes et les Lochs converser avec toute la poésie dont ils étaient capables, et cette dernière n’avait aucune limite. Je me relevai et quittai finalement le paysage des yeux pour retrouver la silhouette de Rosemary. « J’ai besoin de … » Ma voix se suspendit et j’hésitai à poursuivre, incapable de finir la phrase car j’ignorais ce dont j’avais besoin. Je finis par lui désigner le Loch d’un geste vague. « Je … Je vais pas m’enfuir. Promis. » Je n’attendis pas qu’elle me réponde pour descendre la pente vers la rive. Arrivé en bas, j’ôtai un à un mes habits pour retrouver la nudité qui m’avait servi d’étoffe durant ces longues années. Mes membres avaient perdus de leur vigueur mais ces courses effrénées à travers la forêt que j’avais faites sous forme de renard m’avaient permis de garder un semblant de vitalité. J’étais maigre, mes côtes apparaissaient nettement sous ma poitrine, mes hanches soutenaient ma peau qui tombait sur les os de mes cuisses et de mes jambes tandis que mes genoux cagneux étaient boursoufflés, trop fragiles pour supporter le choc lorsqu’ils tombaient à terre. Je bandai mes muscles et plongeais lestement dans l’eau, mes mouvements dotés de l’agilité innée d’un animal comme le renard car ils s’étaient habitués à la cadence svelte du canidé roux. La fraîcheur de l’eau était revitalisante contre ma peau pâle et j’effectuai quelques ondulations pour gagner en profondeur, décrivant finalement de puissants cercles avec mes bras afin d’accélérer. Je retrouvai la surface après quelques secondes et laissai ainsi flotter mon corps sous le soleil, profitant des moindres instants qui me connectaient à la Nature pour me remémorer des souvenirs encore vivaces dans mon esprit, mais que je sentais disparaître depuis mon retour à la civilisation. Aucun Homme n’était censé avoir vécu de telles choses et pourtant je me tenais là, en ce monde, ma mémoire intacte et révélée au grand jour. Je ne savais pas si cela m’attristait ou m’agaçait mais je passai outre ces sentiments pour me concentrer sur le sourire de Rosemary qui, après tout, m’inspirait confiance. Je grimpai hors de l’eau et m’allongeai sur la berge avant de me redresser pour m’asseoir. J’entendis des pas approcher mais restai immobile. « C’est moi. » Je reconnus bien évidemment la voix de la Londubat et me relevai finalement pour me tourner et lui faire face, parfaitement conscient que ma nudité la gênerait. Mais j’avais abandonné ma pudeur dans les confins des bois écossais. Elle détourna le regard en rougissant et me tendit des vêtements propres. « Je les ai agrandis pour qu’ils soient à votre taille, j’espère qu’ils vous iront. » Je ne bougeai pas et la toisai tandis qu’elle s’impatientait. « Tu m’as maté en renard et ça ne t’a pas dérangé, princesse. » Elle se mordit la lèvre et décida de jouer à mon jeu en posant son regard sur moi. Mais ce ne fut pas ma nudité qui la fit blêmir, ou du moins pas celle-ci directement puisqu’elle avait déjà manifestement vu ce qu’était le sexe d’un homme, mais bien tout ce mal qui me rongeait visiblement de l’intérieur et de l’extérieur, ces marques qu’elle avait pu contempler dans mes souvenirs et qui lui avaient paru si lointaines car elle n’était qu’un fantôme foulant ma mémoire. Mais à présent, ces dernières l’observaient par ces trous creusés dans ma peau tuméfiée d’où s’échappaient, j’en étais certain, les cauchemars de ceux qui s’aventuraient trop près de moi. Je pris le temps de soutenir son regard avant de réduire l’espace qui nous séparait et saisir les habits qu’elle m’avait aimablement apportés. Ils étaient en effet à ma taille et je m’étirai pour profiter de la douceur du coton propre qui composait mon nouveau pull. Je m’installai de nouveau sur l’herbe pour nouer mes lacets et elle m’accompagna, gardant son regard fixé sur l’horizon. « Nous ne vous avons pas tout dit, Eachan. Il s’est passé bien des choses durant vos années d’exil. » Je tournai la tête vers elle d’un air interrogateur. Tout me paraissait si lointain à présent. « J’imagine que vous avez connu le nom de Lord Voldemort, non ? » Je fronçai les sourcils et mes paupières se plissèrent instinctivement à la recherche de souvenirs plus précis. Je hochai d’abord silencieusement la tête avant d’ajouter : « Je vois, oui. Un idiot qui pense pouvoir maîtriser les Forces du Mal comme des milliers ont essayé avant lui. Je me rappelle les attentats orchestrés par son organisation à la fin des années 60. Une fois en France, c’était un nom que j’entendais régulièrement dans la bouche des politiques mais la distance avec l’Angleterre faisait qu’il était catégorisé comme un problème d’ordre international. Il suffisait à la Couronne de fermer ses frontières pour avoir la paix et il était question de le faire au début des années 70. Après, ça n’a plus été mon problème. » J’imitai le geste d’une injection intraveineuse pour illustrer ma conclusion puis haussai les épaules, l’incitant à me mettre au courant de ce que Leviathan n’avait pas daigné m’expliquer malgré mes questions concernant la situation actuelle du monde magique. « Voldemort a déclaré la guerre à ceux qu’il considérait comme impurs. Les nés-moldus en premier, bien évidemment, puis les sang-mêlés s’opposant à lui et les sang-purs dits traites à leur sang. » Je m’humectai les lèvres et souris. Encore un fanatique. Il m’agaçait déjà. « Contrairement à ce que vous avez prétendu, il a réussi à maîtriser la Magie Noire et s’en est servi pour plonger le pays dans le chaos. Il a rangé derrière lui des créatures comme les Géants ou les Loups-Garou. Durant toute la décennie il a semé la Terreur si bien que le Ministère a décidé, il y a maintenant deux ans, d’expérimenter un sortilège qui, en théorie, aurait pu le mettre hors d’état de nuire. » Je souris, comprenant la suite avec facilité. « Ca n’a pas marché, c’est ça ? » Rosemary secoua la tête pour m’indiquer que non et je fis la moue. « Mais il s’est passé quelque chose. Quelques heures après le sortilège, les patronus de toutes les personnes nées après 1954 sont apparus matériellement à leurs côtés, d’abord sous forme de brume argentée puis de véritables animaux, connectés à leur sorcier par la pensée et doté de personnalités qui leur sont propres, encore aujourd’hui. » Je lui adressai un regard profondément étonné mais elle resta impassible. « Le conflit prit donc une toute autre tournure et une ampleur inouïe puisque partout dans le monde, de jeunes sorciers faisaient la connaissance d’un morceau de leur âme ayant quitté leur corps et marchant à leurs côtés. » J’avais du mal à imaginer une telle chose mais je la croyais tout de même car il était vrai que j’avais remarqué la présence étrange et fréquente d’animaux tout à fait particuliers aux côtés des sorciers lors de mon bref séjour à New York, lorsque Leviathan m’avait permis de sortir de chez lui. « L’Ordre pense que les fidèles de Voldemort ainsi que ce dernier manigancent quelque chose de terrible. Une épidémie a frappé les sorciers aux patronus corporels et les changements s’opèrent si vite qu’il est difficile de trouver une solution. Nos médicomages travaillent à ce sujet. » Et je soupçonnai Leviathan de faire de même, parallèlement, non pas par empathie pour ces pauvres enfants sans défense mais bien par excitation scientifique de tout découvrir avant les autres. Je me rappelai soudain la constante présence d’un léopard à ses côtés et, lorsque je lui avais demandé d’où venait le fauve, il avait prétendu l’avoir dressé pour une expérience dont il ne pouvait me parler. Mais Rosemary avait parlé de tous ceux qui étaient nés après 1954 et s’il y avait une chose dont je ne doutais pas en ce monde, c’était que Leviathan Faust était plus vieux que moi. « Ils ont trouvé quelque chose ? » La tristesse de son expression me fit regretter mes mots et je me mordis la lèvre inférieure avant de soupirer, n’attendant pas de sa part la moindre réponse. Je tournai la tête vers le Loch et mes pensées flottèrent un instant à sa surface avant que je ne sente les doigts de Rosemary effleurer mon épaule. J’eus un mouvement de recul et elle leva les paumes de part et d’autre de son visage pour me montrer qu’elle n’était pas armée, qu’elle ne me voulait aucun mal. « Je veux juste les observer. » Je me relevai et pris la direction de la maison, l’entendant m’appeler mais l’ignorant, agacé que tout revienne finalement à mes maux alors qu’enfin on m’éclairait sur quelque chose qu’il m’était nécessaire de savoir. J’entrai et m’installai à la table du rez-de-chaussée, m’affalant de tout mon long sur sa surface et grommelant des paroles inintelligibles. La jeune sorcière ne tarda pas à pénétrer à son tour dans la pièce et elle prit place sur l’une des autres chaises, m’observant en silence alors que je tenais dramatiquement mon visage entre mes mains. « Ne vous méprenez pas Eachan, je cherche à vous aider. Je suis professeur de botanique à Poudlard et j’ai tendance à croire que certains onguents pourraient apaiser vos blessures et leur permettre une meilleure cicatrisation. » Je laissai mon dos glisser le long du dossier et fis basculer mon crâne vers l’arrière pour croiser de nouveau ses prunelles malicieuses, mais je ne lui rendis pas le sourire qu’elle m’offrait gratuitement car la morgue m’habillait plus souvent que l’espoir sous ce déguisement d’homme, contrairement à elle. « Pourquoi tu fais ça ? » Mon ton cassant glaça ses lèvres et le sourire disparut. « Pourquoi t’es sympa avec moi ? » J’avais besoin de cette unique réponse, car à aucun moment je n’avais daigné la respecter, à aucun moment je n’avais mâché mes mots pour qu’elle m'apprécie un peu plus. Je l’avais insultée, méprisée parce qu’elle était sang-pur, je lui avais dit que j’avais tué des gens, couché avec des mineures sans leur consentement, elle avait été témoin de ma lâcheté et de l’emprise que la drogue avait sur moi, une emprise si ferme que j’étais capable d’abandonner tous mes idéaux pour avoir ma dose. Elle avait compris que, pour rester vivant et ne pas faire face à mes responsabilités, je m’étais enfui durant neuf ans, j’avais mangé des rongeurs crus et j’étais devenu un animal qui n’avait pas cessé d’observer, les prunelles débordantes de désir, son corps divin de jeune femme fière et indépendante, mais elle s’obstinait et je voulais comprendre. Elle laissa échapper un rire doux et intelligent dans un souffle discret. « Parce que je vois la bonté en toi dont tu refuses d’admettre l’existence. » Sa familiarité me parut soudaine, elle qui avait pris soin de garder constamment ses distances. A présent, elle s’adressait à moi comme à un homme qu’elle avait connu depuis des années. Peut-être que dans des cas comme celui-ci, on pouvait considérer que c’était tout comme. « Jawhar est plus objectif que moi mais il est globalement du même avis. Nous t’observons d’un point de vue extérieur et même si nous savons que nous ne pouvons pas être impartiaux car nous n’avons que ta version des faits, ton histoire est manifestement celle d’un homme en quête de justice avant d’être celle d’un traître. » Sa déclaration était sincère, je n’avais aucun doute à ce sujet. Elle avait ouvert la porte de ma cellule et m’avait libéré pour se prouver à elle-même qu’elle avait eu raison. Je soupçonnai Shafiq de l’avoir fait douter de ma bonne foi, mais il était bien plus pragmatique et méfiant qu’elle. Non pas qu’elle était naïve, simplement moins parano. « En 1972, tu t’es transformé en renard devant une foule de Moldus et ce par inadvertance. Comprenant que les autorités magiques françaises et britanniques se jetteraient sur toi pour te mettre en prison car tu étais trop dangereux, compte tenu du fait que tu connaissais la place de la mafia dans la politique, tu décides de t’enfuir sous ta forme animale. Tu voyages pendant des jours pour gagner les Highlands et une fois là-bas, tu y restes pendant neuf ans. » J’hésitai avant de hocher furtivement la tête. « Peux-tu me montrer ? » Sa politesse sonnait à mes oreilles comme une dragée fondant sur ma langue et je scrutai la gentillesse qui émanait de ses traits à la recherche d’un quelconque stratagème. En vain. Sa sincérité ne témoignait que de son envie de savoir comment j’avais fait de la poésie de la Nature un fragment inhérent de mon être, l’unique chose qui me permettait de subsister entre tous ces différents mondes qui m’avaient rejetés un à un, les Moldus car j’étais un sorcier, les Sorciers car du sang moldu coulait dans mes veines, les Morts car je devais répondre de mes actes, les Vivants car je n’avais plus d’identité, la Civilisation car j’étais un animal lâche et peureux, et enfin la Nature car j’étais son fils illégitime, celui dont elle avait honte car il ne ressemblait à aucun de ses frères et sœurs. Mais on aurait dû m’aimer pour ça. On aurait dû m’aimer car j’étais unique.
1972 ; Mon regard s'égara entre les arbres aux branches tendues vers le ciel mais toutes ces formes me rappelaient des souvenirs encore ardents dans ma mémoire, visions dont je ne pouvais me défaire même la nuit lorsque je rêvais au milieu de nulle part. Je serrai les dents, m'avançant sur ce parterre d'herbes sauvages et de champignons, chaque odeur agressant mes narines et me donnant la nausée. J'avais le ventre vide, pourtant, puisque je ne m'étais pas encore résolu à suivre mon instinct et me nourrir de ce que je trouvais autour de moi. J'étais certain de mieux sentir, de mieux entendre, de mieux voir - ou peut-être était-ce comme avec la drogue, non pas meilleur mais différent puisque j'avais sur la langue le goût âpre du manque, coulant dans ma gorge jusqu'à ma poitrine meurtrie. Je parlais comme un homme, retraçant mon anatomie dans mon esprit pour y percevoir les failles, les trous d'aiguilles et les zones d'ombre où l'héroïne avait creusé son tunnel pour n'y laisser qu'une traînée brumeuse et corrosive. J'étais le sommet érodé d'une montagne que personne ne voulait escalader car des légendes racontaient que les nuages qui l'enveloppaient dégageaient des vapeurs toxiques au parfum de souffre et de trépas. Aucune fleur ne poussait sur mon flanc, la roche brûlait même la mousse qui s'y déposait timidement. Je me voilais la face et l'esprit, refusant le moindre coup d’œil à mon reflet dans l'eau des rivières qui chantaient entre les racines des arbres. J'avais peur de ce que je devenais, ou de ce que j'étais devenu. Cela faisait plusieurs semaines probablement que j'avais dépassé la limite : celle, intrinsèque, que tous les animagi connaissaient, celle qui marquait la frontière entre notre âme humaine et notre vie animale. On ne nous l'enseignait pas, on ne nous avait jamais dit qu'il y avait un risque si l'on décidait de ne plus reprendre notre forme originale, mais nous le savions par déduction. L'animal en lequel on se changeait n'était-il pas un morceau de notre être personnifié en un symbole unique et bestial ? Il était donc évident qu'habiter le corps de la bête trop longtemps entachait quelque chose en nous de manière indélébile. Je m'étais promis de retourner à Londres après deux mois de silence, caché dans les terres écossaises de mon enfance, mais j'y avais retrouvé une paix intérieure qui suffisait à accepter ma condition animale : sous cet apparat de fourrure rousse, l'idée d'une aiguille plantée dans ma peau s'estompait un peu plus à chaque minute. Elle était là, bien entendu, et serait toujours là, mais elle ne possédait plus cette opacité terrifiante qui assujettissait mon esprit à un but fixe et unique : consommer, planer, m'écraser contre la paroi malléable de mes rêves de camé pour confondre songe et réalité à mon réveil. En ces lieux sacrés, l'air pur redonnait une couleur à chaque chose et ces teintes toutes nuancées, toutes plus belles les unes que les autres, se déposaient sur ma rétine pour me faire oublier, ne serait-ce que quelques minutes, l'envie glaçante de combler le manque. L'odeur douce de la fin d'une averse embauma mon esprit et je poursuivis mon chemin, l'estomac criant toujours famine mais le cœur plus léger. Partout autour de moi, l'eau s'était niché dans la terre et avait creusé son lit : un ruisseau coulait non loin et l'entendre glisser contre les roches sylvestres me rappela soudain ma soif. J'étais si réticent à boire à même le sol que je passais parfois une journée entière sans m'abreuver. Mais il fallait se rendre à l'évidence, je devais me plier à ce que mon corps m'ordonnait car plus je le contredisais et plus il s'emparait des rennes de mon esprit. Je m'éveillais parfois le matin en ayant rêvé toute la nuit de chasse et de course à travers la forêt, de clairière en clairière. Déjà mon sommeil voulait me faire croire que j'étais devenu animal, occultant la moindre réflexion humaine si ce n'était parfois le besoin viscéral de me droguer. Si le sol était sec, la poussière me rappelait la couleur brune et inoubliable de l'héroïne lorsqu'elle était encore poudreuse, et je ne savais pas ce que je préférais, ou bien ce que je détestais le plus : être perpétuellement confronté au manque ou ne pouvoir l'oublier qu'en m'abandonnant à des instincts primaires d'animaux ? Le pire était probablement passé à présent. J'avais tant souffert de n'entendre que mes lamentations dans la langue canine, les crocs mousseux d'une salive pauvre et amère, lors de mes premiers jours en tant que renard. J'avais tant souffert de ne pas pouvoir hurler ma douleur comme l'aurait fait un Homme à l'agonie, ne devant me contenter que des jappements semblables à ceux des chiots, embrassant de force ma transformation et me privant ainsi de tout ce qui faisait de moi un être humain doué d'émotions et de vivacité d'esprit. J'avais cru mourir, là, au creux de ces arbres inconnus, puisque cette enveloppe charnelle n'était pas adaptée à la complexité de mon existence et que mes handicaps de drogué me rappelaient constamment à mon humanité et ses désirs noueux. J'avais cru mourir, puis mon sang s'était changé en acide pour pomper la moindre source d'énergie que mon corps possédait encore, la moindre trace de drogue encore présente quelque part au milieu de cet organisme rouillé, bon à jeter en pâture aux vautours, le moindre souffle de vie qui soulevait ma poitrine et gonflait mes poumons pour serrer mon cœur entre les doigts de la fatalité et l'obliger à battre. Tu ne vas pas crever comme un chien au bord de la route, Eachan. Et j'avais survécu en me rendant compte que je connaissais encore mon prénom, et que je pouvais souffler tant que ce serait le cas. Mon regard se posa à nouveau sur les branches des arbres, admirant leur transcendance dessinée par leur verticalité, puis après avoir observé le ciel blanc qu'elles désignaient toutes avec cette majesté propre à ces entités de bois et de feuilles, mes prunelles retombèrent sur le lit du ruisseau et j'aperçu les contours de ma silhouette : mes oreilles pointues, mon long museau et la courbe de mes crocs puissants de prédateur. Je ne discernais pas la teinte rousse de mon pelage mais la devinais dans les ondulations de la surface dont la placidité n'était brisée que par les feuilles mortes qui s'y déposaient après une chute lente et poétique que l'automne inspirait à tous les Hommes. Ça non plus je ne l'avais pas oublié : j'avais conscience de la beauté des choses et restais ainsi humain, après tout. Puis un réflexe subit effaça l'espace d'un instant toute cette réflexion et je plongeai ma patte dans l'eau pour y attraper un poisson. Je le sortis et le déposai dans l'herbe, ne prenant aucun plaisir à le regarder étouffer si bien que mes griffes se plantèrent entre ses écailles et il mourut sur le coup, laissant un filet de sang s'échapper de sa bouche ouverte. Il n'y avait eu aucune hésitation dans mon geste et je croquai dans sa chair à pleines dents de façon semblable, comme si tout avait été normal. Mais j'avais trop faim pour prendre du recul et je dus admettre que le goût aqueux de ma proie me sembla tout aussi délicieux que tout ce que le monde humain avait pu placer sur ma langue au cours de mon existence. Un craquement attira mon attention et je scrutai les environs, décelant finalement la forme de l'intrus qui venait perturber mon repas : nous nous observâmes longuement, suspendant nos gestes et nous toisant avec une animosité tacite. Je reconnus un semblable : sa fourrure ardente, son visage allongé et sa queue fournie ne trompaient pas. Mais il n'en fut pas de même pour lui, car je compris sa crainte à mon égard alors qu'il fit volte face et disparaissait entre les fougères. Il ne m'avait pas reconnu à son tour puisque je n'étais manifestement d'aucun des clans. Pas tout à fait humain, pas tout à fait renard, pas tout à fait mort, pas tout à fait vivant. Un étranger dans sa propre maison car même son corps ne lui appartenait plus. Il l'avait perdu dans les décombres de cette âme qu'il avait laissée pourrir derrière lui, s'abandonnant à des tentations futiles et misérables dont l'ombre le suivrait jusqu'à son dernier souffle.
night four ; Je trottinai autour de la maison et plongeai parfois en avant pour capturer une feuille morte ou un papillon. Le soleil disparaissait derrière les montagnes et j’avais décidé de passer la soirée à l’extérieur afin de célébrer mon retour à la liberté. Je savais que je ne pouvais pas moralement m’enfuir, même si l’idée m’était parvenue à mon esprit plusieurs fois, mais la sympathie qu’avait témoignée Rosemary à mon égard méritait que je reste fidèle à mes promesses. En outre, elle avait raison : ils étaient mes seuls alliés potentiels dans cette histoire, puisque le Ministère m’éliminerait sans remord s’il mettait la main sur moi et qu’en tant que né-moldu, le temps avait bien montré que les esprits n’évoluaient pas et que j’étais le bouc émissaire de cette société. Je pouvais toujours me perdre de nouveau dans la Nature mais je n’y étais pas allé de bon cœur la première fois, il aurait été étrange que je me condamne de nouveau à la solitude alors que j’avais la possibilité d’obtenir gain de cause dans cette affaire. J’ignorais comment ni pourquoi mais quatre jours d’enfermement et d’entretiens pas toujours évidents qui se soldaient sur cette bouffée d’air frais, cela m’avait redonné un semblant d’espoir. Néanmoins, je me doutais que le regard pétillant de la Londubat y était pour quelque chose. Si Jawhar avait été seul à s’occuper de moi, j’ignorais si la communication aurait été aussi facile. Chacun d’eux était de bonnes personnes mais j’avais simplement plus d’affinités avec la jeune sorcière, et ce pas simplement parce qu’elle était belle. Après tout, Shafiq avait son charme, lui aussi. Mais son parfum mêlait des relents de désespoir et de poussières, ce qui me rappelait trop les années sombres de mon existence durant lesquelles tout avait le goût et l’odeur du sol sur lequel je m’effondrai lentement après une injection d’héroïne. « J’ai ramené du ragoût, si tu en veux. » La voix de Rosemary me tira de mes pensées et je tournai la tête, grognant et montrant les crocs avec méfiance. Il y avait quelqu’un avec elle qui n’était pas Jawhar. Une silhouette ne tarda pas à faire son apparition aux côtés de la professeure et ma queue fendit l’air tandis que je bandai les muscles, prêt à attaquer en cas de besoin. « Calme-toi. Voici Soraya Stonham. Elle est journaliste indépendante, membre de l’Ordre du Phénix et elle travaille sur un important reportage concernant le Ministère de la Magie. Comme beaucoup, dont toi et moi, elle pense que les politiques jouent un jeu dangereux et que certains se laissent corrompre et permettent à Voldemort de mettre ses fidèles aux commandes. » Je fronçai du museau et détendis mes muscles, sans pour autant reprendre forme humaine. Elle prit la parole à son tour, son accent londonien trahissant ses origines sociales et son éducation. « J’enquête notamment au Bureau des Aurors et il se trouve que la faction dans laquelle vous avez été engagé à la fin des années soixante a reçu de nombreuses plaintes. Vous n’avez pas été la seule victime à disparaître en de mystérieuses circonstances après avoir été envoyé en mission pour réaliser des actes contraire à la Charte du Ministère. » Elle me montra la porte d’entrée de la maison et m’invita à la suivre, ce que je fis en retrouvant mon corps bipède et m’installant en bout de table. Rosemary agita sa baguette pour remettre un peu d’ordre sur le plan de travail et contrôler la cuillère en bois qui mélangeait le fameux ragoût. Je lui jetai un regard noir en sentant les odeurs d’aubergines et de courgettes surplomber celle du bœuf. « J’aime pas les légumes. » Elle me sourit avec malice avant de me rendre un coup d’œil railleur. « J’ai mis des carottes. Ça rend aimable, tu en as besoin. » Je haussai les sourcils en gardant mes prunelles fixées sur elle puis répétai la fin de sa phrase en adoptant un ton idiot et moqueur, mâchant mes mots volontairement car je n’avais manifestement aucune répartie à part celle-ci. Je retrouvai mon sérieux pour faire face à Soraya, dont je pus mieux détailler le visage sous la lumière douce du séjour qu’à contre-jour sur le tableau céleste du crépuscule. Il s’agissait d’une femme à la peau noire et aux cheveux crépus coupés courts, au ras de son crâne. Elle était vêtue sans excentricité mais avec une élégance propre aux citadines, ses pieds chaussés de petits talons qui rehaussaient sa silhouette. Elle était également maquillée avec soin, ce qui soulignait ses pommettes où mes yeux s’égarèrent un instant avant qu’elle ne poursuive ses déclarations de l’extérieur, ce qui estompa ma rêverie pour me forcer à me concentrer sur le concret. « Si vous voulez retourner à la civilisation, il sera nécessaire de passer par un tribunal, ce pourquoi vous avez refusé toutes ces années de reprendre votre forme humaine. Mais à présent, vous savez que vous n’être pas seul face à ceux qui vous ont abandonné et, on peut le dire, assassiné. Je suggère que nous nous entraidions. Vous apportez ainsi votre témoignage à mon reportage et je vous aide à gagner le procès qui vous attend. » Elle sortit un paquet de cigarettes et en alluma une du bout de sa baguette avant de souffler un nuage de fumée qui enveloppa son visage un instant. Puis elle reparut et conclut en sortant de son sac un dossier épais. « J’ai de bonnes raisons de penser qu’une poignée d’employés du Ministère travaillent en réalité pour le compte des Mangemorts, les partisans de Voldemort. J’imagine que vous en reconnaîtrez certains. » Elle me tendit plusieurs photographies et mon doigt n’attendit pas qu’elle me le demande pour se poser sur l’une d’elles. Je l’avais reconnue immédiatement : la femme qui m’avait donné le dossier concernant Melville et dont l’aura ne m’avait inspiré aucune confiance. Son nom était inscrit en bas du cliché : Elizabeth Nott. Son visage avait pris quelques rides en une décennie mais son air n’avait pas changé. « Mme Nott est en effet dans notre ligne de mire, elle se défend d’avoir un jour participé à ce qu’elle appelle ‘cette mascarade’, c’est-à-dire l’envoi illégal d’espion dans les deux blocs et l’abandon de ces derniers à leur propre sort lorsque cela risquait de lever le voile sur les manigances de ces factions secrètes. Mais vous pouvez prouver le contraire et Rosemary peut confirmer car elle a également reconnu Mme Nott grâce à votre souvenir. » Soraya fit un signe de tête courtois à Rosemary qui le lui rendit, puis la journaliste se leva et me salua légèrement. « Je ne peux malheureusement pas rester, j’ai beaucoup de travail, mais nous nous reverrons M. Reid, j’en suis certaine. En attendant, profitez du ragoût, il est délicieux. » Elle me tendit la main et j’empoignai cette dernière avec nonchalence, puis elle sortit à l’extérieur et transplana. Je poussai un soupir et me tournai vers Rosemary qui souriait toujours dans son coin. Elle avait les bras croisés et semblait satisfaite de l’issue qu’elle me proposait. Mais elle avait compris que je ne voulais pas en parler immédiatement et que j’avais besoin d’y réfléchir. Besoin d’être certain de vouloir me lancer face à la justice, au risque de tout de même me retrouver à Azkaban. « Pourquoi as-tu quitté ton exil ? » J’avais appréhendé cette question pendant des heures, presque depuis le début des interrogatoires. Voilà qu’elle arrivait enfin mais que je n’y étais toujours pas préparé. Le traumatisme était bien trop récent encore. J’inspirai profondément pour laisser échapper ma réponse en un seul souffle : « Un chasseur m’a tiré dessus. » Pour tuer l’animal que j’étais devenu. « La balle a touché ma cuisse et est restée coincée à l’intérieur. La douleur m’a forcé à agir sans vraiment réfléchir et la force de la raison humaine qui sommeillait au fond de moi depuis presque dix ans se manifesta pour que je me retransforme de nouveau en Homme, mais la mutation aggrava la blessure et je perdais bien trop de sang pour survivre au milieu de la nature. » Cela avait à la fois marqué le fait que j’étais une proie et non un homme, mais également que, comme tout être humain, j’avais eu peur de mourir sans personne autour de moi pour me pleurer. « Et la magie est tellement bien faite que j’étais habillé lorsque je me suis retransformé. Du coup, j’avais sur le dos exactement tout ce que j’avais porté le jour de ma disparition. Au détail près. » Je fis retomber sur la table l’objet dont la valeur à mes yeux était à présent presque symbolique pour son apparence commune et risible. Je devais ma vie à un aimant en forme de Statue de la Liberté. Rosemary le prit entre ses doigts fins et caressa les pics de la couronne de la Statue avant de rire doucement. « Tu es allé voir Leviathan. » conclut-elle d’elle-même et j’acquiesçai en adoptant l’expression navrée et amusée d’un personnage comprenant le dénouement final d’une comédie dramatique. « J’imagine que je peux bien te montrer un dernier souvenir pour la route. » J'avais pris goût à ses pérégrinations entre les limbes de ma mémoire. La savoir quelque part dans mon passé me manquerait mystérieusement. Son regard pétilla de malice puis elle prit une louche et remplit une assiette du contenu de la casserole pour venir me le déposer sous le nez. « D’accord, mais d’abord le ragoût. » Et je la maudis en silence mais saisis malgré tout la fourchette qu’elle me tendait pour venir piocher dans le mélange et placer le tout sur ma langue avant de l’avaler, marquant par cette bouchée l’étrange entrée dans un nouveau chapitre de mon existence, celui de la quête de mon humanité égarée.
???? ; Une inspiration et ... Je sentis mon corps se soulever sans comprendre. Je poussai un râle de douleur car cela tirait sur ma blessure et je tins d'autant plus fortement l'objet entre mes doigts ensanglantés. Autour de moi, l'obscurité que l'agonie avait peinte se changeait en lumière et en couleurs. Je n'étais certain que d'une seule chose : il ne fallait rien lâcher. J'avais tout oublié. Mon nom, mon âge, mon histoire, mon visage. Mais j'avais vidé mes poches avec maladresse, laissant la moitié de leur contenu entre les racines des arbres d'une forêt écossaise car cet objet avait éveillé en moi une lueur, pas tout à fait un souvenir, mais quelque chose malgré tout, comme une boule de chaleur au fond de ma poitrine. C'est le chemin qui te mènera vers ... J'avais l'impression d'entendre le refrain d'un vieux chant et de le fredonner à l'unisson avec un fantôme de mon passé revenu me hanter. Et je m'étais envolé, tout simplement. Instinct de survie, animal ou humain, j'avais serré l'objet entre mes phalanges, ses pics se plantant dans la peau de mes mains pleines de terre que je ne parvenais plus à utiliser jusqu'à ce que mes paumes saignent et que la douleur m'arrache une prière. Prière que j'adressai à n'importe qui et on me répondit en me faisant tournoyer dans des airs. Dans une autre dimension. Dans un autre monde, peut-être enfin celui qui m'accepterait tel que j'étais. Une inspiration et je retombai lourdement sur un sol dur qui sentait la javel, la vitesse me faisant rouler jusqu'à une matière douce que je reconnus comme les poils d'un animal. Je me blottis contre son pelage d'un blanc que mon sang macula. J'y plongeai mon visage et me recroquevillai afin que mon corps entier soit en contact avec la bête qui m'accueillit sans broncher. Et je fermai les yeux, gémissant de douleur mais acceptant la mort car je ne voyais autour de moi que d'étranges murs clairs où se succédaient des œuvres d'art et de mystérieuses créatures de métal. C'était donc ça, l'ascension ultime que j'avais ressentie. Mon âme était montée au ciel pour pénétrer dans le monde suivant. Mais si j'étais mort, pourquoi avais-je encore mal ? J'entendis des bruits de pas précipités dévalant ce que je devinais être un escalier, avant de me poser la question de savoir si je n'avais pas oublié ce qu'était un escalier. Et puis un silence. Un silence pesant, non-naturel, un silence durant lequel on retenait son souffle sous l'horreur ou la surprise. Un silence brisé par un cri déchirant dans la nuit : « MON TAPIS ! » Mon corps fut soulevé sans mal comme si je n'avais pesé que le poids de quelques plumes. On me mit en retrait et une silhouette se pencha non pas sur moi pour s'assurer que je n'étais pas mort, mais sur le rectangle parfaitement découpé de ces poils blancs que j'avais pris pour un animal avant de comprendre qu'il ne s'agissait que d'une peau étendue sur le sol, simplement décorative. « Je ... » Je perçus le désespoir qui siégeait dans la voix de cet homme sans le comprendre. « C'est irrécupérable ... » Après plusieurs secondes d'un chagrin qui me parut aussi absurde que long, on daigna poser ses yeux sur ce qui s'apparentait à mon cadavre. Je poussai un nouveau gémissement qui ressemblait en réalité au couinement d'un animal touché par la balle d'un chasseur. Je suis un animal et mon âme a mal Je suis un animal et mon âme a mal Je suis un animal et mon âme a mal Pourquoi ne réagissait-il pas ? JE SUIS UN ANIMAL ET MON CORPS A MAL. Mais j'étais incapable d'appeler à l'aide, incapable d'expliquer, incapable de parler. S'il décidait de s'en aller, il le pouvait. J'étais un macchabée sans nom et sans passé. Finalement, je sentis mon buste se redresser de lui-même et compris que l'homme créait artificiellement une attraction vers lui. Il saisit ma crinière et la souleva pour observer ce à quoi il avait affaire. « J'espère que c'est une blague. » indiqua-t-il avec un mépris d'autant plus blessant que je n'y avais pas été confronté depuis bien trop de temps. Il me laissa retomber sur le sol et sa silhouette floue surplomba ce corps inerte qui se vidait de son sang pendant un instant encore. Enfin, je m'endormis d'un sommeil que je sus involontaire car créé de toutes pièces par cet inconnu aux étranges pouvoirs, me plongeant dans un océan de rêves chaotiques et de déjà-vus. [...] J'ouvris les yeux. Mes paupières papillonnèrent un instant pour s'habituer à la lumière et je voulus bouger, en vain. J'étais dans un corps étranger qui souffrait. Je décidai alors de regarder ce qui se trouvait autour de moi. Une chambre meublée simplement décorée de tableaux d'art contemporain dont les teintes m'agressèrent la rétine. Une migraine incinérait petit à petit mon crâne. Des milliers de flashs comportant des souvenirs en désordre noyaient mon esprit faible et m'incitaient à me rendormir. Je voulus le faire, néanmoins une ombre se profila à mes côtés et s'abaissa à ma hauteur pour s'adresser à moi. Ou peut-être pas. Il chantait. Steve walks warily down the street, with the brim pulled way down low Ain’t no sound but the sound of his feet, machine guns ready to go Are you ready, are you ready for this, are you hanging on the edge of your seat ? Out of the doorway the bullets rip to the sound of the beat Les détails apparaissaient prudemment mais sûrement à mon regard morne et je compris que l’homme claquait des doigts en rythme avec une musique entraînante sans comprendre d’où elle venait. Another one bites the dust Je restai immobile mais mes yeux roulaient dans leur orbite en cherchant des explications. La voix de l’homme couvrit finalement celle du chanteur et il poursuivit le couplet suivant. Je pouvais comprendre ce qu’il racontait mais j’étais incapable de le faire taire ou de simplement lui parler pour lui dire ce qu'il m’était arrivé. Il fit rouler ses épaules sous sa chemise en un mouvement dansant puis se mordit la lèvre pour signifier à quel point il communiait avec la musique. « There are plenty of ways you can hurt a man and bring him to the ground! You can beat him you can cheat him you can treat him bad, and leave him when he’s down! But I’m ready, yes I’m ready for you, I’m standing on my own two feet! Out of the doorway the bullets rip, repeating the sound of the beat! » Il soupira, constatant mon absence de réaction, puis éteignit la musique d’un geste. Je notai la présence d’une baguette dans sa main. Une sueur froide me parcourut : j’en possédais une aussi. Mais une petite voix au fond de ma mémoire m’indiqua que non. « Je vous ai jamais aimés, les Britanniques. Mais vous avez quand même donné naissance à Queen. » Son visage adopta une expression traduisant la profonde fatalité de sa déclaration : il était forcé de reconnaître que, malgré tout … D’où me venait tout ce vocabulaire ? D’où sortaient ces mots et ces pensées qui se reconstruisaient à mesure qu’elles naissaient ? « Qu … qu … j … sss … » Des sons glissèrent entre mes lèvres et formèrent des bulles de sang éclatant et laissant couler ma salive sur mon menton. Ma langue ne pouvait pas faire trop d’efforts, si bien que j’étais condamné au mutisme. L’homme leva sa baguette et approcha la pointe fine et lumineuse de celle-ci vers ma paupière mi-close qu’il souleva avec son pouce. Il éclaira mon cou puis mon épaule et enfin mon bras. Je me rendis alors compte que j’étais torse nu alors que j’étais venu vêtu en entier. « Tu sais, j’ai déjà du mal avec un Eachan Reid tout court. Alors un Eachan Reid qui ne sait plus qui il est, ça va vite m’emmerder. » Je connaissais ce nom. Et plus le visage de l’homme se distinguait nettement du reste de la pièce, plus je compris qu’il ne m’était pas inconnu lui non plus. J’emplis mes poumons d’air et me concentrai pour lui poser des questions simples et précises. Cela ne devait pas être trop difficile, si ? « … nnée … ? Aaah … n … » Echec cuisant. Mais mon interlocuteur haussa les sourcils, se grattant le nez d’un air perplexe. « 1981. Tu t’appelles Eachan Reid, tu es un Auror au service du Ministère de la Magie anglais, tu as l’air d’avoir participé à une chasse à l’homme internationale, ce qui expliquerait pourquoi j’ai dû enlever une balle de ta cuisse pour ne pas avoir à la couper. Mais le plus incroyable … » Il se pencha pour attraper un morceau de tissu que je reconnus comme l’un des habits que j’avais porté lors de mon envol. Il sentait la terre et le sang séché. « … c’est que tes fringues sont tellement ringardes que je parie sur un voyage dans le temps. » Il me fournissait trop d’informations. « Et moi c’est Leviathan Faust. Tu es amoureux de moi depuis bientôt quatorze ans, sans succès pour l’instant, mais ne perds pas espoir. » Mon regard s’assombrit car je saisis le fait qu’il s’agissait d’une plaisanterie sans savoir pourquoi une part de moi ressentit une profonde exaspération mêlée d’agacement à l’écoute de ses mots. Je connaissais cet homme, j’en étais à présent certain. Rendez-vous avec le Léviathan. Tu parles d’un trip biblique. Tu parles d’une gueule de bois, ouais. Mais, par-dessus tout, il me connaissait. Il avait mis un nom sur nos visages, et même s’il mentait, il me donnait l’impression de renaître de mes cendres pour pouvoir y replonger à la recherche de mon identité, perdue car brassée depuis des années par la poussière d’un passé désormais éteint. ✵ ✵ ✵ ✵ ✵ ✵
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| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:21 ( #) | [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
(part five ; [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]) i sit every night when nobody else is there, when no soul can come and comfort my own and i cry. nobody else ever sees my tears, others laugh that i'm made of steel, yet cannot see how desperately i crave for someone to cry my soul into. how can you explain that worries no longer go away with your mother's hugs? how do you tell her that you no longer can come knock on her door at night? the only compagny i have is my suffering, it's the only friend i know. i wish tears could wash away my burnt heart, but it takes more than water to clean char.
november 1981 ; Je tapai l’extrémité de ma cigarette contre l’étui en métal qui contenait les autres. Le cliquetis significatif du briquet me rassura et la bouffée de nicotine aspergea mon esprit d’un soudain soulagement, mon pouce caressant mes lèvres tandis que j’adoptais une posture pensive. Mon dos courbé supportait un manteau noir et épais me donnant l’allure sérieuse d’un professeur, et mon cou avait du mal à supporter le poids de mon crâne car je n’étais toujours pas habitué à vivre dans ce corps. Je le détestais. Ses os fragiles et ses faiblesses, sa peau flasque d’une pâleur maladive, ses sueurs froides, ses tremblements et, bien sûr, ce manque qui revenait à la charge, débordant des cratères noirâtres couvrant mes bras comme des taches d’encre indélébile. Ce manque dont mon corps était le symbole, un vase percé en son fond car jamais il n’arriverait à satiété. Au fond des terres sylvestres de l’écossais, j’avais fini par oublier le mot héroïne, clé absolue de mon humanité. J’avais renoncé à cette dernière pour survivre et je savais qu’entrer de nouveau dans mon ancienne peau me raccrochait aux désirs de mon être, à ses erreurs et ses tourments. Chaque jour à vivre sous forme animale m’avait purifié car on ne pouvait pas reprocher à la Nature de suivre le cours des choses, et j’avais rejoint le lit de sa rivière en décidant de ne plus nager à contre-courant, comme l’avaient fait les Hommes. Le rejet n’en avait été que plus rude. Je rêvais encore la nuit de ces étendues fraîches et verdoyantes mais elles étaient troublées à chaque fois par l’ombre du chasseur qui m’avait volé mes années de salut. Cependant, c’était peut-être le destin qui m’avait rattrapé, me terrorisant tout d’abord en me poussant jusqu’au bord du précipice puis m’entourant de silhouettes familières ou amicales dont le timbre de la voix vibrait à l’unisson avec la poésie de la justice. Cette cigarette était la première cigarette d’un homme libre. Je la fumai comme telle, mes doigts s’y accrochant fébrilement car l’excitation de la victoire me faisait presque trembler de joie. Une joie amère, certes, mais obtenue. Le marteau avait émis un fracas en rencontrant la table à laquelle le juge s’était installé pour surplomber l’audience une dernière fois avant de prononcer son verdict, et l’annonce de mon acquittement m’avait semblé en premier profondément irréelle, comme si elle arrivait à quelqu’un d’autre et que je n’avais été qu’un individu inconnu présent dans les rangs du public, silencieux et observateur. Puis était venue la réalisation, le sentiment de chaleur trop extrême qui avait manqué de me faire évanouir, le soupir de soulagement que j’avais imaginé s’échapper de la gorge de Romy car elle avait assisté à de nombreuses séances. J’avais repéré des visages familiers : Soraya Stonham ainsi qu’une poignée de journalistes, la jeune londonienne m’ayant présenté une avocate très intéressée par mon histoire qui avait accepté de me défendre. C’était probablement sa première grande victoire et elle allait être propulsée dans le monde du travail car il était vrai qu’on n’assistait pas à un procès comme le mien tous les jours. Et je parlais en toute humilité. J’avais détesté être le centre de l’attention car ça n’avait pas été bien différent de ces gamines racontant leur vie pourtant passionnante à la télévision américaine, nourrissant des imbéciles de souvenirs qu’ils ne comprendraient jamais. Le Ministère s’engageait donc à me verser un peu d’argent, bien assez pour survivre jusqu’à trouver du travail et racheter un costume. Le reste, sans grande utilité, j’avais décidé le dépenser en paquets de cigarettes parce que j’étais un véritable cynique, au fond. Je n’avais pas de séjour en prison à faire puisque les neuf ans d’exil avaient paru suffisants à la Justice Magique pour me libérer. Mais j’avais tout de même des travaux d’intérêt généraux à faire, laissant mon casier vierge malgré les meurtres et l’utilisation répétée de Sortilèges Impardonnables ainsi que la consommation illégale de drogues, toutes ces choses ayant été les arguments majeurs de la défense, sans succès pour leur part. En ce qui concernait les rapports sexuels ayant possiblement eu lieu avec des mineures prostituées, l’absence de preuves concrètes laissa l’enquête sans suite, bien que nos adversaires demandèrent plusieurs fois à ce que je fournisse des souvenirs, ce qui leur fut refusé puisque c’était relatif à ma vie privée et mon intimité, choses qui furent pourtant maintes fois violées au cours du procès puisque j’avais accepté de donner certains souvenirs à mon avocate pour qu’elle reconstruise le puzzle de ces scènes éparpillées. L’abandon du Ministère et la détresse dans laquelle je m’étais retrouvé émurent les jurés : j’étais non coupable et j’allais me souvenir pendant ma vie entière, et peut-être la suivante, du visage d’Elizabeth Nott se décomposant en se rendant compte qu’elle était passible d’une peine à Azkaban, aux côtés de ce bon vieux Melville qui y pourrissait depuis plus de dix ans à présent. Je recrachai la fumée de ma cigarette et souris avant de tourner la tête vers les marches en marbre du tribunal d’où sortait la foule qui s’émiettait ensuite dans les rues de Londres. Une silhouette attira mon regard alors qu’elle bifurquait pour disparaître au coin d’un carrefour désert. Je transplanai et fis immédiatement volte-face pour tomber nez à nez avec l’intéressé. « Tu allais quelque part ? » Une coiffure soignée et un costume couleur bronze élégant comme il en avait à l’infini, brodé de fils de soie dessinant des arabesques sur la doublure visible au niveau du pli de la veste et des ourlets. Il était à la mode sans trop l’être, comme à son habitude. Au cœur du sujet mais en avance sur les autres. « A la chasse. » m’indiqua-t-il avec un sourire froid, me rappelant une énième fois à quel point Leviathan Faust savait m’agacer d’une façon fine qui lui était propre. Je posai ma main contre le mur et me redressai, non pas pour l’intimider car ça n’était pas vraiment possible, mais pour le provoquer et l’empêcher d’avancer. Il pouvait toujours transplaner mais quelque chose me laissait croire qu’il n’en avait pas envie. « Tu veux me racketter et me voler mon goûter ? » Levi était ainsi : il noyait son discours dans le sarcasme et l’humour noir pour ne pas montrer ses incertitudes. J’avais fini par le comprendre car après tout, j’avais été témoin de son existence pendant plusieurs mois. Il se proclamait insaisissable, il restait humain, ses mimiques et ses réflexes verbaux ne passant pas à côté d’un regard aussi attentif que le mien avait été à l’époque. Malgré les rides et les cheveux blancs, il avait conservé son arrogance intacte. « Tu es venu à Londres sur ton temps de travail pour assister au verdict. Tu es certain que c’est moi qui suis amoureux ? » Je portai ma paume à mon cœur, feignant l’émotion. « Ca me touche tellement, t’as pas idée. » Il leva les yeux au ciel et soupira. « On verra si tu tiendras à Poudlard plus d’une semaine sans pousser la porte de mon bureau la nuit. » Il avait adopté sa voix mesquine, plissant les paupières et les lèvres pour souligner l’orgueil qui lui seyait si bien. « Le premier qui craque paye une tournée à l’autre, c’est ça ? » conclut-il en haussant les sourcils, mimant l’innocence incarnée. Voilà donc les travaux d’intérêt généraux qui m’avaient été assignés. Je pouvais récupérer mon statut d’Auror après un an de loyaux services envers le Bureau qui me plaçait dans la garde de protection de l’école face aux menaces du Clan de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Un faux pas et j’étais limogé. J’avais une réputation à éclaircir. « Mais j’ai cru comprendre que tu ne t’intéressais qu’aux gamines de dix-sept ans, du coup ce sera facile pour toi. » Je serrai les dents et il me contourna pour poursuivre son chemin. « Très drôle Levi, très drôle. » grognai-je en prenant sa suite. Il sifflota quelques secondes puis je le coupai dans ses pensées alors qu’il semblait avoir décidé de la destination vers laquelle nous nous engagions : « Tu m’emmènes où ? » Il tourna la tête vers moi et posa sa paume sur mon épaule. « T’as une autorisation pour un rachat de baguette. » Sa prise se fit plus ferme et son regard plus malicieux. « On va faire du shopping. » Et il m’emporta avec lui dans son transplanage, ce qui me procura une sensation étrange et pourtant si familière car elle me ramenait elle aussi des années en arrière, lorsque Leviathan avait fait ce geste simple pour la première fois, créant ainsi entre nous un lien certes parfois défectueux ou passionnel, mais qui avait subsisté malgré les intempéries du destin alors que le temps avait érodé toutes les connexions qui s’étaient nouées autour de nous, sans jamais nous atteindre puisque nous avions pénétré dans l’œil du cyclone. january 1982 ; Je n’allais jamais m’en lasser. L’école avait revêtu son manteau d’hiver et en soupirant, un nuage de buée se forma pour s’évaporer immédiatement dans l’air froid du mois de janvier. Les cours avaient repris et voir de nouveau tous les élèves peupler le château me soulageait. J’avais pris goût à mon rôle. A mon âge, les railleries concernant la nature de mon sang me paraissaient dérisoires, bien que mes oreilles soient assez irritées par certaines remarques adressées à des élèves pour que j’en corrige les auteurs. Je n’avais pas la possibilité d’enlever des points, et heureusement car j’aurais pris ma mission bien trop à cœur. La plupart du temps, je n’avais pas grand-chose à faire mis à part rôder dans les couloirs et discuter avec les élèves et le personnel. Poudlard restait notre maison à tous puisque nous y étions nés une seconde fois, entre ces murs froids renfermant d’immenses secrets. Voilà pourquoi je ne me plaignais pas du verdict que les juges avaient prononcé. J’avais même eu l’occasion de prendre à nouveau des cours de sortilèges, mais comme le vélo, ce genre de chose ne s’oubliait pas totalement. J’étais simplement un peu rouillé, néanmoins mon assiduité aux séances me permit de vite retrouver une aisance correcte. Après tout, j’étais censé protéger les élèves en cas d’attaque, et non l’inverse. Je restais discret concernant ma qualité d’Animagus car, même si le personnel du château avait été informé par le Ministère de mon don, je préférai que les élèves ne soient pas au courant. Malgré tout, certains avaient des yeux partout et trois gamines de Serdaigle étaient venues me poser des questions à ce propos afin d’avancer sur un exposé qu’elles devaient réaliser pour leur cours de métamorphose. Depuis, vu que j’avais poliment accepté de leur répondre sans trop entrer dans des détails qui me paraissaient douloureux, la rumeur s’était répandue mais sans prendre racine. Je m’étais cependant accommodé à me transformer avant la tombée de la nuit car j’aimais courir dans le Parc et la Forêt en plein jour, trouvant l’activité profondément revigorante. On me rejoignit sur le banc où j’avais élu domicile pour la soirée et je tournai la tête, souriant distraitement en reconnaissant les traits de Romy. Je la croisais régulièrement dans les couloirs, de même pour Jawhar et Levi, mais nous avions rarement le temps de nous installer pour discuter. Enfin, eux n’avaient pas le temps. Moi je m’occupais comme je pouvais pour combler le vide qui creusait en moi un immense sépulcre. « Ce n’est pas trop étrange d’être de retour ici ? » Je haussai les épaules et sortis une cigarette que j’accrochai à mes lèvres avec nonchalance. « Tu me connais, j’ai une dent contre tout ce qui est humain. Alors que ce soit Poudlard ou autre par, ça sera toujours étrange. » Elle acquiesça et garda le silence. J’observai en bas de la butte sur laquelle nous étions perchés un jeune sorcier s’amusant à courir, un chien à ses côtés. L’animal bondit de joie vers son maître puis se métamorphosa en une colombe qui se posa sur son épaule. J’allumai ma cigarette et la repris entre mes doigts. « Tu as déjà réussi le sort ? » La question de Romy m’amusa et je laissai échapper un rire léger. « Oui. » Je marquai une pause. Elle attendait probablement la suite. Elle attendait probablement que je lui dise que je n’étais plus capable de le réaliser car, voyons, comment trouver de beaux souvenirs dans l’océan de tristesse dans lequel se noyait mon cœur ? Elle attendait probablement que je lui demande d’arrêter de caresser ma mémoire du bout des doigts. Mais il en fut autrement car je croyais pour une fois en autre chose que la couleur du désespoir : « Et ce n’est pas un renard. » Je sortis ma baguette de ma poche et me levai, me tenant droit à ses côtés et m’abandonnant à cette vague de chaleur et de douceur que je savais assez puissante pour créer mon patronus. Je tendis le bras, décrivant de ma main une courbe onctueuse et prononçant distinctement la formule : « Spero … Patronum … » Un filet argenté naquit du bout de ma baguette et s’épaissit pour devenir un animal s’apparentant à un serpent. Mais le mouvement de son corps, aussi fluide qu’un morceau de tissu flottant dans le vent, ainsi que ses nageoires palmées indiquèrent qu’il s’agissait d’une créature marine. Elle s’enroula finalement autour d’un axe invisible puis, l’absence de Détraqueur rendant le sortilège inutile, disparut en un nuage lacté et brillant. « C’est une anguille ? » Je hochai la tête pensivement avant de préciser : « Une murène ruban, plus exactement. J’ai trouvé moins de symbole chez elle que lorsque j’ai découvert ma forme d’Animagus, je dois t’avouer. » Pourtant, je m’étais toujours un peu retrouvé dans la fluidité qu’elle possédait en se déplaçant. J’aurais aimé pouvoir lui parler comme le faisaient tous ces jeunes sorciers. J’aurais aimé qu’en me répondant, elle me fasse retrouver la plénitude que j’avais connu lors de la scène qui me servait de souvenir pour lancer le sortilège. « A quoi as-tu pensé ? » Je lui adressai un sourire signifiant que je m’étais attendu à cette question depuis le départ, et elle me le rendit afin de me faire comprendre qu’elle le savait, mais qu’elle s’en moquait un peu, au fond. « Ca n’a pas toujours été le même souvenir. Mais le second souvenir, celui auquel je me réfère désormais, a rendu mon patronus bien plus vif que le précédent. » Je m’installai de nouveau sur le banc et me raclai la gorge. « Je pense à ma mère. A un jour précis où, durant mon exil, je suis retombé sur les alentours de ma ville natale et j’ai décidé de reprendre le chemin de ma maison. J’ai pénétré dans le jardin et elle était là, à la fenêtre, préparant à manger pour le soir. Elle a relevé les yeux et m’a vu. Enfin, elle a vu un renard. Mais elle savait que j’avais la capacité de me changer en un tel animal et elle m’a reconnu. Elle ne s’est pas précipitée à l’extérieur pour me prendre dans ses bras puisque j’étais déjà dans un stade avancé de mon exil, cela m’aurait probablement fait fuir. Au contraire, elle est restée immobile et m’a souri avant de reprendre son travail. » Je pris une bouffée de tabac, mon silence rythmant mon discours afin d’en souligner la chute. « Le soir, je suis retourné voir son jardin, appelé par le besoin d’être proche de souvenirs emmêlés dans ma mémoire d’homme. C’était si étrange : je savais qu’il s’agissait de ma mère mais j’étais incapable de mettre un prénom sur son visage. Et finalement, j’ai remarqué qu’elle avait laissé une assiette sur le pas de sa porte d’entrée, la remplissant d’un repas complet sur lequel je n’ai pas lorgné plus de cinq secondes. Je l’ai mangé. Non pas englouti mais savouré, car il avait le goût de mon passé, de mon humanité et de la reconnaissance. Ma mère avait vu juste, elle avait pointé son fils entre mille animaux sauvages car j’étais sa chair et son sang. Le même sang que l’on a dénigré pendant ma vie entière alors qu’il m’a toujours apporté la puissance magique nécessaire pour accomplir toutes ces choses qui font parties de moi à présent. » Ironie du sort ? Peut-être. Mais je n’avais rien à envier aux Sang-purs, c’était pour moi une certitude. « Voilà mon souvenir. Le goût de ce plat délicieux qu’une mère a préparé à son fils réincarné en animal qui a brisé le temps d’un repas toutes les frontières qui s’étaient installées entre elle et lui : nous étions non pas humains, non pas animaux, sorciers ou moldus. Nous étions simplement des semblables capables de nous reconnaître mutuellement. Nous étions une famille. » J’insistai avec emphase sur la conclusion de mon histoire, permettant à Romy de ressentir aussi bien ce souvenir que tous ceux auxquels elle avait assisté, cherchant à lui faire comprendre que ces mots avaient assez de sens à mes yeux pour me protéger du mal car il s’agissait là d’un concept éternellement inexorable. Tu pensais que les désespérés ne parvenaient pas à lancer ce sortilège ? Détrompe-toi, princesse. C’est lors des nuits les plus sombres que l’on voit briller les plus belles étoiles. ✵ ✵ ✵ ✵ ✵ ✵ Le 5 septembre 1983
Levi,
J'imagine que tu as déjà deviné les raisons de mon départ compte-tenu de la politique qui s'instaure étrangement à Poudlard et dans le pays entier. Le Ministère, s'il est contrôlé par un personnel douteux comme les membres de l'Ordre le prétendent, ne s'arrêtera pas à ces marques. Il ira bien plus loin. Je le sais mieux que quiconque, j'ai été victime de ses excès. Mais je ne t'envoie pas ce hibou pour me vanter ni me plaindre, car je sais déjà que tu t'en moques. Je pars parce que je sais que je suis en danger. Une jeune élève médium dont je tairai le nom et avec laquelle j'ai noué une amitié qui me paraît sincère m'a assuré qu'elle m'avait vu dans l'une de ses visions et que j'allais être capturé comme toutes les victimes des disparitions. Dans l'idéal, j'en aurai profité pour me préparer à cette agression et en apprendre plus sur le fléau qui s'abat sur le Royaume-Uni depuis le début de l'été, mais cela fait longtemps que je ne suis plus ce soldat courageux prêt à tout pour obtenir un peu de reconnaissance et bien faire mon travail. Après tout, ça ne m'a jamais rien apporté de bon d'obéir aux ordres, tu as été le premier à me l'apprendre. Je me rendrai probablement à Londres si j'en ai l'occasion et si les choses ne s'intensifient pas trop. Sinon, je pense que je serai bien obligé de m'exiler encore une fois. Concernant ta récente mutation, tu connais mon avis et je te demande de faire attention à toi. Peut-être que tu es un éminent scientifique mais crois-moi, tu ne sais pas tout et il va t'arriver quelque chose si tu continues à jouer avec la potion tue-loup. Ou pire, il va arriver quelque chose à un élève et tu t'en mordras les doigts. Je ne sais pas très bien pourquoi je t'envoie cette lettre puisque manifestement, tu dois déjà te douter de tout ce qui me passe par la tête en ce moment, mais voici l'adresse d'un pub à Londres : 144, Diagon Alley. Le gérant me connaît et il réceptionne mon courrier sous un faux nom, Sean Scavenger. Si tu veux me contacter, tu sais comment faire à présent. Brûle bien entendu cette lettre avant qu'elle ne tombe entre de mauvaises mains. A bientôt j'espère,
Eachan
Dernière édition par Eachan Reid le Sam 10 Juin - 12:30, édité 8 fois |
| Leviathan Faust admin - shame to die with one bullet left Répartition : 04/11/2013 Hiboux Envoyés : 830
| Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Leviathan Faust, Mar 16 Mai - 12:21 ( #) | IL EST FILOU LA TAUPE LEVICHANNNN edit: incroyable mais vrai. Eachan est là. Je m'en remets toujours pas Je pense qu'il faut que j'attende quelques jours avant Mon filou est là la taupe, le renard, que dis-je, la murène est là Eachan, qui saigne sur les tapis hors de prix, et qui se frotte la tête avec les pieds me dis pas le contraire c'est vrai mais levi l'aime quand même don't you worry child JE SUIS TROP CONTENTE, J'AI TROP DE FEELS, ET J'EN PLEURE DÉJÀ JE T'AIME TROP MON ENTP PRÉFÉRÉE t'es trop parfaite avec tes persos, et je sais qu'eachan va déchirer tout, parce que c'est toi et que tu déchires tout du love sur toi je vais trop faire ctl f leviathan bon courage pour les cinq postes #ilylmlm #levichannnnnnnnnnnnnnnnn |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:22 ( #) | just because j'editerai edit: IL EST ENFIN LA omg t'en parles depuis tellement longtemps, genre il existait avant ophelia quoi j'ai trop hâte de lire ta fiche (non parce que j'ai bien lu celle de tom alors pourquoi s'arrêter là elle faisait combien de posts d'ailleurs? c'était dans la même veine je crois en tout cas je suis une vraie moi ) breeeef je te souhaite beaucoup de courage, tu me demandes un délai quand tu vois que deux semaines c'est pas assez pour ton roman et voilà REBIENVENUE LA PLUS BELLE faudra qu'on reparle de notre lien avec romy mais j'ai hâte de faire ta brolcolo ta broguée TA BRUNKIE bref tans compris #ilestfilou #cestunrenardmaiscestaussiunetaupe #monsieureachan |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:26 ( #) | |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:30 ( #) | la fameuse taupe ouij'airetenuçadansleflood. rebienvenue |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:45 ( #) | Rebienvenue |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 12:57 ( #) | welcome baaaack 5 post, rien que ça ça va me faire un roman pour un soir, ça va être bien ! |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Invité, Mar 16 Mai - 13:08 ( #) | |
| O. Jill Peverell membre - i don't want just a memory Répartition : 11/04/2015 Hiboux Envoyés : 11656
| Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par O. Jill Peverell, Mar 16 Mai - 13:20 ( #) | - Ivy Shacklebolt a écrit:
- PREUMS POUR PAS TE VALIDER
Tu m'étonnes Re-bienvenue par içi, va falloir faire ça en étapes qu'on puisse lire petit à petit |
| Euphrasie Malefoy admin - i don't want just a memory Répartition : 11/08/2015 Hiboux Envoyés : 1420
| Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Euphrasie Malefoy, Mar 16 Mai - 14:12 ( #) | Rebienvenue toi |
| | Re: and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan)par Contenu sponsorisé, ( #) | |
| | and my thoughts are turning backwards, and i'm picking at the pieces of the world that keeps turning the screws into my mind (eachan) | |
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