Eliandre « Andre » Horus Bor Malefoy
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« Eliandre »Voix lointaine. Les yeux ouverts. Je dors. Le regard de cette femme fait peur. Ma nounou dit que c’est ma « Mère ». Elle me répète à longueur de journée qu’elle m’aime et qu’elle est toujours inquiète de mon bien être. Qu’il faut que je la rende fière.
Non. Je n’y arriverai pas. Mon cœur va exploser. Et mes yeux intérieurs se ferment. Tant pis pour l’Angleterre. Je me fiche de pas savoir. Je préfère juste ne pas la regarder dans les yeux.
Les autres gamins font des tours, et moi ça me fait rire. Et quand ils me demandent ce que moi je sais faire, je les pousse dans l’eau et fait tomber des pots de fleurs en slalomant dans les couloirs, et tout le monde se remet à rire. Et on oublie vite que je ne sais pas faire fleurir les champs avec la pensée, et pleuvoir des flocons. Que je ne sais pas faire voler les vêtements de mes cousines. Que je ne sais pas faire mourir les insectes en leur ordonnant de se perdre.
« Eliandre, où est ta mère ? »Pourquoi est-ce que tu m’appelles comme ça ? Comme si je ne t'intéressais pas ?
« Malade.
- Eliandre. Où. »Elle ne veut pas te voir. Laisse-la.
« Fâchée. »Tu me regarde avec colère. Je n’adresse pas un regard à ma nounou paniquée.
« Est-ce que tu sais pourquoi. »Je ne réponds pas à ta question. Je refuse. Refuse simplement que tu la vois. Ne la regarde pas. Je la protègerai. Je la protègerai.
« NON. »Je me lève et m’enfuis dans ma chambre. J’essaye d’oublier cette journée épouvantable, dont on a tenté de m’éloigner. Mais je ne suis pas aveugle. Les draps de sang dans les bras des femmes de ménage de la maison, et les sourires forcés et dévastés des adultes qui prennent soin de ma mère qui crie dans sa chambre. Le médecin qui me sourit tristement en me demandant de rester fort et de garder le sourire pour Mère.
Les draps en sang.
Mère a mal. Elle ne veut pas te voir. Laissez-moi. Laissez-la.
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« Pourquoi dormais-tu, petit Andre ? dans un endroit pareil…
- J’étais heureux, Nanny. Père et Mère ont dansé ensemble pour Noël. Pas pour montrer aux invités, mais lorsque toutes les lumières étaient éteintes. J’étais heureux. J’aime Noël. »*********
« Eliandre ? »Le petit garçon redresse la tête, vers ses parents. Son père, assit en bout de table, lit un journal d’un air soucieux, touchant à peine à son plat. Sa mère le regarde avec un grand sourire, ses cernes profondes, et son verre de vin vide.
« Tu racontes ta journée à ton père ? »Eliandre regarde Charon avec de grand yeux, luttant pour ne pas se mettre à rougir et bégayer. L’homme redresse la tête distraitement, pendant que Deipyle lui donne un coup de coude discret. Eliandre s’empêche de rire, moins discret, lui. Charon, l’homme noble et digne dont lui parle tout le temps Nanny, le plus droit et respecté de tous, celui à qui il doit ressembler plus tard, fermait parfois son journal quand sa mère lui tapait dans les côtes, pour l’écouter raconter sa journée.
« Est-ce que je peux parler avec les serpents ? »Qui sait.
« Et après, Madame Botulis m’a raconté l’histoire de la famille Malefoy, et de cet arrière-grand-père qui a fait la route de la Soie… »Père sourit. M’écoute. Décoiffe mes cheveux en riant quand je dis des bêtises.
« Est-ce que je dois avoir le même métier que toi plus tard ? »Père… Me regarde. Sans tristesse. Il est content d’être avec moi. Je crois. Alors quand on s’assied tous les deux au sol de la salle de jeu pour regarder la carte du monde, pour me montrer où s’étend notre empire, j’oublie que Maman est là, l’épaule sur le chambranle de la porte, un verre de vin à la main.
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Mère et Nanny sont toutes affolées. Je ne comprends rien. Où suis-je ? Ah oui. Dans le Vivarium. Je dormais. Sybilla autour de mon cou. Sybilla et ses amis sont enroulés autour de moi. C’est confortable. Rassurant. Pourquoi maman a-t-elle peur ? Pourquoi Nanny à l’air fatiguée ? Je ne faisais que dormir. Dormir parmi nos amis.
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Aujourd’hui il faisait beau. Les nuages avaient peine à cacher le bleu du ciel souligné par nos grands arbres feuillus. La propriété entière brillait comme de l’émeraude, sans que personne n’aient lancé de sortilège. Aucun cousin n’est à la maison. Juste Maman, Père et moi. Père a encore du travail à faire dans son bureau, mais il a promis de nous rejoindre. Maman m’emmène à l’écurie. Je viens presque tous les jours voir le maréchal-ferrant et les chevaux. Mais je ne les monte jamais sans Maman. Le vieil homme rit beaucoup lorsque je caresse la jument de Maman. Il dit aussi que bientôt j’aurais l’âge de monter tout seul. Il m’a promis qu’on surprendrait Maman un jour en lui montrant que je sais monter sans que personne ne me tienne la longe. Mais pas encore, a-t-il dit. Pas encore. Aujourd’hui, on va faire une balade avec maman. Aujourd’hui, on va aller doucement, pour ne pas m’endormir devant maman.
Et à partir de demain, je prendrais des leçons pour que Flocon et Alyzée m’écoutent.
Le ciel est bleu, et notre herbe est verte. Le chant du vent et des arbres me bercerait presque, mais ne font que me donner envie de respirer plus fort. Je mets le pied à l’étrier, tout paré de mon casque un peu trop grand ; je n’osais pas dire à Maman qu’il était trop grand quand on a été au magasin. Sur le dos de Flocon, je regarde vers maman, et je me mords les lèvres en essayant de me tenir bien droit. Maman regarde le domaine, avec ses cheveux blonds et courts dans le vent, bien droite, sereine et souriante. Elle est tellement belle que j’ai honte.
Et si je tombais encore de sommeil ?
Du calme mon cœur. Respire. Tu vas y arriver ; Si aujourd’hui tout se passe bien, tu pourras continuer à faire du cheval. Tu pourras même peut-être galoper, qui sait ? Du calme. Sourit à Maman. À Mère. Je souris.
Elle me sourit. Rit même. Je ne sais pas pourquoi. Elle se moque de moi ? J’ai l’air si ridicule ? Elle se contente de s’approcher de moi pour me déposer un baiser sur la joue, et se retourne rapidement pour elle-même monter son équipière de toujours. Elle a l’air de revivre.
Elle fait marcher au pas, et Nanny fait suivre Flocon. L’air nous fait presque voler, portant notre humeur comme un cerf-volant. Maman me demande comment s’est passé ma journée. J’aimerais inventer quelque chose, mais Nanny est à côté. Alors je tente de me souvenir de tout ce que j’ai pu apprendre, avec elle, mes préceptrices, ce que racontent les serviteurs… Et maman se contente d’acquiescer en accompagnant les gestes de son cheval. Et quand le silence s’installe enfin, je ne sais plus quoi dire. Alors, idiotement, je m’exclame :
« Et vous Mère, comment s’est passé votre journée ? »Elle m’a regardé avec un air surpris, et s’est remise à rire. J’ai rougi. Ne pas s’endormir. Ne pas s’endormir.
Au détour du bosquet, j’entends un galop nous foncer dessus. Quand je tourne le regard vers le Manoir, un étalon noir rugit de la pente, monté par Père. Et sans un regard, Mère demande à Nanny de s’occuper de moi, talonne sa propre jument et commence déjà à faire la course avec lui.
Nanny est inquiète, je le sens à son regard. Mais moi, je souris. Je me suis calmé. Je n’ai plus envie de dormir.
« Tout va bien, Nanny. Père et Mère sont heureux. »Elle ne me décroche pas un sourire. Elle n’aime pas que je parle comme ça, je le sais. Mais ce n’est pas de ma faute, Nanny. C’est vrai. Ils sont heureux. C’est toi qui m’a dit ce que signifiait être heureux. Toi et tout ceux qui vivent avec nous. Père et mère rayonnent. Vous le dîtes tout le temps. Ils rayonnent, maintenant.
Père et Mère reviennent. Ils discutent avec beaucoup d’enthousiasme en nous rejoignant. Enfin Mère. Surtout Mère. Père semble content. Il ne dit rien. Il ne dit jamais rien quand il est content.
J’aime quand père ne dit rien et ne fait rien. Il a l’air d’un Roi.
Nous rentrons tous, Flocon, Nanny, Père, Maman et leurs cheveux, à l‘écurie. Le maréchal me félicite et me laisse donner une pomme à tous les chevaux avant de partir les desceller. Je demande à Père et Mère la permission de rester. Maman prend un air inquiet, mais Père hausse les épaules et dit oui sans trop réfléchir. Je saute de joie, et les embrasse tous les deux avant de partir rejoindre les bêtes.
Aujourd’hui était un bon jour.
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« Pourquoi dormais-tu, petit Andre ? Il y a de l’eau sur tes joues rondes.
- Je suis malade. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Je ne suis pas triste comme Maman. Mais je suis malade. Et ça a mis Père de très mauvaise humeur. Maman m’a regardé avec ces yeux horribles. Comme si elle s’en voulait que je sois là.
- Chut, petit Andre. Souviens qu’ils t’aiment. Ne réfléchis pas trop. Tu réfléchis trop pour un enfant de ton âge. »*********
Je suis juste en colère. Contre toi. Je ne sais pas vraiment pourquoi, Père. Je sais que tu m’as puni. Je ne sais pas si je l’ai fait, ce dont tu m’accuses. Être un mauvais garçon. Être désagréable. Être malade ? Je suis dans cette pièce aux rideaux doux et rouges, aux grandes fenêtres qui laissent passer des arcs-en-ciel entres leurs barreaux d’or, les tableaux de mes grands-parents avec notre air sévère, le papier peint décoré, les marbrures, les vases de céramique colorée, les horloges ceintes d’anges d’or… Tout m‘étouffe, ici. M’écrase. Et ton regard, déçu et fatigué, me rappelle à quel point je ne suis pas à la hauteur de Maman. Je suis en train de la détruire, pas vrai ?
A chaque fois que vous rentrez à la maison, après que vous ayez fini de vous demander comment s’est passée votre journée, vous cessez d’être simplement occupés. Vous devenez… Fatigués.
De me voir. Je le sais.
Je ne vois rien d’utile dans cette prison. Je ne vois rien de plaisant dans vos yeux.
Si vous pouviez disparaître.
Si vos yeux pouvaient disparaître. Si vos lèvres crispées pouvaient disparaître.
Je hais cet endroit, où respirer est difficile. Je hais cet air entre vous lorsque je suis au milieu. Je veux juste qu’ils disparaissent. Ces rideaux, ces plafonds, ces portraits sévères qui me chuchotent d’être un grand garçon.
Je les hais. Tous ces portraits qui parlent. Qu’ils se taisent. Je hais tous les petits personnages finement taillés, les serpents froids qui étranglent le temps, ce monde qui est toujours le même. Je veux dormir. Je veux tellement dormir, mais je n’ai pas le droit. J’aimerais ne plus répondre mais je n’ai pas le droit. J’aimerais m’enfermer dans ma chambre mais je n’ai pas le droit. J’aimerais monter sur Flocon, mais je n’ai pas le droit. J’aimerais m’assoir au milieu des branches de Sybilla mais je n’ai pas le droit !
Je hais tout ça. Je hais être « malade ». Je hais être « un petit garçon ». Je hais « ne pas savoir faire de la magie ». Je hais, je hais JE HAIS JE HAIS JE HAIS.
Que tout disparaisse. Que tout disparaisse.
Une flamme au milieu du tapis.
Sous le peuplier, entre les bras de Père, je pleure, je hurle, de rage et de peur. Mais il ne me regarde pas. Papa ! Regarde-moi ! Regarde-moi, enfin ! Mais pas un seul regard. Il me plaque contre le tronc. Mon cœur menace d’exploser.
« Père, j’ai mal ! »Il n’écoute pas. Ses yeux cherchent autre chose, et lorsque je me débats, des chaines dorées sortent de sa baguette, et s’enroulent… Autour de moi. Je panique.
« Père, non ! Père ! Je suis désolé, je demande pardon, PÈRE ! »Alors que les chaines d’or deviennent des cordes brunes et se resserrent autour de moi, le visage de Père est déjà tourné vers l’intérieur. Vers elle.
Je m’effondre en larme. J’étouffe dans mes propres sanglots alors qu’il disparait dans un tourbillon. Mes yeux se ferment, et je disparais.
Père m’a entravé.
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Le regard de son père semble fixé sur un horizon lointain, alors que l’ombre des bâtiments du Chemin de Traverse surplombe le capharnaüm ambiant. Eliandre observe son père qu’il tient par la main, et s’oblige à respirer pour ne pas être submergé par la foule. Charon lui lâche la main et lui tape dans le dos doucement.
« Tiens-toi droit. La tête haute.
-Oui, Père. »Droit, la tête haute. Eliandre modifie son allure et avance, en apparence confiant. Ils s’arrêtent devant la ménagerie, où ils observent les petites bêtes dans leurs cages. Le jeune garçon avance, intrigué, mais semble chercher quelque chose de précis. Son Père suit calmement, salué par les gérants de la boutique. Et lorsqu’il a rejoint son fils, ils se tiennent devant un vivarium. Remplis de serpents aux couleurs bigarrées. L'enfant se mord les lèvres.
« Tu en veux un ?
- Si c’est avec ton argent, ça ne compte pas.
- De quoi parles-tu, Eliandre ?
- De Sybilla. »Le silence s’installe tandis qu’ils restent tous les deux devant la vitre. Une fois, le jeune homme lève la main pour la toucher, mais l’abaisse en se souvenant qu’il ne faut pas frapper à la vitre des reptiles. Il se redresse.
« Quand je travaillerai pour le ministère, je te la replacerai, toute pareille.
- On ne remplace pas une amie, Eliandre. »Il mord ses lèvres, qui rougissent d’autant plus fort avec son teint pâle et ses cheveux d’un blond presque blanc.
« Je t’en donnerai cent, alors.
- Je n’en ai pas besoin. Ta mère est là. N’y pense plus. Choisis-toi plutôt un ami à toi. »Le jeune garçon ravale toutes ses réponses, et pointe du doigt un Bitis cornuta caramel.
« Je prendrais bien le Mamba Noir ou un Python Birman, mais ce serait fâcheux qu’il morde quelqu’un ou le strangule dans son sommeil. »Charon lève les sourcils.
« Fâcheux ? Où as-tu appris un mot aussi désuet.
- A votre avis ? »Charon tape l’arrière de la tête de son fils d’un geste sec.
« Pas d’insolence, jeune homme.
- Oui, Père. »Dit-il en se retenant clairement de rire.
Marchant sur les pavés du Chemin, Eliandre fait avaler le rongeur mort à sa toute jeune amie sans patte, lâchement posée autour de son cou. Lorsqu’ils arrivent devant la devanture de la boutique d’Ollivender, Eliandre soupire par avance. Ça, ça allait être l’étape difficile. Suivant les conseils de son père, il se redresse et expire. Et s’avance dignement à l’intérieur.
Crack. Boom. Des étagères et des boites tombent au sol avec violence, et le bois du sol se met à pousser et à fleurir, à faner, se cristalliser. Apparaissent des feux-volets, et Eliandre ferme les yeux pour tenter de calmer son cœur qui bat à tout rompre.
Ne pas mettre le feu. Ne pas mettre le feu.
« Tout va bien ! Tout va bien ! C’est une Vigne ! C’est une baguette de vigne, aucune inquiétude !
- Bonjour Monsieur Ollivander.
- Bonjour Monsieur Malefoy. Ne bougez pas, je vais la chercher. » Le vieil homme n’est pas apparût devant eux qu’on l’entend fouiller ses étagères, sur ses escabeaux roulants. Le vent magique semble se calmer lorsqu’il s’exclame :
« Ahah ! La voilà ! Bois de Vigne, Ventricule de Dragon ! N’aies pas peur mon garçon, assieds-toi… »Eliandre fait quelques pas vers le vieux bureau poussiéreux, bien différents de ceux de ses parents, et s’assoit sur une chaise grinçante. Le vieil homme, une boite ouverte dans la main, lui tend l’autre pour le la lui serrer.
« Eliandre Malefoy, enchanté, je suis Ollivander. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit celle-ci qui se manifeste. C’est très rare, tu sais, le bois de vigne. Ce sont les seules qui font ce genre de chose lorsqu’un maître digne d’elles se manifeste. Tiens, prends-la donc dans les mains. »Eliandre regarde l’homme comme on se méfie d’un vieux fou, mais obéit tout de même, se retenant d’aller chercher le consentement de son père. Une fois la baguette noueuse dans les main, il sen un grand sentiment de sérénité s’emparer de lui. Encouragé par le vendeur, il cherche des yeux un endroit ou pointer sa baguette, et l’agite d’un geste sec vers le pied d’une chaise retournée sur une table, un peu plus loin. Tandis ce que le bois du pied de chaise semble reprendre sa forme naturelle, un vent doux souffle dans la pièce.
« Parfait, parfait. Tu sais, ce sont les druides qui faisaient des bâtons avec du bois de vigne. Tu dois êtes un enfant très sage. Je te félicite. Prends bien soin d’elle, d’accord ? »Eliandre, quant à lui, acquiesce faiblement, les yeux rivés sur la forme de nymphe en train de se sculpter dans le bois de nouveau fleuri et vivant du meuble, telle une antique Daphnée.
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L’air froid glace la gorge, le ciel blanc se cache derrière les branchages nus. De l’autre côté du ruisseau gelé, la maison hantée de Pré-au-lard grince et pleure. Les filles aux joues rouges enterrées dans leurs écharpes vertes et blanches font des bruits entre le rire et les cris de peur aigus.
« C’est ridicule.
- Je suis d’accord. »La tête rentrée dans les épaules, Eliandre, 14 ans, acquiesce et expire. Passablement ennuyé, moins pour imiter Arseni que parce qu’il a très envie de s’allonger dans la neige pour ne plus jamais se relever.
« Allez Andre, même toi tu as dit que tu voulais savoir ce qui se passait !
- J’ai dit oui pour que vous arrêtiez de piailler comme des pies ! »Elles continuent à rire, d’un rire plus mesquin que celui de Mère. Tu détournes les yeux.
« Bon, et bien on y va, et on en reparle plus ! Allez les mecs, on va foutre une frayeur aux filles, et on en rira après. »La plus mignonne des trois rit, alors pour faire bonne figure, Eliandre regarde son ami récalcitrant et ils marchent vers la maison hantée. Les pleurs sont plus forts. Arseni ouvre la porte d’un air détaché et tous les sons s’arrêtent. Jimmy a la bouche grande ouverte, à la fois pour le courage du jeune meneur, et pour le silence impressionnant qui vient de s’installer. Qu’il s’empresse de ruiner en se précipitant à l’intérieur.
« Ouaaah, c’est trop bien ! Andre, on fait la course jusqu’au troisième !
- Dans tes rêves.
- Oh, aller, décroche un peu de Maman Arseni et vient péter un coup, enfin !
- Toi… »Eliandre enlève ses mains de ses poches et le course alors que les filles gloussent derrière. Arseni reste en arrière, détaché de la situation. En montant les escaliers qui font pleuvoir la poussière sur son passage, Eliandre se couvre les yeux et tousse. Lorsqu’il se redresse sur le palier, le silence l’accueille. Pas une trace de Jimmy.
« Ars… »Il se retient de continuer. Se mord l’intérieur des joues et examine l’intérieur délabré de la bâtisse. Les cadres, le bois détruit et sombre. Les poutres apparentes. Pauvres.
Morts.
Il se retourne et regarde Arseni monter tranquillement les marches, suivi des filles qui se racontent des inepties. Enfin du moins ce qui semble être des inepties.
« Jimmy ?
- … Je l’ai perdu.
- Hum. »Il passe devant lui, les mains toujours dans les poches. Eliandre s’écrase contre le mur, et les filles rient encore. La petite brune le regarde avec des grands yeux. Il tourne la tête. Elle lui attrape le bras et ouvre sa petite bouche rougie par le froid.
« C’est pas drôle cet endroit. »Eliandre jette un œil à Arseni, qui après avoir regardé longuement des photos de familles sans visage, le fixe d’un air désintéressé. Comme si il regardait à travers.
« C’est surtout très ennuyeux. Jimmy ne raconte que des bêtises.
- T’as pas peur ?
- Pour quoi faire. »Il l’emmène à son bras alors qu’ils se mettent tous à appeler leur ami disparu. Et plus le temps passe, plus les filles s’agitent. Arseni semble indifférent à toute l’affaire. Eliandre s’ennuyer à mourir, alors que les complaintes remontent lentement derrière les murs.
« Tu ne joues jamais au quidditch ?
- J’aime pas les balais. Je préfère les chevaux.
- Tu montes à cheval ?
- Ma mère a une écurie. C’est des braves bêtes. Bien élevée, elles sont plus polies que les balais. C’est capricieux ces trucs.
- Pfft.
- Les objets ne changent pas. Les animaux, si. Tiens, mon père a un vivarium. Depuis que j’y ai mis le feu par accident, les vipères ne peuvent plus me voir en peinture. Avant je pouvais même dormir avec, tu t’imagines ?
- Tu crois qu’elles m’aimeraient, tes vipères ?
- Je ne sais pas. Mais nos juments, je pense que oui. On en a une jeune, très calme, avec une robe blanche. Je suis sûr qu’elle te plairait. Viens à la maison l’été prochain.
- BOUAAAH !! »Le corps entier d’Eliandre se tend avant de voir Jimmy tête en bas dans l’encadrement de la porte. Le battement cœur, violent, fait faire un tour à son sang. La tétanie le paralyse, et son corps devient une poupée de chiffon qui s’effondre au sol, pendu à la jeune fille qui n’arrive pas à le retenir.
Déconnexion.
« Merde !, lance le jeune homme qui atterri au sol en se rattrapant maladroitement sur les coudes.
- Qu’est-ce que t’as fait !
- Mais rien du tout ! J’ai même pas encore jeté de sort !
- Imbécile ! Il est mort ?
- Ne dis pas de bêtise. Fais voir sa tête. Il ne s’est pas cogné ?
- Non, ça ne saigne pas. »Arseni s’agenouille à côté du corps inerte et met la main devant son visage.
« Il dort. »Tous les autres se regardent, circonspects. Jimmy, d’abord perdu, se met à rire bruyamment. Les filles le fusillent des yeux, et il tend défensivement les mains en avant :
« Il s’est évanoui de peur ! »Les filles protestent, mollement.
« Arrête, c’est pas drôle !
- Un peu quand même…
- En rajoute pas toi ! »Arseni, sans un mot, lui donnes quelques gifles qui n’ont aucun effet, puis aide la petite brune à le porter sur ses épaules.
« La fête est finie. On l’emmène à l’infirmerie.
- Roh, t’es pas drôle Arseni ! On devrait lui dessiner des lunettes autour des yeux !
- Ou lui écrire « poule mouillée sur le front ». On l’écrit à l’envers pour qu’il puisse lire dans le miroir au réveille ?
- Vous êtes de vrais gamins. »************
« Eliandre, reviens ! »Eliandre se retourne vers sa mère se plante les deux pieds dans l’allée de gravier, attrape les deux pans de son manteau et tire dessus comme pour remonter une robe, exécute une révérence, d’un geste très féminin, avant de se glisser dans la voiture et d’en claquer la porte. Été. Brûlant. 17 ans. Dans quelques jours, il pourra transplaner en paix. Quoiqu’il n’osera jamais le faire sans se concentrer. Un coup à se couper un bras. La voiture roule dans la campagne, et ses cheveux blonds glissent sur la vitre. Le chauffeur ne dit pas un mot pendant de longues minutes.
« Si je peux me permettre, Monsieur, votre Mère ne dis pas ça pour vous irriter. »Eliandre grogne et grince des dents. Mais ne l’insulte pas.
« Vous comprendrez un jour Monsieur. Madame ne veut que votre bien.
- Je sais. »Pas la moindre trace d’irritation. Une simple fatigue. Mélancolie immense, qui transperce le cœur même dans le reflet du rétroviseur.
« Si cela peut vous rassurer… Je tiens à vous remercier. Miss Balton sera très heureuse de vous revoir. »Eliandre s’enfonce dans son manteau, peut-être pour se cacher. Dehors il commence à pleuvoir. Et c’est après plusieurs heures de bitume mouillés qu’ils s’arrêtent enfin dans un village perdu près des montagnes. Quand il met la chaussure hors de la voiture, des gamins arrivent en changeant des flaques en fontaines autour d’eux, armés d’un parapluie trop grand pour eux.
« Bonjour Monsieur Malefoy !
- Bonjour Monsieur Malefoy !
- Ça me va bien ça, Monsieur Malefoy. »Eliandre éclate de rire. On le raccompagne maladroitement à l’intérieur de la maison en bois la plus proche, remplis à ras-bord de monde et de lumière chaleureuse. Lorsque sa tête passe le porche, un jeune homme aux cheveux noirs l’approche pour le débarrasser de son manteau.
« Salut Andre.
- Salut. Où est ta mère ?
- Dans le salon, sur le canapé, avec tout le monde.
- Merci pour la lettre.
- De rien. »Il marche sur le vieux parquet noueux, bien différent du sol lisse et brillant du manoir. Les fenêtres minuscules et leurs carreaux épais raisonnent sourdement lorsqu’ils sont frappés par la pluie. Les rires des gosses sont aigus. Certains sorciers à l’entrée du salon, en le voyant arriver, sourient aimablement en l’accueillent, tandis que d’autres s’éloignent et se cachent en l’évitant.
Une vieille femme ronde est allongée sur le canapé, couverte de couvertures bigarrées, et son visage s’illumine en l’apercevant.
« Oh, si ce n’est pas le petit Maître ! Comment vas-tu petit Andre ?
- Cesse de m’appeler Comme ça, Nanny.
- Je cesserais quand tu cesseras de m’appeler Nanny. Je ne suis pas que mon métier, petit Andre.
- Joyeux anniversaire, Nanny. »Il s’agenouille près d’elle et l’embrasse sur la joue, en la prenant par une main noueuse et amaigrie.
« C’est gentil d’avoir fait le déplacement. Tu es le bienvenu. Vous entendez là-bas, les révolutionnaires en herbe ! Monsieur Malefoy est mon invité. Le premier qui a des idées bizarres, je lui coupe la langue avec ma vieille baguette !!
- Maman, du calme !
- Non mais c’est vrai enfin ! Mon petit Andre, si tu leur mettais un peu de plombs dans le crâne à ces idiots ! Ils s’imaginent qu’en laissant toutes nos valeurs derrière nous, le monde sera plus cléments, quitte à se battre contre des gens respectables comme ton père !
- Ton fils à raison, Nanny. Inutile de te mettre dans un état pareil. On ne se battra pas chez toi, je te le promets.
- Dis tout de suite que vous attendez que je passe la baguette à gauche pour vous lancer des mauvais sorts !
- Pfff. Tu es ridicule. »Pendant deux jours, une famille nombreuse est en état de fête, pour célébrer Arianna Balton, nourrice de bien des mômes, et tant de fois grand-mère qu’elle a presque recréer une dynastie. Et pendant deux jours, Eliandre Malefoy reste dans ce village, à réviser ses ASPICS le jour, discuter sans fin avec Miss Balton pendant les longues fin d’après-midi.
« Tu es bien concentré toute la journée. Tu nous dis si on fait trop de bruit, hein ? Ta mère serait tellement hors d’elle si elle savait !
- Mais non, Nanny. Et puis même sans ça, elle se fâcherait quand même.
- J’ai ouïe dire que tu n’avais pas de très bonnes notes à l’école. Tu avais tellement de bonnes institutrices quand tu étais jeune ! Ces gens à Poudlard, ils ne font vraiment pas bien leur travail !
- Ça va, je révise, là. Tu vas pas t’y mettre, non plus.
- Hahaha ! Tu es pourtant brillant comme garçon. Je l’ai toujours dis. T’es plus malin que ton père. Plus sensible aussi, mais ça… »Dehors, des lampions s’accrochent et on commence à jouer de la musique. Des rires s’élèvent, et Nanny continue de tricoter pour un arrière-petit fils à venir. Eliandre la regarde. Avec une douceur... Il se pince les lèvres.
« Tu manques à la maison. Ils t’aimaient bien, tous.
- Haha. Les filles ont encore peur que je les gronde si le ménage est mal fait ?
- À moi aussi, tu me manques.
- Ça je sais gros bêta. T’es bien le seul de mes jeunes maître à continuer à me rendre visite, tiens.
- Je suis vraiment désolé… Pour l’incendie.
- Ah, ça non petit Andre, faut pas.
- Si je m’étais pas énervé, ils ne t’auraient pas…
- Tais-toi, petit idiot.
- Arrête de me cajoler. C’est de ma faute !
- Jamais, Eliandre. Regarde ta vieille Nanny dans les yeux et pour une fois tais-toi. Jamais, tu m’entends ? Jamais ça ne sera de ta faute. Je me suis faite virée parce que je n’ai pas réussi à t’apprendre à gérer ça. C’était mon travail. Tu étais tout p’tiot. N’en veut pas à tes parents. Je ne suis pas ta mère. »Nanny a cessé de tricoter. La musique a monté en volume, et les gens chantent dehors. Les couleurs bigarrées des lumières magiques dansent sur leurs visages. Ils se fixent longuement sans un mot. Il baisse les yeux en premier.
« Je vous ai tout pris. Je leur ai tous pris.
- Ne me fais jamais cet air-là devant personne d’autre, petit Andre. Tu es l’héritier Malefoy. Tu ne dois avoir honte de rien. Redresse la tête, et cesse de t’en vouloir pour la moindre personne que tu bouscules. Quoi, tu as brûlé une fortune de murs et des serpents. Plus que je ne pourrais me payer en dix vies de salaire. Tes parents ont tout reconstruit avec deux ans de rentes ! De quoi t’en veux-tu. Aies 17 ans, un peu. Je suis pas malheureuse. J’ai travaillé pour d’autres. J’ai élevé mes enfants. A l’inverse, si ça a pu faire en sorte que tes parents s’intéressent un peu plus à toi ! Ces deux acharnés du travail ne te reconnaissaient même pas entre deux visites si je ne te tenais pas dans mes bras.
- Nanny, ne parle pas comme ça d’eux…
- Oh, tu l’as dis toi-même, ils m’ont virés, je dis c’que j’veux tiens !
- Nanny ! »Eliandre a du mal à se retenir de rire.
« Mais tu sais Eliandre » Elle reprend son tricot, un grand sourire aux lèvres.
« Ce sont de bons parents, quoi que tu puisses penser. Des gens bien, avec des valeurs, et de l’honneur. Des gens qui rendent notre monde plus sûr. »La musique est maintenant dansante, et par la fenêtre, les villageois commencent à chanter des chants populaires, et des sortilèges s’essayent sur la place. Un village de sorcier.
« Je sais que tu t’en voudras toujours, Andre. Mais ne sois pas si nerveux. C’est pas bon pour ton cœur. Maintenant, va t’amuser ! Que je te vois pas sans gueule de bois demain matin ! »Eliandre rit, abandonnant. Il se penche vers elle pour l’embrasser, et se relève pour se diriger vers la porte d’entrée.
« Bonne nuit, Nanny. »Elle lui fait un signe de la main, et il ferme la porte. Les danses de groupes sont entraînantes, et bien différente du ballais des éloquents des soirées mondaines. Les garçons ont les chemises ouvertes, et les filles les cheveux lâches. Les vieux dansent et jouent des instruments bizarres, et les enfants se courent après dans les jambes de leurs parents. Eliandre s’avance dans la foule, sa démarche effacée par l’ambiance. Le fils de Nanny lève la main et lui fait signe de les rejoindre, lui et ses amis. Ils lui tendent un verre, qu’il vide sans broncher. Les applaudissements sont faciles à gagner. Ils se tirent les uns les autres vers la piste de danse. Il n’en connait aucune, apprend rapidement, maladroitement. Les lignes d’hommes et de femmes se rapprochent et l’éloigne au son de violons enthousiastes. Autour les gens tapent dans leurs mains et lancent des cris joyeux. Le jeune homme est poussé dans les lignes, suit, croise le regard de la fille qui lui fait face qui ne peut s’empêcher d’éclater de rire. Par orgueil, il lui prend le bras et la fait tourner et tomber dans ses bras, avant de la renverser, la main sur la nuque. Il lève le menton, provocateur, et la jeune fille sourit, tout aussi remontée par le défi.
Ils passent des heures à danser.
Dans un coin de ruelle, loin des lumières et des verres levés, deux jeunes gens s’embrassent. C’est lent et passionné. Mesuré. Elle redresse la tête et retient son visage, le forçant à reculer pour la voir.
« T’es sûr ?
- Quoi ?
- Je suis sang-mêlée.
- Est-ce que j’ai l’air d’en avoir quelque chose à… »Ils se regardent dans les yeux, longuement, puis il soupire et la lâche, et s’adosse à l’autre mur de la ruelle, plus dans l’ombre que jamais. Elle tend la main vers lui, alors qu’il enroule ses bras autour de lui-même.
« Vas-t-en. »Elle s’arrête subitement. Tremble, un peu, puis ramène ses bras le long de son corps, tendue. Puis, après avoir ouvert plusieurs fois la bouche, elle se détourne, et sort de la ruelle. Il passe une main dans ses cheveux décoiffés, expire. Ses épaules s'affaissent. Ses dents se serrent, l'alcool s'évapore.
Merde.
*********
Dis Père. Est-ce que tu me regardes sans peur, parfois ? Je ne suis pas un idiot. Je ne suis pas aussi doué que toi pour la chose politique, ou bien même pour la théorie et la pratique de la magie, certes. En fait, si ce n’était pas pour les runes et le duel, je pense que je serais un des plus piètres élèves de Poudlard. Mais, qui s’en soucie ? Ou que j’ailles, on me dit quand même que je suis un jeune homme exceptionnel, qui aime la magie ancienne et séculaire, et qui saura préserver nos tradictions. Qui parle bien, se tient bien, sans manquer d’espièglerie. Je suis un fils choyé, le fils de la Maison Malefoy.
Mais parfois, pas le tiens.
Je ne suis pas un idiot.
Je sais que tu as peur. Enfant j’ai toujours été pris, irrémédiablement, entre la crainte de te déplaire et la fascination pour tous tes exploits. D’un simple regard, tu peux encore faire taire une assemblée. D’un simple regard, tu pouvais remettre ce fils arrogant en doute de sa légitimité.
Je suis arrogant. Parfois présomptueux. Mais pas idiot.
J’ai compris, au fil du temps. Que tu voulais que je sois plus. Plus qu’un ado qui sait regarder de haut ses camarades. Plus qu’un fils gâté qui peut tomber dans les pommes au milieu de ton salon. Plus qu’un petit con qui peut se briser la nuque à cheval si jamais il s’endors pendant une traversée du domaine.
Tu as très peur que je meure stupidement. Et tu as bien raison. Ça m’arrange de le savoir, tu sais ? J’aime te faire peur. J’ai l’impression que tu fais plus attention à moi. J’ai l’impression que je t’importe.
Je n’ai pas toujours l’impression que je t’importe.
Je sais que tu portes l’avenir de notre monde, je sais que tu ne peux pas te préoccuper de moi tout le temps. Tu fais les choses en grands. Et tu les fais bien. Tu sers la bonne cause, la nôtre. L’ordre, la dignité, nos traditions, notre mode de vie. Tu te bats pour les bonnes raisons, je le sais. Tes convictions sont les miennes, et le seront toujours.
Mais parfois, ton regard porte tellement loin qu’il me traverse. Et c’est presque plus insupportable que les yeux larmoyants de Maman.
Père… J’aimerais tellement te ressembler. Mais ils ont beau tous faire semblant, je ne te ressemble pas. Je suis émotionnel, colérique, j’ai du mal à exprimer mes désirs immédiatement, du mal faire respecter mes décisions sans en appeler à notre nom.
Quand vous me regardez tous, je me sens comme un bébé. J’aimerais tellement le mériter, ton nom.
Père, même en pensée, je ne pense pas à t’appeler Papa. Parce qu’il n’a jamais été question que tu m’aimes.
Père, parfois, j’aimerais que tu me regardes, rassuré, et que tu sois aussi fier d’être mon père que je le suis d’être ton fils.
Père, est-ce que j'en suis capable ? Même en mensonge, dis-moi. Dis-moi que je peux être comme toi. Pas meilleur, pas plus aimé. Juste… Comme toi.
Tu es parfait, Papa.
*********
Cesse ! Cesse Maman de me regarder avec ce regard piteux et honteux ! CE N’EST PAS TA FAUTE. Et CE N’EST PAS LA MIENNE NON PLUS. J’en ai assez ! Assez que tu me rampes sous la peau en espérant que je change assez pour lui convenir à LUI ! Ce putain de gardien des enfers ! Tu l’aimes ? Tant mieux ! Mais ça ne suffit pas à le rendre intelligent. Vous vous croyez beaux, parfaits, malin et doués ? Compétant et fiables ? Mais à quoi ? A quoi faire ? Je te déteste Maman ! Je te déteste à chaque fois que je me rends compte que je t’aime, que tu seras toujours ma mère, que je range tes bouteilles vides derrière toi sans même y réfléchir ! Je déteste Père pour être ce con fini qui se targue de tout comprendre alors qu’il lui manque vraisemblablement une case ! Je déteste sentir votre présence et votre regard ! Ne m’accuse pas de fuir, je vis ! Je vis la vie que tu ne vis pas toi-même ! J’ai 20 ans ! Je sais faire des choses ! Des choses qui ne vous intéressent pas ! Ne vous intéresseront jamais ! Je fais des travaux manuels. Et ouais, Maman, ton fils, Eliandre Horus Malefoy, FAIT DES PUTAINS DE TRAVAUX MANUELS ! Je sais réparer une horloge sans magie en moins de dix minutes, boire six litres de bière sans tomber dans les pommes, OUI, MAMAN, sans tomber dans les pommes ! Ça t’en bouche un coin, hein ? Je sais monter à cheval, je connais par cœur les Catilinaires alors que je ne parle même pas latin, mamie m’a appris à écrire en Rune, et je peux dormir entouré de serpents sans me faire mordre !
Le cirque ! La blague ! Parce qu’à côté de ça, je ne sais ni danser, ni bien parler, ni sourire aimablement, ni même répondre à une question d’histoire basique, ou citer un article de loi magique britannique de tête, j’ai pas de culture artistique, je hausse les épaules quand on me fait écouter un morceau de musique savante ou me montre un tableau de maître, je dessine des moustaches sur les Venus de Milo, tourne en parodies toutes vos simagrées de fils de famille bien élevés ! Et, ah oui, la magie ? Je m’en contre-carre ! La dernière fois que j’en m’en suis remis à cette merde, j’ai FAIS BRULER TA MAISON. Ma prison. Mais ta putain de maison quand même.
Ouais maman, je dors. Je dors quand j’ai envie de me mettre en colère. Contre lui. Contre toi. Je dors quand je suis heureux. Je dors pendant mes BUSES. Je dors après l’amour. Et alors, maman ? Qu’est-ce que ça ferra, à la fin ? Ne serais-je pas quoiqu’il arrive ton étalon reproducteur ? Ton poulain racé qui te filera un petit fils ou une petite fille à gâter ? Puisqu’il suffit que je survive assez longtemps pour ça avant de m’écraser au sol pendant un match de quidditch !
Je t’emmerde Maman. Je t’emmerde. Je l’emmerde lui aussi. C’est fini. J’arrête d’essayer de lui faire plaisir. J’y suis jamais arrivé. Il voulait que je sois fort ? Que je marche sur les autres ? C’est fait ! Je marche sur les autres. Sur les femmes. Sur les femmes qui te ressemblent. Sur les femmes qui ressemblent à ma sœur.
Ah oui, tu pensais vraiment que je ne savais pas ? Pour qui tu prends tes cousins adorés ? Ils ont la langue bien longue, plus que Sibylla, plus que ces gens que vous aimez appeler des chiens terrés dans la boue, bien plus que les sang-mêlés et leurs commérages incessants sur nos vies insipides qu’ils s’imaginent grandioses ! CESSE, MAMAN. Cesse de croire que je suis trop jeune pour comprendre, j’ai 20 ans ! Cesse d’être triste et de croire que c’est ta faute, cesse de t’affaiblir sous son regard ! Il t’aime ! Contrairement à moi, il t’aime plus que tout. Il ne t’en voudra jamais. Il ne t’en a jamais voulu. Pas comme il m’en veut à moi. Tu n’as pas à avoir honte. Quand tu me regarde, je n’ai pas honte de toi. J’ai juste honte d’être moi.
Tu me rampes sous la peau. C’est insupportable. Tu es ma Veuve Noire. Tu es Mer. Tu es le sel de tes larmes jamais montrées. Tu me fais transpirer le dégoût de nous. De vivre. Maman arrête. Arrête.
Arrête d’être toi. J’aimerais mieux brûler. Je brûle déjà pour le penser.
Maman. Quand est-ce que je pourrais t’appeler maman, et te dire tout ça ?
Hein, Mer ?
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Arianna Balton nous a quitté le 23 juillet 1980. Vous êtes convié à ses funérailles le 28 juillet.
Mer... Y a-t-il quelqu'un qui sache qui je suis, maintenant ?