Les Thomassin sont comme des perles rares qu'on serait allé chercher aux quatre coins de la terre. Tous différents, mais pourtant tous mis sur le même fil. Fiona n'a jamais été une enfant triste. Elle était curieuse, joyeuse, candide. Un peu bornée, parfois. Et surtout bien installée dans son monde. Elle a toujours aimé la maison familiale. Ses vieilles pierres humides et aux odeurs du passé. Sa décoration simple et élégante. Elle aimait dévaler les escaliers pour courir après un Gary presque outré, chasser la lumière en l'emprisonnant de ses mains, contempler les nuages et y rêver la vie. Vie que ses rêves consument et dévorent. Tout cela n'a pas changé. 


Si Fiona devait résumer son enfance à Godric's Hollow, elle utiliserait sans doute le mot « luminescence ». Quelque chose de radieux. Quelque chose d'étrange. Quelque chose qui fascine, qu'on aimerait toucher. Mais que l'on connait mal. Chaque membre de sa famille est unique, de sa tante à Gary, le fantôme de la famille, en passant par Kaboul, le blaireau blessé qu'elle avait adopté en secret. Lorsqu'on les voit de l'extérieur, on pourrait presque se demander ce qui les unit, à part le sang. Et pourtant, ils ont toujours été très soudés, même dans l'opposition.

Sa mère est une femme calme et spirituelle. Elle ne parle jamais pour ne rien dire. Ainsi, chacun de ses mots est plus percutant que le précédent. Fiona a toujours adoré l'écouter, qu'elle parle de ses valeurs, de sa spiritualité ou de ses combats. C'est sans doute l'une des rares personne à comprendre le monde comme le voit Fiona qui, pour la plupart des gens, est bien trop spirituelle. Qui donc parle aux âmes plutôt qu'aux hommes ? Honnor, sa tante, est aussi une femme silencieuse, mais d'une toute autre manière. Son apparente froideur n'a jamais perturbée la jeune fille, alors que ses yeux, eux, auraient pu l'envoûter. Ils semblaient si profonds, si vieux. Comme s'ils avaient vécu dix vies. Et puis il y a son père. D'apparence toujours sceptique. Souvent râleur, aussi. Pourtant, il a toujours été le premier à lancer les dés pour amuser ses enfants. Toujours le premier à explorer les forêts alentours, Fiona à ses trousses. Elle l'a toujours vu comme un grand voyageur. Presqu'un explorateur. Et si, de prime abord, on pourrait les voir opposés, Fiona s'est toujours sentie proche de lui. C'était un peu comme si leurs différences les avaient rapprochés, se regardant l'un l'autre avec un œil étrange, une douce curiosité. Petite, elle était presque fascinée, le plaçant au centre de ses rêves d'aventure. Parce qu'elle aussi à toujours eu envie de s'en aller. De découvrir ce qui se cache ailleurs. Et c'est peut-être ça, finalement, qu'elle admire tant chez lui : l'inconnu.

La jeune fille n'a jamais eu à se plaindre de sa vie. Honnêtement, elle l'a toujours aimée. Elle n'a pas connu tous les drames que d'autres auraient pu subir, toutes les pertes qui déchirent le cœur. Mais si son quotidien semblait -et semble toujours- si serein, c'est sans doute parce qu'elle ne s'attache pas à la douleur. Elle la voit arriver et la laisse la traverser. Elle a déjà eu mal. Elle a déjà eu peur. Ou même pleuré. Un bref instant. Puis elle a effacé ces émotions pour s’imprégner de nouvelles. Alors de son passé, Fiona se souviendra des longues soirées d'hiver passées à jouer aux jeux de société où encore des dîners animés d'invités et de discussions. Elle occultera bien souvent les débats qui secouaient la table le soir, chacun défendant sa cause à sa manière. Elle n'en défendait aucune, la plupart du temps. Tout ça ne la concernait pas vraiment. Elle aurait pu choisir. Elle aurait pu trancher. Mais elle préférait de loin réfléchir aux multiples avenirs possibles plutôt que de s'enraciner dans l'un d'eux. 

Fiona a donc davantage la joie que le malheur. Ça ne fait aucun doute. C'est sa façon de vivre. Et pourtant, chaque nuit, elle rêvait d'évasion. Elle se voyait voler au dessus des villes, traversant les mers et les pays. Elle se voyait dévaler des montagnes, plonger dans l'océan, observer des clabberts en toute liberté. Elle imaginait les cultures, les habitudes de vie, les rites mortuaires de cet ailleurs qu'elle ne connaissait pas. Et chaque jour, elle faisait de sa vie un rêve, laissant libre court à ses envies les plus primaires, ne s'attachant que peu au monde qui lui était proche pour le contempler de plus haut. Elle pouvait passer des heures assise à la fenêtre, regardant la neige tomber. Elle pouvait danser sous la pluie sans se soucier du froid et de ses vêtements salis. Or le temps n'a apaisé ni ses attentes, ni sa façon d'être. Depuis le jour où sa magie s'est déclenchée jusqu'au jour où elle en sera privée, Fiona ne cessera de l'utiliser en réponse à sa curiosité et à sa soif de liberté. Car s'il y a bien une chose qu'elle redoute, c'est d'être enfermée. Pire, d'être vidée. Plus d'âme. Plus d'idée. Plus de soleil sous la peau.


A son arrivée à Poudlard, Fiona a eu l'impression d'imploser. Tant de choses à découvrir, de savoir à absorber et à comprendre. Fascinée, optimiste, passionnée, Fiona a su se montrer brillante dans les cours qui la faisaient vibrer. C'était comme une évidence. Et pour les autres matières, et bien... Elle a sans doute complètement occulté leur existence. C'est d'ailleurs lors de l'un d'eux qu'elle a ouvert les yeux sur l'étrangeté du corps humain, de sa constitution à sa destruction, en passant par son fonctionnement. C'est sans doute pour cela qu'elle s'est frayée un chemin jusqu'à la branche réputée de la médicomagie. Pas tant pour soigner les vivants que pour comprendre l'art de la vie et de la mort. Elle ne l'effraie pas d'ailleurs, la mort. Les gens vivent et ne vivent plus, mais ne cessent pas d'exister pour autant. Ce n'est pas une fin en soi, seulement une étape, un premier grand voyage. C'est sans doute cette façon bien à elle de voir le monde qui lui permet de ne pas trop s'y heurter. Contrairement à tant d'autres, il lui est bien plus facile de surmonter les épreuves de la vie, si tant est qu'elle les considère comme telles.


Mais cette légèreté qui l'entoure ne l'a pas empêché de constater les changements. Les règles. Les absences. Les moqueries. Les tensions. Être étrange, aux yeux des autres, n'est pas antonyme d'intelligence. Ou de perspicacité. La différence, peut-être, tient plutôt à sa façon d'utiliser l'information qu'à la compréhension de cette dernière. Parce qu'elle la met en perspective, visualisant l'humanité dans son ensemble et non l'individualité de ceux qui l'entourent. Or, au delà de deux camps tranchés qui s'affrontent, Fiona constate, aujourd'hui, que l'atmosphère s'assombrit. Que les pas des élèves se pressent, ralentissent, disparaissent. Elle ressent le malaise, l'incertitude, l'insécurité. Depuis la première vague de peste, une ombre s'est mise à planer au dessus des âmes. De toutes les âmes. Les vivants semblent peu à peu s'enfoncer dans un monde tenant davantage de la mort, de la noirceur, du vide... que de la vie à laquelle ils appartiennent pourtant. Elle n'avait que treize ans lorsque les autres sont tombés malades. Lorsqu'elle-même a été touchée. La sensation de perdre son Patronus a sans doute été l'une des pires expériences qu'elle ait jamais vécu. Cette âme qui est la sienne et qu'elle chérit plus que la vie elle-même glissait lentement dans un monde inexistant, laissant Fiona creuse et impuissante. Puis elle a guérit. Comme les autres. Mais cet épisode plus que traumatique ne l'a jamais vraiment quitté, renforçant la peur qu'elle voue au néant spirituel. Un épisode constamment rappelé par cette marque qui ne la quittera plus. Et bien qu'elle ne puisse la voir, savoir qu'elle est là lui suffit. Aujourd'hui, le cycle recommence, comme inévitable. Mais aujourd'hui, d'autres voix s'élèvent, connues et inconnues. Des voix qui dénoncent. Des voix qui s'opposent. Alors, sans y paraître, Fiona les écoute. Profondément. Et elle fera tout pour protéger cet être qui lui vital. Seul sens de son existence.