1969 - « Tu viens d’où? » Camila releva le nez de ses devoirs, suivant la voix qui s’adressait à elle pour voir qu'un de ses voisins la regardait. L’heure consacrée à l’étude devait généralement se faire en silence mais ce n’était pas inhabituel que les élèves parlent entre eux, à voix basse, sans que le surveillant, de toutes manières peu intéressé, ne s’en aperçoive. Camila ne faisait pas pour autant partie de ces derniers, préférant se consacrer sur le travail à faire. Après tout, elle n’avait jamais eu de véritable ami et les gens ne lui adressaient généralement pas la parole. Sans doute parce qu’elle était renfermée, sans doute parce qu’elle n’avait pas de parents, sans doute parce qu’elle était considérée comme bizarre par ce simple fait. Elle allait à l’école élémentaire tous les jours et perdaient généralement de vue ceux qui venaient de l’orphelinat comme elle, se retrouvant noyée dans un océan d’enfants qui avaient un papa, une maman et une vie parfaite. Elle s’y était faite, du haut de ses sept ans, à ce qu’on ne lui parle pas. Elle s’en fichait, sans doute trop pour que cela soit normal. Mais le garçon s’adressait bien à elle, un air curieux sur le visage. Elle fronça les sourcils. « Je suis née ici, » répondit-elle, incertaine. Le garçon secoua la tête, visiblement peu satisfait par sa réponse. « Oui mais tes parents ils viennent pas d’ici, non ? » Il désigna son bras, découvert par sa manche relevée et elle baissa les yeux, cherchant ce qui lui montrait. Il lui fallut quelque secondes pour comprendre qu’il désignait la couleur de sa peau, pourtant sa question n’avait toujours aucun sens à son esprit. Elle n’avait jamais connu d’autre endroit que Londres, il n’y avait pas de question sur l’endroit d’où elle venait. Son accent sonnait aussi britannique que celui de ses camarades et elle ne se reconnaissait dans aucune autre culture. Mais elle avait compris depuis qu’elle était née qu’un mur la séparait de la majorité des enfants, ceux aux yeux bleus et aux cheveux blonds, ceux à la peau laiteuse. Nombreuses étaient les fois où on lui avait demandé en pouffant si elle était sale, où on lui avait dit qu’elle était laide simplement à cause de la pigmentation de sa peau. Elle avait toujours souhaité que cette sensation de ne pas être acceptée dans son propre pays s’en irait avec le temps, mais c’était loin d’être le cas. Elle baissa les yeux, ses doigts allant rejoindre le pendentif autour de son cou. « J’ai pas de parents, » marmonna-t-elle simplement, faisant mine de se concentrer à nouveau sur son travail, préférant ignorer ces questions auxquelles elle ne savait pas répondre.

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1973 - « Est-ce qu’il y a des cours de mathématiques ? » Elle avait relevé les yeux avec excitation vers le préfet de sa maison, impatiente de commencer une nouvelle année, loin de l’école dans laquelle elle avait fait sa primaire. Elle n’avait pas réellement compris au départ ce que lui avait raconté le sorcier qui était venu la voir, elle et la directrice de son orphelinat, son esprit rationnel ayant du mal à accepter la magie comme une vérité. Mais depuis, elle était allée au Chemin de Traverse, avait pris le Poudlard Express et avait senti le poids du Choixpeau Magique sur son crâne alors qu’il la répartissait à Serdaigle. Naturellement, sa première question se porta vers sa matière de prédilection, où ses notes avaient toujours brillé depuis qu’elle avait eu ses premiers cours. Mais le préfet l’a regarda en fronçant les sourcils, ne partageant visiblement pas son enthousiasme. « Mathé-quoi ? » Il poussa un soupir, avant de pointer vers les dortoirs. « Ton emploi du temps devrait être sur ton lit, tu y trouveras toutes tes matières de cette année. » Camila essaya de masquer la déception qu’elle ressenti lorsqu’il ne reconnut pas le mot et hocha doucement la tête, avant de rejoindre les dortoirs. Comme promis, un parchemin avait été soigneusement plié sur ses draps et elle entreprit de le déplier, ses yeux parcourant rapidement les mots qui y étaient inscrits. Métamorphose. Histoire de la magie. Sortilèges. Vol sur balai. Soins aux créatures magiques. Potions. Il n’y avait rien dans ce qu’elle lisait qu’il lui était familier, rien qu’elle avait étudié auparavant, bien qu’elle ne puisse pas s’en étonner. Toutes ces matières semblaient étroitement liées avec le monde magique, ne laissant pas de place pour les mathématiques, l’anglais, l’histoire ou les langues étrangères. Camila essaya de ne pas se laisser abattre par la vague de déception qu’elle ressentit mais cette dernière ne la quitta pas pour le restant de sa scolarité.

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1979 - « Si tu es inscrite l’université, il n’y aura pas de problème. » La directrice de son orphelinat ne daigna pas relever les yeux de ses papiers, Camila essayant de se montrer patiente malgré l’inquiétude qui teintait ses propos. Elle ne savait pas réellement ce qui allait advenir d’elle dans les semaines à venir mais celle qui était en charge d’elle jusqu’à présent ne semblait pas réellement s’en soucier. « Je suis sur liste d’attente, » mentit-elle, espérant que cela ferait avoir un peu de compassion à la vieille femme. En réalité, elle avait rapidement eu une réponse lui signalant qu’elle n’était absolument pas qualifiée pour suivre des cours à l’université. Ses connaissances dans les matières mordues s’étaient amoindries au fil des années, à l’exception des mathématiques qu’elle avait continué à étudier, pendant les vacances. Ses matières à Poudlard ne lui servaient pas pour ce qu’elle voulait faire. A vrai dire, elle n’était pas certaine de ne pas avoir perdu son temps pendant sept ans. Personne ne lui avait vraiment demandé si elle avait envie d’avoir une éducation magique, elle l’avait simplement subie, ne trouvant d’intérêt que dans quelques rares matières comme l’arithmancie ou les runes anciennes. A présent qu’elle pouvait avoir de nouveau un contrôle sur ses études, elle se rendait compte qu’elle n’avait pas le niveau, aucune université ne daignant répondre positivement à sa candidature. Et alors qu’elle approchait de ses dix-huit ans, elle se préparait à devenir légalement responsable, l’orphelinat ne pouvant pas la garder à charge passé cet âge. « Et bien, tu auras bientôt une réponse alors, » lui dit finalement la directrice, sèchement, relevant à peine les yeux comme pour lui signifier que la discussion était close. Camila n’ajouta rien, préférant sortir de la pièce plutôt que de s’énerver. Elle était démunie, sans plan concret, sans attache maintenant qu’elle quittait Poudlard et l’orphelinat. Elle était terrifiée, à l’idée de se retrouver seule à nouveau.

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1980 - « Ça t’embête si je dors ici ce soir ? J’ai pas envie de rentrer aussi tard. » La jeune femme poussa un bâillement, à moitié allongée déjà sur le canapé de son amie. Evidemment, ce n’était qu’un prétexte. Prétexte parce qu’elle n’avait pas de lit, pas de toit, pas de chez-elle. Elle n’avait nulle part où rentrer, si bien qu’elle devait toujours s’arranger pour qu’on veuille bien d’elle, pour une nuit ou deux. Cela faisait plusieurs mois, à présent, qu’elle était incapable de trouver un emploi stable et un endroit à appeler chez elle. Elle se débrouillait du mieux qu’elle le pouvait, faisant les poches de passants trop distraits et dérobant ce qui se trouvait le plus à portée de main dans les magasins. C’était suffisant pour qu’elle puisse se nourrir et s’habiller, mais pas assez pour qu’elle trouve un endroit régulier où dormir. Alors, en l’espace de quelques mois, elle s’était fait bien plus d’amis que pendant les dix-sept premières années de sa vie. Certains n’avaient pas de problème à la laisser dormir chez eux, beaucoup n’étant pas dupes quand à sa condition mais si elle pouvait l’éviter, elle préférait garder son statut pour elle, ne supportant que peu la pitié d’autrui. Tiana faisait partie de ceux qu’elle avait rencontré récemment et elle ne voulait pas altérer l’image qu’elle pouvait avoir de la plus jeune. Cependant, son amie eut un sourire qui lui signifia rapidement qu’elle avait sans doute voulu se montrer un peu trop maline. « Je suis pas stupide, tu sais ? » Camila se redressa, essayant de garder son calme. Il y avait une possibilité pour que l’ancienne gryffondor n’apprécie pas qu’elle lui ait menti et qu’elle ait voulu profiter d’elle. Mais l’expression sur son visage est trop difficile à déchiffrer pour que Camila en soit certaine. « Tu peux rester autant que tu veux. Par contre je pars pour Poudlard dans deux semaines. » La plus jeune eut du mal à contenir son sourire, se relevant immédiatement pour aller prendre son amie dans ses bras. Ce genre de geste aurait été impensable pour elle quelques années plus tôt mais elle commençait à présent à lier des amitiés plus fortes, même si celles-ci restaient rares.

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1981 - « Tu sais, je pourrais avoir besoin de quelqu’un comme toi pour m’aider. » La jeune femme détourna la tête pour croiser le regard de Trajan, fixé sur elle. Elle haussa un sourcil, ne répondant rien immédiatement. Elle savait très bien dans quel genre d’affaires il trempait, le genre qui aurait dû la faire fuir lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Mais en étant celle qui avait essayé de le voler, avant qu’il ne la prenne en flagrant délit, il y avait peu de chances pour qu’elle soit impressionnée par ses secrets. Elle avait rapidement compris que son rôle tournait autour des finances de l’organisation pour laquelle il travaillait et c’était naturellement que son amour des chiffres était venu dans la conversation, les liant presque immédiatement sur cet intérêt commun. Pourtant au cours des mois où ils étaient devenus amis, il ne lui avait pas encore fait de proposition du genre. Elle lui adressa un sourire. « Tu as besoin de moi, hein ? » Il leva les yeux au ciel, ce à quoi elle répondit par un rire. « Je peux trouver quelqu’un d’autre de plus intéressé aussi. Tu n’es pas si spéciale, tu sais. » Le sourire sur ses lèvres ne mit aucun doute sur le fait qu’il plaisantait mais Camila décida de marcher, prenant un air faussement vexé. « Bonne chance pour trouver un sorcier qui sait compter au-dessus de mille. » Ils se faisaient rares, ceux qui comme elle avait gardé des notions de leur éducation moldue, puisque la fascination du monde sorcier prenait généralement le dessus à leurs onze ans. Dans leur société, c’était les gobelins qui se chargeaient de gérer leur argent. Ils n’avaient aucun intérêt à savoir faire des calculs complexes. Aucun, si ce n’était le genre de passion que possédaient Camila et Trajan. « Et je suis bien payée, si j’accepte ? » reprit-elle finalement. Même si le sourire était toujours présent sur son visage, il y avait un véritable intérêt derrière sa question. Elle était toujours à la rue, toujours sans emploi, toujours condamnée à voler et à dormir sur les canapés de ceux qui voulaient bien d’elle. Un emploi, aussi douteux soit-il, ne se refusait pas dans sa situation. « Tu as le plaisir de ma compagnie, c’est largement suffisant, » répondit le français, un large sourire aux lèvres. Ce fut au tour de Camila de pousser un soupir. « Très bien. Je commence quand ? »

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1983 - « Lâche moi un peu, tu veux ? » Les mots avaient été lancés sur un ton sec, criés par-dessus la musique et elle les avait accompagné d’un coup de coude discret dans les côtes de celui qui s’approchait un peu trop d’elle. Elle ne lui laissa pas l’occasion de riposter, se détachant du bar pour se mêler à la foule dense, laissant l’ivrogne derrière elle. Elle en avait assez vu, de toutes manières, et ce fut au bout de quelques minutes qu’elle parvint enfin à sortir, l’air frais s’engouffrant dans ses vêtements trop fins. Elle se mis en route, l’alcool suffisant à lui tenir chaud, Dawn sortant finalement de sa poche pour venir se poser comme à son habitude sur son épaule. Sa présence la rassurait, encore plus à présent que les patronus des plus malades disparaissaient à la prise du remède. Elle ne voulait pas réellement penser à ce qu’elle aurait fait si elle avait été confrontée à ce choix mais elle ne pouvait à présent s’imaginer affronter son quotidien sans la voix rassurante de la mygale dans son esprit. En quelques minutes, Camila rejoint son appartement, coincé en haut d’un immeuble d’un quartier miteux de Londres. La décoration s’en tenait au minimum et elle n’avait qu’une seule pièce en dehors de sa salle de bain. Mais cela lui suffisait. Cela était bien plus ce qu’elle avait eu ces dernières années. Lourdement, elle se laissa tomber toute habillée sur son lit, sans prendre la peine d’allumer les lumières, ses yeux se fixant sur les lumières dansantes de son plafond, qui lui parvenaient depuis sa fenêtre. Sa main droit vint rejoindre machinalement son pendentif, geste rassurant dont elle n’avait pu se défaire au fil des années. S’il y avait quelques choses qui avait toujours été sien, c’était ce simple bijou, un oiseau argenté suspendu à une chaine autour de son cou. Ce même pendentif avait été passé sur une chaîne plus petite, elle-même attachée à son poignet, avant qu’elle ne soit abandonnée, bébé. Il avait toujours été avec elle et quelque part, il la rassurait. Pas parce que ses parents avaient sans doute été ceux à lui avoir donné, à vrai dire, elle n’avait rien à faire de ceux qui avaient décidé de le laisser dans la chambre d’une auberge plutôt que d’assumer leur responsabilité. Pas parce qu’elle avait l’impression qu’il faisait partie de son identité, cette dernière étant bien claire dans son esprit. Parce qu’il avait été la seule chose constante dans sa vie, toujours autour de son poignet puis de son cou, toujours présent sous ses doigts lorsqu’elle en avait besoin.