« Viens avec moi » Pas vraiment une demande, plus un ordre, une supplication. Ces mots se font violence. C’est la furie qui ne sait pas parler autrement. Elle n’est pas le calme que l’on voit. Elle n’est pas aussi sage que l’on croit. C’est le tumulte des abysses. C’est un reptile, c’est un félin qui envoute un moment et entaille au passage dans un réflexe inconscient. Elle est le caprice, elle est la volonté. Il ne le fera pas cependant, elle le sait et ses yeux, qui la regardent avec ce qu’il a de tristesse, la tuent. Il n’a pas besoin de répondre avec des mots, tout en lui parle à sa place. Ils sont les âmes sans mots. Ceux qui savent l’autre, se perdent dans l’écho de leur silence à eux que nul autre ne comprend. Insupportable. Elle lui reproche sa faiblesse, là où elle sait que s’il n’a pas la force de la révolte, c’est parce qu’il est depuis toujours atrophié par le poids qui l’accable. Elle veut le traiter de menteur et de lâche. Menteur qui clame sans arrêt son amour depuis tout ce temps passer ensemble et qui n’arrive pas à aller dans le sens de ces mots brûlants qui étaient pourtant devenus son hymne. Les souvenirs meurent sous la peine de celle qui est blessée. Elle oublie tout ce qui a été eux un instant, elle ne voit que ce qu’il lui refuse. La fin, comme un poison, s’insinue en eux. Maîtresse invisible qui vient s’interposer ente ceux qui s’aiment. Ils savent tous les deux que ce jour ils ne sont plus. C’est le combat de ceux qui agonisent. Rien ne changera le cours de leurs destins qui se séparent alors qu’encore un instant ils étaient une seule et même histoire. Les amours de jeunesse sont éphémères et futiles, le leur étaient pourtant tout ce qu’il y a de puissant, d’exaltant. Inclination des enfants qui se meurent dans l’autre dès les premiers instants. Passion des jeunes gens qui se perdent dans un univers de satin. Adoration des plus grands qui n’en finissent plus d’éprouver l’autre de tendresse. Il murmure son nom dans une souffle, comme pour la supplier de ne pas lui demander ce que tout deux savent impossible et c’est maintenant son regard à elle qui lui dit tout. Furie. Elle fait passer l’ambre de la haine au dégout. « Tu finiras comme eux. Tu n’es qu’un imbécile » Les mains pales qui s’approchent, elle les rejette sans ménagement d’un claquement sec « Si tu… si tu deviens ça, ne m’approche plus ! Ne me regarde même plus ... » Ces hurlements remplacent les larmes dont il devine l’usurpation. Elle n’est pas celle qui se laisse faiblir, elle est celle qui, la fin venue, donne son sens aux cataclysmes « … Je te tuerais ! » Sa Cassandre adorée se mur derrière sa rage qui ne laisse croire qu’à elle les promesses ardentes que demain elle aura étouffé. Demain. Elle sera loin demain. Elle sera si loin. C’est la peine de ne plus le revoir qui attise le feu de la rancœur qu’elle lui vomit. Il ne s’énerve pas, lui. Résolu à endurer comme pour expier ses fautes. Il n’a pas peur de la furie, ni de ses griffes, après tout, elles lui sont familières et il les aime tout autant qu’il aime tout ce qui est-elle. Elle le sait. Il pose ses bras autour d’elle. Elle est sa prisonnière. « Tu sais que je n’ai pas le choix. » Elle le sait ça aussi. Elle ne veut pas avoir à le savoir. Les lettres de son nom comme des fers qu’il porte et qui l’étoufferont toujours irrémédiablement. Les siennes sont d’une autre matière, opposée. Ils ont toujours su. Ils ont toujours tu. Des familles aux antipodes. Des idées qui divergent. Le fossé qui sépare les leurs auraient pu, à l’évidence, être le glas de leur attachement et pourtant, cette insurmontable heurt ils s’en étaient accoutumés. Alors cette fin-là, elle lui refuse. Son regard sur les lèvres pâles, comme hésitant à venir capturer un dernier bout de lui, elle le détourne la seconde d’après, car ce ne serait que faire saigner un peu plus la plaie en elle. Tout est perdue maintenant. Ce sera sa faute pour autant qu’elle sera celle qui délivre son jugement. Il a étouffé à jamais ce qui était une merveille. Il a ruiné leur royaume incandescent pour se perdre dans son monde de morts. Elle s’enfuit sur la réponse qu’il lui a donné en s'abstenant de lui porter l’estocade fatale, refusant de prononcer les mots terribles qu’elle voulait entendre, autant qu’elle ne le voulait pas réellement. C’est fini.