Il pleuvait. Rien que de très anodin à Londres, mais la magie possède parfois ce don subtile de faire passer une chose pour autre, surtout en Grande-Bretagne. Aussi, si l'extérieur croulait sous une pluie battante qui n'avait rien des douces averses d'avril, aucune goutte ne se voyait depuis le salon de thé de Ste Mangouste. Les fenêtres affichaient un paysage radieux, bien loin de celui dont on pouvait avoir l'habitude. Ni ville parcourue de moldus, ni désolation humide, simplement de grandes fenêtres ouvertes sur une quantité astronomique de nuages. Comme si, chaque averse venue, l'hôpital poussait sur ses fondations jusqu'à ce que son dernier étage parvienne à traverser la couche orageuse. C'était une innovation relativement récente, mais, lorsqu'on y pensait, ô combien vitale sachant le genre de personnes qui venaient pour s'offrir un thé. Attendre dans l'angoisse les nouvelles d'un proche malade, faire son deuil d'un parent fraichement décédé malgré tous les efforts que les médicomages avaient pu lui donner, espérer une bonne nouvelle après une batterie d'examens ou même déambuler une fois dans la journée loin des lits et des remèdes qu'on vous faisait avaler... à tous ces visiteurs, la pluie n'aurait pas fait grand bien. Lorsque le moral était déjà bas, mieux valait savoir tourner l'humidité en rayons de soleil.
Ludovic était assit près de la fenêtre, à l'une de ses places préférées, celle qui l'enrobait du maximum de lumière, surtout par temps d'averse. C'était un joli paradoxe d'ailleurs, que cet endroit pourtant fort éclairé en été grâce à ses immenses fenêtres proches des baies vitrées, ne soit jamais plus éclatant que lorsque l'orage grondait. C'était comme si, plus l'averse s'amplifiait, plus l'illusion magique en tirait d'énergie à convertir en éclatant paysage par delà les cimes. Une théorie à tester, peut-être que le sortilège puisait tout seul dans les ressources environnantes pour fonctionner. Quoi qu'il en soit, le sorcier échevelé assit devant les nuages, trempé d'une forte clarté, n'était pas là pour faire la lumière sur la magie qui permettait à l'hôpital de fonctionner. Non, tranquillement assis à sa table devant une véritable montagne de petites tasses nacrées, il venait pour savourer un café. Enfin, un café, plutôt quinze à en juger par la quantité de vaisselle qui commençait à s'accumuler. Pourtant, il était loin d'en avoir fini ! Depuis sa dernière sortie et sa visite chez Fortarôme, l'échevelé savourait la quantité impressionnante de caféine qu'il était possible d'acheter avec plus de six gallions en poche. Le personnel de l'hôpital s'était cru bien malin en lui supprimant son droit aux boissons gratuites dans le salon de thé pour tenter de diminuer sa consommation de caféine, mais c'était sans compter la fortune colossale de son père couplé à une légère tendance à perdre le sens des valeurs avec l'âge. Six gallions, c'était une véritable fortune ! Surtout quand on comptait le café en noises, mais est-ce que cela serait bien suffisant ?
Il fallait dire qu'il avait beaucoup de temps à rattraper. Depuis qu'il était revenu à la vie réelle, c'était à peine s'il avait pu toucher à une vraie tasse de café. Entre sa compagne plus radine qu'un ticket de rationnement et le verdict du procès, les occasions de prendre un verre devenaient de plus en plus rares. Il en venait même à songer qu'il était plus facile de se préparer sa potion préférée parmi une armada de Mangemorts que sous le toit de l'intransigeante Linda Oswin. C'était à peine si elle ne calculait pas la portion précise de marc qui devait rester au fond de la cafetière après incubation pour s'assurer qu'il n'avait pas dépassé ses doses journalières. D'accord, c'était sans doute meilleur pour la santé, mais la santé franchement... c'était tellement surfait ! L'échevelé sirota une nouvelle gorgée de liquide noir, trinquant à ce délicieux constat et chassant le goût désagréable des années de disette. Il avait bien cru retrouver un certain confort de ce côté là en arrivant à Ste Mangouste ; passant sur le séjour à Azkaban et en salle d'isolement, découvrir qu'il lui était possible de commander à boire gratuitement au salon de thé lors de ses temps libre avait d'abord semblé une véritable idylle. Malheureusement pour lui, les médicomages étaient au moins aussi rabat-joie que les Aurors et il s'était bientôt retrouvé face à un marché bien ingrat : Une tasse gratuite, tout le reste sera à ses frais. Autant dire que lorsque le contenu de vos poches se limitait aux peluches de votre robe de chambre, il fallait bien se désintoxiquer. Alors oui, ces six gallions représentaient un vrai saint graal, plus précieux encore que la coupe de Poufsouffle, et il comptait bien les boire jusqu'à la dernière goutte.
Ludovic pencha la tête en arrière, essayant de récupérer les reste de sa vingtième tasse de café. Rien à faire. Le petit jus jaunâtre qui restait collé au fond ne voulait pas se détacher. Tant pis. Il empila cette nouvelle tasse par dessus les autres, complétant une de ses petites tours de porcelaines avant de poser la soucoupe par dessus les autres. Cuillère de côté et hop, il se retournait déjà pour commander une nouvelle tasse de café. Il revint à sa place sur sa chaise, mettant une main sur son ventre en le sentant gargouiller de mécontentement. D'accord, il avait peut-être un peu abusé. Cela faisait beaucoup en quelques heures et il ne fallait pas non plus qu'il en devienne malade. Le café était bien trop précieux pour le recracher, mieux valait être raisonnable.
There'll be no rest for the wicked, there's no song for the choir. There's no hope for the weary, you let them win without a fight.
Je commençais à en avoir plus qu'assez d'arpenter ces mêmes couloirs dépourvus d'âme. Je détestais tellement cet endroit que je me promis de ne pas y mettre les pieds avant un bon bout de temps. « Tu sais que c’est une promesse que tu ne pourras pas tenir. » fit remarquer Léon tandis que nous sortions d'une énième salle d'examen. « Tu as une telle propension à te blesser quand tu es en mission que tu as été obligé d'apprendre des sorts basiques pour te soigner. Heureusement que tu as toujours été bon en sortilèges. » Et alors ? Ce n'était pas un mal, non ? Si cela pouvait m'éviter de trop nombreux allers retours à l'hôpital, c'était toujours ça de gagné, de mon point de vue. Sentant que je n'avais pas l'air convaincu, Léon crut bon de préciser son propos. « Tu te sens tellement anesthésié que tu te mets volontairement dans des situations compliquées rien que pour te donner l'illusion d'être en vie. » Piqué au vif, je pinçai les lèvres d'un air réprobateur, espérant que mon expression renfrognée suffise à dissuader Léon de s'aventurer sur ce terrain très glissant. « Tu en es au point où tu es complètement déconnecté de ton propre corps. Et je te connais assez pour être en mesure d'affirmer que tu ignores tes propres limites. Tu n'est pas invulnérable, tu sais. C'est exactement pour cette raison que je te dis que ce n'est pas la dernière fois que nous arpenterons ces couloirs. » Léon avait raison, comme toujours, mais je préférais l'ignorer, coupant net toute connexion mentale avec mon patronus. Lorsque je commençais à me fermer ainsi jusqu'à devenir hors de portée, c'est qu’il valait mieux remettre cette conversation à plus tard, quand je serai revenu à de meilleurs sentiments. Pour l'heure, j'étais totalement hermétique et je m'étais retranché dans ma coquille, exactement comme l'aurait fait un Bernard l'hermite pour protéger son abdomen vulnérable.
Je me sentais un peu mieux, parce que j'étais en train de reprendre le contrôle de la situation. Il n'empêche que cette conversation mentale m'avait rendu extrêmement nerveux. Je m'étais senti attaqué, blessé dans mon amour propre, et je maudissais Léon en silence, parce que je n'aimais pas quand il se transformait en grand sage. Je n'aimais pas entendre les vérités qu'il énonçait parce qu'il avait raison, comme toujours.
J'avais besoin d'une pause, de m'aérer l’esprit, oublier le temps d'un café ces foutus examens. Avec un peu de chance, ceux-ci allaient se terminer d'ici peu, j'avais passé le plus gros. Plus encore que la consultation en elle-même, je détestais le temps d'attente qu'il y avait avant chaque rendez-vous. Attendre le cul vissé sur une chaise avait le don de m'irriter considérablement. Ça me rendait dingue de ne pas savoir à quelle sauce j'allais être mangé, je préférais être fixé tout de suite. C'était comme retirer un pansement collé sur la peau : si on le retirait progressivement, on avait mal plus longtemps, et si on le retirait d'un seul coup, ça faisait un mal de chien sur l'instant mais on oubliait bien vite. Du reste, je préférais les méthodes beaucoup plus radicales. Ce fut donc en étant complètement sur les nerfs que je quittai l'aile consacré aux maladies moldues. J'avais beau être un sorcier, cela ne voulait pas dire que j'étais immunisé contre les maladies qui affectaient le commun des mortels. L'apparition de mes pouvoirs magiques demeurait un mystère irrésolu, si bien que j'ai longtemps pensé que j'étais mal foutu. Je n'étais de toute façon pas à une bizarrerie près. Par exemple je ne savais pas pourquoi je n'avais pas les yeux de la même couleur. Cette caractéristique physique ne manquait jamais de surprendre chaque personne que je rencontrais. La plupart préférait fuir mon regard si particulier, d'autant plus qu’il dégageait une sévérité relativement rare chez les personnes de mon âge. Les mystères de la génétique, probablement.
On m'avait dit que les résultats me seront communiqués un peu plus tard. C'était très vague, un peu plus tard, cela pouvait être dans quelques minutes ou dans quelques heures. Je suppose que je n'étais plus à cinq minutes près. Je n'avais pas envie de rentrer pour ensuite revenir, aussi décidai-je de rester et de me rendre au salon de thé de Sainte Mangouste. Cela avait beau faire plusieurs fois que je venais, je n'arrivais toujours pas à me faire à ce nom débile. Pourquoi avoir choisi la Mangouste comme emblème ? Ce n'est pas logique. Dans le monde moldu, le caducée était nettement plus parlant. Dans l'ancien testament, ce bâton jouait un rôle thérapeutique contre les morsures de serpents. C'était un cadeau de Dieu à Moïse, qui promettait à quiconque qu'il conserverait la vie s’il regardait le serpent d'airain. Bref. Je ne m'appesantis pas sur cette originalité plus longtemps. J'espérais vivement que le café que je comptais prendre serait suffisamment réconfortant pour me faire oublier la journée de merde que j'étais en train de passer. Je ne rêvais plus que d'un café avec un nuage de crème – aussi loin que je me souvienne, je les ai toujours aimés ainsi. Avec nostalgie, je songeai à ma rencontre avec Polina. C'était la même boisson que j'avais sirotée lorsque celle qui allait devenir ma femme m'avait abordé, cette fois là. Ces souvenirs, toutefois, me firent plus de mal que de bien.
J'entrai dans le salon de thé et je fus presque aveuglé par la lumière crue qui émanait des baies vitrées. J'ignorais si c'était parce que j'avais les yeux vairon mais j'ai toujours eu les yeux plus sensibles à la lumière que la moyenne. Je passai devant un mec qui empilait des tasses de café sans vraiment le voir, ni même m'attarder sur cet empilement insolite – les hôpitaux étaient pleins de fous dans le même genre. J'ouvris une des portes vitrées et laissai l'air frais s'engouffrer dans la pièce. Voilà qui était mieux, je me sentais revivre. J'inspirai l'air à pleins poumons, puis, j'allai sur le toit, qui faisait aussi office de terrasse. Une fois dehors, je me mis légèrement à l'abri de la pluie pour m'allumer une cigarette – le temps que je la fume, ça fera cinq minutes de moins à attendre. Mes mains étaient en train de trembler lorsque je coinçai la tige de tabac entre mes lèvres. L'allumer devint rapidement mission impossible puisque je fus pris d'une quinte de toux interminable. Il fallait que je rentre, que je me serve un verre d'eau, n'importe quoi pour faire passer la crise, parce que s'efforcer de respirer correctement ne suffisait pas. Alors, lorsque j'eus enfin un peu de répit, je fis volte-face et retournai dans le salon de thé. Je fis la queue, comme tout le monde. Devant moi, il y avait un type brun, aux cheveux ébouriffés. Je n'avais pas du tout fait le rapprochement entre ce mec et celui qui empilait les tasses de café un peu plus loin, jusqu'à ce que j'entende sa voix.
Je me foutais bien de savoir qu'il commandait un putain de muffin, cette voix si particulière réveillait des souvenirs que je pensais pourtant enfouis. Je n'oubliais jamais une voix, un regard, un visage, et ces intonations là résonnaient dans mon esprit comme un écho lointain. Je fermai les yeux, comme pour mieux faire défiler les souvenirs dans ma tête. Je me frottais les tempes, parce que je sentais le mal de crâne poindre. Un frisson glacé me dévala l'échine, tandis que mon cœur s'affolait dans ma poitrine. A l'évidence, je n'allais pas bien, et ça n'était pas près de s'arranger puisque l'homme se retourna, emportant son précieux. C'est là que je le reconnus.
« Vous! » crachai-je d'un ton accusateur, alors que j'avais pâli d'aux moins trois teintes. La tête me tournait, toupie infernale, et un profond sentiment de panique me prit aux tripes. « Je vous connais vous, vous êtes une saloperie de Mangemort! »
Mangemort ou pas, peu importe ce qu'il était dans le fond, parce qu'il n'était pas du bon côté de la barrière et c'était tout ce qu'il y avait à retenir. « Micah, arrête! » me supplia Léon, mais c'était trop tard, je n'avais pas l'habitude de démarrer au quart de tour comme ça, mais la situation me mettait tellement dans le mal que je ne contrôlais plus la situation. Sans me soucier de quoi que ce soit d'autre, j'empoignai l'autre sorcier par le col et le plaquai contre le comptoir.
« Je pensais qu'ils vous avaient fait la peau! » sifflai-je, haineux, mon visage proche du sien. « Visiblement ça n'a pas l'air d'être le cas! »
A dire vrai, je ne savais même pas s'il avait effectivement payé pour ses mauvaises actions, ou s'il était à l'hôpital parce que un tribunal l'avait jugé irresponsable de ses actes. J'avais tout loupé de ce qui s'est passé ces derniers mois, au point que la nouvelle de l'assassinat du ministre Rosier avait mis un bon bout de temps avant de parvenir jusqu'à ma cellule de prison. Mes doigts enserraient le col du brun, si fort que mes articulations en devenaient blanches. Mes pensées, mes émotions, mes souvenirs se mélangeaient dans ma tête, formant un cocktail potentiellement instable et explosif, au point que je pourrais étrangler ce mec de mes propres mains si je le voulais.
Les doigts pianotant sur le comptoir, Ludovic attendait sa nouvelle commande avec une guillerette bonne humeur. C'était incroyable à quel point ses journées pouvaient paraitre radieuses maintenant qu'il avait trouvé un excellent moyen de disposer du café à volonté. Non seulement cela faisait passer le temps, mais cela lui donnait l'occasion d'assortir à sa boisson préférée l'un des dizaines de desserts et d'accompagnement différent qu'offrait le salon de thé, charmant ses papilles dans une délectation sans cesse renouvelée. Il n'y avait pas à dire, c'était bien meilleur que tous les repas réchauffés qu'on pouvait lui servir. Assez vite, le serveur du jour lui apporta sa commande. S'efforçant de sourire malgré l'agacement clairement visible qu'il avait pour ce client beaucoup trop envahissant. Il lui déposa la nouvelle tasse sous les yeux, ainsi qu'un muffin d'une taille plus que satisfaisante et lui lança un rapide "merci de votre visite" soigneusement répété qui sonnait davantage comme un "maintenant dégagez et laissez moi travailler". S'en fichant royalement, l'échevelé prit tout son temps pour remercier le jeune homme et récupérer sa commande, enroulant avec délice ses doigts autour de la tasse chaude avant qu'une voix ne retentisse dans son dos.
"Vous!"
Ce n'était qu'un mot, un tout petit mot, qui aurait pu s'adresser à n'importe qui, mais dont la cible ne faisait aucun doute. Un petit mot prononcé avec une intonation et une colère qui voulait tout dire. Il allait passer un sale quart d'heure. Loin de s'en inquiéter pourtant, le français se contenta de soupirer en levant les yeux au ciel. Ce n'était vraiment pas le moment pour ce genre de scène. Il avait l'habitude de ces fous qui, comme lui, venaient errer du côté du salon de thé durant les heures creuses de la journée. Il avait également - et, malheureusement pour lui beaucoup trop - l'habitude de leurs petites crises de rage existentielles durant lesquelles ils pouvaient parfois le prendre en grippe sans aucune raison valable, allant même, à certaines occasions, jusqu'à l'attaquer ou le menacer des pires morts inimaginables. C'était courant en effet. Il était même assez rare de pouvoir passer une semaine entière au service de psychomagie sans qu'un incident du genre ne se déroule entre deux à plusieurs autres patients. Cela ne tombait pas toujours sur lui, heureusement, mais aujourd'hui, avec tout le café qui l'attendait, il n'avait réellement pas envie de perdre son temps avec ça. Aussi se contenta-t-il d'ignorer copieusement celui qui venait de l'interpeler, reprenant déjà la route de sa table en toute tranquillité en adoptant la répartie la plus adaptée à ce genre de cas.
— Infirmière !
Il n'avait même pas tellement prit la peine d'appeler à l'aide très fort. Non seulement parce qu'il avait l'habitude que le personnel soignant réagisse avant même qu'il ait eut le temps de bouger, mais aussi parce qu'il savait bien qu'il n'y avait aucune infirmière à cette étage là, surtout lorsqu'il n'était pas encore l'heure de la pause. Il n'avait dit cela qu'en guise d'avertissement pour celui qu'il considérait comme un autre patient un peu trop arrogant. En général, cela suffisait à ce qu'ils se dégonflent pour un petit instant, l'occasion pour lui de déposer sa précieuse cargaison sur sa table avant de chercher la bonne répartie pour remettre cet importuns à sa place. Si possible sans coup de poing, cela aurait été un coup à ce qu'il soit privé de café pour une autre véritable éternité.
Cependant, l'autre ne s'arrêta pas là ; enchainant sur un petit discours qui, lui, avait tout d'inhabituel, faisant même se froncer les sourcils du français à la seconde où il entendit le mot "Mangemort". D'accord, ça, ça n'était vraiment pas bon signe. S'arrêtant aussitôt en hésitant une petite minute à se retourner pour voir qui avait dit ça, Ludovic s'efforça de réfléchir à ce que pouvait impliquer cette situation à laquelle il s'était encore rarement trouvé confronté. Est-ce que c'était quelqu'un qu'il connaissait ? Une ancienne victime ? Le proche d'une ancienne victime ? Un simple journaliste peut-être ? Ou bien encore un lecteur un peu trop acharné de la gazette du sorcier. Est-ce qu'il allait apprendre qu'il trouvait les gens comme lui dégueulasse ou bien qu'il avait provoqué l'extermination de toute sa famille ? Sans compter qu'avec toutes ces histoires de patronus, pour ce qu'il en avait entendu, le nom des Mangemorts se trouvait rapidement associé à celui de bourreau d'enfants. Même s'il ne se sentait pas forcément le plus concerné par le terme, il y avait là de quoi réellement s'inquiéter.
Le temps de toutes ces pérégrinations, il était trop tard. Déjà l'homme qui l'avait interpellé s'était rué sur lui pour le saisir par le col, lui faisant écarquiller les yeux d'une inquiétude palpable. Ludovic sursauta, lâchant aussitôt ce qu'il tenait pour adopter une attitude qu'il avait assimilée au fil de ce genre de duels de fous dont nous parlions tantôt. Se montrer inoffensif, ne pas bouger, ne pas réagir, chercher le moins possible à envenimer les choses et attendre que le personnel intervienne à sa place. Levant les mains à hauteur de son visage, paumes ouvertes en signe de paix. Cela ne parut pas suffire. Alors même que la tasse de café percutait le sol en répandant son contenu en une sublime éclaboussure, le maigrichon se retrouva brutalement plaqué contre le comptoir, sa tête manquant de peu de se fendre sur le bord alors qu'il grimaçait à l'impacte. Le muffin était par terre, passablement en miette, la tasse rebondissait sur les carreaux, roulant sur elle même s'en s'être brisée et un homme furibond venait d'obstruer complètement sa vision en continuant à lui cracher des reproches ou peut-être des menaces à coup de moult postillons sur son visage.
— Ecoutez Monsieur... Micah c'est ça ? répondit calmement l'échevelé en fixant l'autre droit dans les yeux, s'efforçant de conserver son sang-froid malgré l'instabilité de la situation et la centaine de signaux d'alarmes qui lui ordonnaient d'aller se mettre en boule dans un coin pour attendre que la tempête passe. Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler. Est-ce que vous voudriez bien... poursuivit le brun en agrippant les mains sur ses vêtements qui semblaient encore resserrer leur étreinte. Me lâcher s'il vous plait ? Pour qu'on puisse en discuter ?
Ludovic peinait énormément à ne pas trop fermer les yeux d'angoisse, sentant déjà une sueur moite lui tremper le front et le dos entre les omoplates alors qu'il plaquait la main contre le visage de l'assaillant pour tenter de toutes ses forces de le repousser. L'autre ne semblait réellement pas décidé à le lâcher et, en plus de ça, il paraissait détenir dans ses mains bien plus de forces que ce dont le maigrichon se serait attendu venant d'un sorcier. Le corps malingre, l'échevelé ne faisait clairement pas le poids. Déjà ses genoux pliaient sans parvenir à le faire réellement tenir debout et il aurait suffit d'un geste pour qu'il se retrouve assommé ou, pire, le crâne ouvert, gisant dans une mare de sang. Rien qu'à cette idée, l'échevelé dérapait déjà, tordant le cou en direction du serveur avec une supplique anxieuse sur le visage alors que ce dernier semblait complétement dépassé.
— Appelez de l'aide, vite ! souffla-t-il en se laissant encore un peu plus glisser pour compliquer la tâche à son assaillant qui devrait réajuster sa prise s'il ne voulait pas le voir tomber complétement par terre.
Attendre. Attendre et ne pas réagir. C'était les consignes, mais Ludovic n'avait jamais été très doué pour suivre les consignes et le tremblement léger qui commençait à lui parcourir l'échine ne lui donnait nullement envie de risquer sa vie contre le bord du comptoir pour une seconde de plus. Sa main toujours plaquée contre la face du supposé britannique, il visa les yeux des ses ongles. Non pas pour les crever, mais pour distraire suffisamment l'attention de son agresseur, le temps que sa main libre parte fouiller la surface du comptoir à la recherche d'un objet contondant. Il ne trouva rien sinon un présentoir à gâteaux désespérément léger qu'il attrapa aussitôt pour le balancer en pleine tête de son opposant, profitant de la distraction pour remettre ses pieds à plat sur le sol et se propulser légèrement vers le haut, assez pour qu'il puisse s'accrocher au comptoir et y prendre appuis de ses avants bras, avant de propulser ses deux jambes dans le buste de l'attaquant frappant aussi violemment que possible pour le mettre à distance.
— Je ne vous veux aucun mal, souffla-t-il aussitôt après, ses mains toujours solidement accrochées au comptoir.
There'll be no rest for the wicked, there's no song for the choir. There's no hope for the weary, you let them win without a fight.
Toute cette colère…J'ignorais d'où elle me venait mais elle était bien là, elle palpitait dans mes veines, faisait bouillir mon sang et faisait battre mon cœur à une allure folle. Il était rare que je pète les plombs de cette façon, j'étais d'un naturel plutôt calme, du genre à garder mon sang froid quelles que soient les circonstances. J'avais été entraîné dans ce but, jadis, ma profession m'avait obligé à me blinder, à tout enfouir à l'intérieur. Certes, j'avais une propension toute naturelle à verrouiller mes émotions, n'étant pas spécialement démonstratif, mais mon entraînement militaire puis en tant qu'Auror n'avaient certainement pas aidé, bien au contraire. Je n'aurais jamais dû réagir ainsi, avec tant de violence, quitte à agresser un autre type qui n'avait rien demandé à personne – encore que, je n'étais pas certain que ce mec n'avait effectivement rien à se reprocher puisque c'était sa voix qui avait déclenché cette crise. Je n'aurais pas dû mais c'était bien mes doigts qui agrippaient le col de son vêtement, pas au point de l'étouffer, bien sûr, mais assez fort pour qu'il comprenne que non, je ne plaisantais pas. À la lisière de mon esprit, Léon tentait de me raisonner, mais je n'écoutais plus ce que mon patronus disait, tout mon bon sens avait été aboli par mon accès de fureur. Les soudaines crises de colère, l'envie dévorante de tout casser ce qui se trouvait à porter était une des nombreuses manifestations de mon syndrome de stress post traumatique. J'étais perpétuellement sur le fil, sur le point de basculer d'un instant à l'autre. Souvent, je sentais que je perdais pied ; que je ne maîtrisais plus rien. Je n'étais plus capable de raisonner de manière logique et rationnelle. J'entrais dans un état second, une sorte de transe, comme si on m'avait hypnotisé et qu'il suffisait de prononcer un mot, un seul, pour me sortir de ma torpeur.
C'était exactement l'état dans lequel je me trouvais en cet instant précis. Et il suffit d'un mot pour me faire redescendre, au moins un peu.
En l'occurrence, ce mot de passe était mon prénom. Micah. Prononcées par ce type, ces syllabes avaient une résonnance particulière. Bien sûr que non, je n'avais pas oublié comment je m'appelais, c'était juste que tout le monde ne connaissait pas mon véritable nom, surtout quand j'officiais en tant que rafleur. À l'époque, je le faisais appeler Daniel. Ce n'était pas vraiment un mensonge, puisque Daniel n'était autre que mon second prénom, je n'avais pas eu à chercher bien loin, à m'enfoncer dans les complications. Comment savait-il ? Ce n'était pourtant pas le moment de m'étonner de ce prodige. Les pensées, les souvenirs défilaient tellement vite dans ma tête que je me sentais confus, en proie aux doutes. Ça me perturbait plus que de raison que ce mec sache comment je m'appelais réellement. Sans même m'en rendre compte, j'avais desserré un peu ma poigne. La confusion était telle que la colère s'était momentanément évaporée. L'incertitude dansait dans mon regard vairon. Ce n'était pas non plus un comportement habituel chez moi. De la même façon que je m'efforçais de garder mon sang froid quelles que soient les circonstances, je ne montrais jamais quand je doutais ou que je n'étais pas sûr de moi. Ce n'était pas tant par fierté que pour ne pas laisser à autrui des armes pour m'atteindre. Si je montrais un peu trop mes émotions, les autres pouvaient les retourner contre moi. Cette vulnérabilité n'était pas la bienvenue et pourtant, je faisais partie de ces personnes trop intenses, trop sensibles peut-être, au point que j’ai été brimé tout au long de ma vie parce que j'avais des caractéristiques assimilables à la gent féminine. Trop doux, trop tendre, trop empathique, je ne correspondais en rien aux codes de la masculinité toxique. Dieu merci, je n'étais pas comme mon oncle, je ne serai jamais comme lui et je préférais largement être celui que j'étais.
Pourtant, de l'armée, j'avais conservé cette maîtrise, cette discipline, cette rigidité. Je m'étais certes endurci en étant confronté aux horreurs de la guerre du Viêt Nam mais je pouvais garantir qu'on ne s'en sortait pas indemne. Je m'étais renforcé au gré de mes expériences mais le prix à payer avait été terrible : ma psyché était irrémédiablement endommagée, à vif sous les couches de glace qui, je le pensais naïvement, protégeaient mon âme. Force est de constater que ce n'était pas le cas. Vraiment pas. Et d'une façon ou d'une autre, cet inconnu pas si inconnu que ça s'était frayé un chemin dans le labyrinthe et avait touché une corde sensible. C'était, semble-t-il, une raison suffisante pour le détester davantage mais en réalité j'étais curieux, je voulais savoir comment avait-il su mon putain de prénom.
« Ça en devient obsessionnel. » commenta Léon, dont la voix parvenait enfin à mon esprit en ébullition. « Relax, s'il faut il t'a reconnu parce que tu viens ici souvent, c'est tout. »
Il n'y avait pas que ça, je le devinais, je le sentais, j'en étais même intimement convaincu, et Léon ne savait que trop bien que quand j'avais une idée derrière la tête, je ne l'avais pas ailleurs. Je pouvais même être particulièrement borné quand je m'y mettais. Je savais également que je n'aurais pas dû relâcher ma poigne, baisser la garde. C'était même une grossière erreur. Une de plus qui venait s'ajouter à toutes les autres. L'autre continuait à se débattre, à appeler à l'aide. Je resserrai un peu ma poigne. C'était trop tard. Il glissait entre mes doigts, tel une couleuvre. C'était le signe qu’il m'avait déstabilisé suffisamment pour que je perde le contrôle. L'autre plaqua ses mains sur mon visage.
C'était la chose à ne surtout pas faire. Ce simple geste suffit à faire remonter tout un tas de souvenirs à la surface. L'image de Stanislas vint se superposer à celle du sorcier. Je ne le voyais plus lui mais mon oncle. Je le revoyais agripper Marta par la gorge pour la jeter contre le mur, quand il estimait qu'elle dépassait les bornes. Je le revoyais m'attraper par les cheveux ou le menton quand il voulait m'infliger une bonne correction.
Je sentis une douleur cuisante, non parce que je venais de recevoir des coups de ceinture mais parce que l'autre venait de me frapper avec un présentoir à gâteaux, attrapé sur le comptoir. Cela me fit immédiatement lâcher prise. L'effet de surprise était tel que je ne vis pas le prochain coup venir. J'en eus le souffle coupé et à nouveau, je m'étouffai dans une quinte de toux. Il allait le regretter, j'en faisais le serment. À peine reprenais-je mes esprits que je me ruai sur lui, lui assénant un coup de poing en plein visage. Les os de ma main se mirent à craquer tandis que la douleur se réverbérait dans mon poing puis dans mon bras. J'avais frappé suffisamment fort pour lui exploser l'arcade sourcilière. Je n'en étais même pas désolé. Ce mec m'avait attaqué dans un moment d'inattention et s’il y avait bien quelque chose qui me faisait particulièrement horreur dans ce bas monde, c'était le manque de fair play.
« C'est moche d'attaquer quelqu'un qui a le dos tourné. » éructai-je, hors de moi, mon visage proche du sien - j'étais satisfait de voir qu'il pissait le sang. « Vous vous croyez malin mais des comme vous, j'en ai maté bien plus que vous le croyez. » Il faut dire que la différence de carrure était très nette. « Je suis un ancien militaire, je connais des prises qui me permettraient de tuer quelqu'un à mains nues sans y aller comme une brute épaisse. »
Mes doigts quittèrent le col du vêtement pour se poses là, au niveau du cou, là où c'était particulièrement fragile. J'exerçai une légère pression.
« Il suffit de savoir où appuyer précisément. Il suffit d'une petite pression pour que ce soit fini pour vous. » J'appuyai un peu plus. « Cela ne requiert pas une grande force, juste des connaissances en anatomie. » Je relâchai légèrement la pression. « Mais je ne le ferai pas parce que je n'ai absolument aucune envie de vous voir claquer entre mes mains. »
Je n'aurais de toute façon aucune latitude pour le faire, même si je le voulais. Déjà, le personnel de l'hôpital faisait irruption dans la pièce pour nous séparer. La suite des événements ne m'appartenait plus.
La diversion avait fonctionné. Pas suffisamment pour que l'homme se calme, naturellement, vu la veine furibonde qui enflait sur sa tempe, ses pupilles dilatées et ses yeux injectés de sang, il aurait sans doute fallut qu'un troupeau d'éruptifs lui passe dessus pour lui calmer les nerfs, mais assez au moins pour que le français parvienne à se dégager de sa prise une première fois. Soyons honnête, il n'était pas particulièrement fier d'avoir frappé cet inconnu avec le présentoir à gâteaux. Même si cela ne semblait pas avoir particulièrement blessé le colosse auquel il faisait face, le bruit déchirant du métal tordu avait de quoi le faire culpabiliser pour rien. Il l'avait promis. Ô combien de fois. Qu'il ferait en sorte de ne plus blesser d'autres êtres humains. Mais il fallait croire qu'il était bien mal parti pour ça et, si jamais il avait eut le moindre contrat à ce sujet, il était à peu près certain qu'il ne passerait pas la fin d'année. Sans oublier les gâteaux. Tous ses merveilleux gâteaux qui avaient rejoint le sien sur le sol, définitivement irrécupérables et jamais consommé... ah ça oui, il y avait de quoi culpabiliser !
Le remords ne resta cependant pas longtemps. Alors que l'échevelé gardait une main sur le comptoir, l'autre tendue devant lui pour tenter d'apaiser la bête, il ne manqua pas une seconde le retour de flamme qui suivit sa petite tentative de bravade. Tout ce qu'il voulait, c'était garder une distance de sécurité raisonnable. L'homme semblait costaud, musclé, sans compter que, dans un univers de sorciers, favoriser les muscles n'était généralement pas la priorité du commun des mortels. Il devait se trouver face à un adversaire coriace et il en tenait pour preuve la façon dont l'autre l'avait immobilisé sur le comptoir rien qu'en le tenant par le col. Qu'est-ce que cela aurait été s'il l'avait prit à la gorge ? Heureusement, Ludovic n'avait pas trop le temps de se poser ce genre de question. Alors que son adversaire prenait son élan pour lui foncer dessus, le maigrichon écarquilla les yeux, sautant aussitôt pour tenter de s'envoler par dessus le comptoir de la boutique. Peine perdu, il était tout juste parvenu à décoller ses pieds du sol que le colosse lui avait enfoncé son poing en plein dans le visage, lui faisant complétement perdre l'équilibre, ce qui lui valut de s'écraser brutalement contre le meuble. L'échevelé serait d'ailleurs sans doute tombé par terre si son assaillant n'avait pas recommencer à l'attraper par le col. Cela en devenait presque une habitude.
Loin de s'en offusquer, le brun leva plutôt une main à son visage, sentant, avec un léger délai, un épais flot de sang s'échapper au niveau de son sourcil. Il grimaça, la douleur pourtant insoutenable réveillant ses migraines alors qu'il avait l'impression que son crâne tout entier venait de se fissurer. Étrangement, il avait connu pire et cela faisait un moment qu'il avait dut abandonner l'idée d'être douillet. Aussi se contenta-t-il de serrer les dents, son oeil se fermant déjà pour ne pas se noyer sous le flot rouge qu'il préférait ignorer. Il le sentait malgré tout grossir, coulant à toute allure dans sa chemise et allant même jusqu'à tâcher son pantalon, dans une tiédeur malsaine et malodorante. Ils étaient quitte là peut-être. Peu importait ce qu'il avait bien pu faire à ce gars ou aux membres de sa famille, il pouvait s'estimer vengé non ? Bon, aller, il était prêt à accepter que le fou furieux le passe à tabac durant quelques minutes histoire de se lâcher les nerfs, mais au-delà de ça, il ne fallait pas pousser quand même. Il était en sang, sans doute quitte pour reprendre de la potion pousse-os et peut-être pour ne pas pouvoir rouvrir l'oeil durant quelques jours c'était bien suffisant. Non ? Mais alors que le français s'était plus ou moins résigné au sale moment qui l'attendait, son cadet n'en avait pas terminé. Commençant à hurler des choses sans queue ni tête qui firent se froncer – non sans douleur – les sourcils de l'échevelé.
L'attaquer dans le dos ? Lui ? Quand ça ? C'était cet abruti qui l'avait attaqué en traitre ! C'était à peine s'il avait eut le temps de se retourner qu'il s'en était prit une et sans raison en plus ! Lui, tout ce qu'il avait fait, c'était se défendre. Quant au reste, bien qu'il soit infiniment persuadé être plus malin que ce dégénéré et être encore tout à fait capable de lui résister et de lui survivre, il ne voyait pas du tout à quel moment le dénommé Micah avait pu croire qu'il le prenait de haut pour lui laisser entendre ça. Il n'avait rien fait sinon essayer de calmer le jeu, de ne pas envenimer la situation, en ripostant un peu peut-être, par un coup un peu irrégulier sans doute, mais il fallait bien qu'il parvienne à rattraper son handicap entre son poids plume et la masse de plomb de cet apparemment ancien militaire. S'il avait encore besoin d'une bonne raison pour trouver ce dégénéré antipathique et tout à fait haïssable, cette dernière lui aurait bien suffit. Il s'était lassé de tuer les autres imbéciles dans son genre pour se mettre en tête de s'en prendre à des civiles enfermés dans les hôpitaux ?
Néanmoins, l'échevelé n'eut pas le temps de rétorquer ou d'enfoncer son pied dans la première zone sensible venu que le militaire prit une initiative pour le moins inhabituelle qui fit aussitôt s'affoler sa victime.
Idem, la strangulation, il en avait l'habitude. C'était l'un des passe-temps favoris d'un de ses anciens "amis", mais il n'avait encore jamais été victime d'une prise comme celle que l'autre homme lui infligea. Une douleur subite naquit sous ses doigts alors qu'il lui enserrait le cou. Réagissant aussitôt, le français plaqua ses mains sur celle de son agresseur, le sentant forcer à peine alors qu'il peinait déjà beaucoup trop à respirer. Ludovic ne riposta toujours pas pourtant, bien incapable de réagir alors qu'une sorte de paralysie générale semblait s'en être prit à lui. Les yeux suppliant, terrifié sans même s'en rendre compte, il n'osait même pas forcer sur cette main qui l'emprisonnait par crainte que le moindre geste ou la moindre tentative n'entraine un arrêt brutal et définitif de sa personne. Mais qu'est-ce qu'il avait fait bon sang pour que l'autre lui en veuille à ce point ?! N'arrêtant pas son geste, son agresseur accentua encore un peu plus la pression, tirant un gémissement douloureux de l'échevelé alors qu'il se sentait doucement partir, ses yeux déjà pratiquement révulsés. C'était étrange. Il n'arrivait réellement pas à réagir, son corps entier soumis à cette douleur dans sa gorge, c'était à peine s'il parvenait encore à réfléchir. Il tenta de gémir une nouvelle fois, essayant de convaincre l'autre de le lâcher alors que ses pieds cherchaient mollement un échappatoire. Que cette main force encore sur sa gorge et il serait bien obligé d'y faire quelque chose s'il ne voulait pas mourir. Ludovic s'efforça à ne pas se laisser dériver, s'appliquant à fixer dans les yeux celui qui parviendrait peut-être à finir ce que toute une bande de Mangemorts n'était pas parvenue à faire. Son visage commençait à virer au pourpre, sa tête tournant en plus de le faire souffrir alors que tout le sang qui s'écoulait de sa plaie semblait s'accumuler dans son crâne pour le faire exploser. Cependant, lorsque l'autre relâcha doucement sa prise, pas assez pour qu'il puisse retrouver l'usage de ses gestes ou pour lui permettre réellement de respirer, le français se détendit un peu, presque rassurer d'entendre son bourreau lui confier qu'il n'avait pas l'intention de le tuer. Il ne songea pas une seconde que l'autre aurait pu vouloir le torturer à la place, mais se persuada d'autant plus de ne rien faire et de ne pas réagir. Étrangement, c'était bien le meilleur réflexe à avoir dans ce genre de situations, d'autant plus que la cavalerie arrivait enfin, se jetant sur l'agresseur alors que sa victime fermait doucement les yeux, tout à fait soulagé. Cette fois il était vraiment passé à côté du pire question dégénérés.
S'écroulant par terre à la seconde où les mains du barbare le lâchèrent, Ludovic espéra une seconde pouvoir se laisser aller à son mal de crâne et à ses sifflements plaintifs et toux rocailleuses alors qu'il essayait de retrouver son souffle, sentant encore la poigne fantôme de la main sur sa gorge, mais c'était sans compter la bienveillance légendaire du personnel de Ste Mangouste qui n'attendit pas qu'il se remette du choc pour lui plaquer un masque sur le visage, le faisant sursauter et reculer alors qu'il avait encore les yeux écarquillés, incapable de comprendre ce qui venait de se passer. Bien décidé à ne pas se laisser une nouvelle fois avoir par le malade mental qui en voulait à sa vie, le français n'écouta pas une seconde les paroles des médicomages venus à sa rescousse, les repoussant plutôt de toutes ses forces un peu amorphes jusqu'à ce qu'il entende, de loin, dans le brouillard de sa boite crânienne, quelqu'un lancer un sort qui lui fit perdre connaissance.
There'll be no rest for the wicked, there's no song for the choir. There's no hope for the weary, you let them win without a fight.
Sans doute risquais-je de très gros ennuis en passant à tabac ce mec qui n'avait de toute évidence rien demandé à personne. Dans le monde moldu, les flics seraient probablement déjà sur les lieux et m'emmèneraient de force au commissariat, où je passerais quelques heures en garde à vue. A moins que ce mec porte plainte pour coups et blessures, pouvant potentiellement entraîner une incapacité temporaire de travail plus ou moins longue, je ressortirais d'ici libre. C'était tout à fait le genre de connerie qui était susceptible de me renvoyer en prison si la situation venait à dégénérer, mais à dire vrai, en cet instant précis, c'était le cadet de mes soucis. Ce mec m'avait tout bonnement fait péter les plombs, et l'état de rage profonde dans lequel je me trouvais n'avait pas grand-chose à voir avec un délit de sale gueule, encore que. Apercevoir sa gueule de rat avait déclenché un truc en mon for intérieur, un truc qui m'avait fait perdre le contrôle de mes nerfs. Tout ce que je voulais en ce moment était de le mettre en pièces, et j'étais littéralement à deux doigts d'y arriver. Il aurait suffi que j'appuie davantage sur cette partie là de son cou pour qu'il s'étouffe sans émettre un son. J'aurais pu, mais un éclair de lucidité m'avait fait relâcher la pression, m'empêchant de commettre l'irréparable. Quoique l'on puisse dire, je n'étais pas un tueur, un assassin. Certes, lors de mon passage dans l'armée, j'avais abattu des cibles de sang froid, mais je n'étais pas dans un contexte de guerre, j'étais dans le civil, et dans le civil, tuer quelqu'un était répréhensible, passible d'une lourde peine de prison. Mes mains tremblaient alors que les souvenirs affluaient dans mon esprit perturbé, des souvenirs, qui, en temps normal, m'auraient dissuadé de lui sauter sur le poil comme je venais de le faire. Sauf que je n'étais pas dans mon état normal, j'étais dans un état second et je devenais dangereux, à la fois pour moi-même et pour les autres. J'étais tellement hors de contrôle que la seule façon de me maîtriser aurait été de me mettre sous sédatifs.
D'ailleurs, une armada de médicomages ne venait-elle pas de faire irruption dans le salon de thé, pour me mettre à l'écart avant que je tue le maigrichon à mains nues ? Mon poing était encore douloureux du coup que j'avais asséné à mon adversaire, et de l'avoir serré au niveau du cou n'avait sans doute rien arrangé.
Mes phalanges étaient bleues et gonflées, la peau fine tendue sur les articulations s'était déchirée et j'avais du sang sur les mains, littéralement. Ce sang n'était pas le mien, il appartenait au sorcier à qui je venais d'exploser l'arcade sourcilière. Autrement dit, son sang était entré en contact avec le mien et il pouvait de cette manière me refiler une saleté – j'espérais qu'il soit vacciné contre la rage, parce que je ne savais pas où il était allé traîner et je n'avais aucune confiance en ce genre d'individu. Peut-être que ce mec était tout ce qu'il y avait de plus sain – physiquement, tout du moins, mentalement c'était encore un autre débat – et que c'était le dégoût viscéral que j'éprouvais envers sa personne qui me faisait penser ainsi. Je n'y pouvais rien si sa tête ne me revenait pas, si j'avais envie de fracasser sa sale gueule à chaque fois que ses traits se tordaient en une mimique hideuse. L'impression de familiarité que j'avais eue en le voyant après tant de temps ne s'était pas évaporée, bien au contraire, elle n'avait fait que se renforcer, se transformer en idée fixe. Je le savais, j'avais déjà vu ce type quelque part, et le reconnaître m'avait fait totalement disjoncter. Je ne savais cependant pas - ou plus – où je l'avais croisé, ni même dans quelles circonstances. J'allais avoir du temps pour méditer sur la question, puisque déjà, plusieurs médicomages venaient de m'empoigner pour me séparer de ma victime. Je me sentis tiré en arrière, ce qui me contraignit à lâcher définitivement prise. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'autre venait d'être sauvé par le gong. Il gisait à terre, crachant et suffoquant, alors que je me débattais comme un diable, paniquant à l'idée de me retrouver de nouveau entravé dans mes mouvements.
Le monde tanguait tout autour de moi, et la scène semblait se dérouler au ralenti. Tout était anormalement silencieux, comme si une main invisible avait tourné le bouton pour baisser le volume. On m'avait également enfilé un masque et en l'espace d'un instant, je crus que c'était pour m'endormir. Peu à peu, quelques sons étouffés me parvenaient aux oreilles. J'entendais des mots étranges, tels que quarantaine, traitement ou confinement. Des mots qui, pour certains, réveillaient des souvenirs pénibles. Cela ne m'apaisa pas, bien au contraire. Une angoisse sourde me saisit, alors que je songeais que l'autre pestiféré m'avait effectivement refilé une saloperie. Si j'avais pris la peine d'y réfléchir n'y serait-ce qu'un instant, j'aurais compris que cette hypothèse était dépourvue de toute logique. Si effectivement l'autre était infecté et potentiellement contagieux, les médecins n'auraient pas été suffisamment inconscients pour le laisser dans la nature. A moins que l'autre ne soit infecté par le VIH, auquel cas je pouvais également l'attraper en étant simplement en contact avec du sang contaminé – cela ne s'attrapait pas en respirant le même air qu'un malade, pour autant que je sache. Dans tous les cas, quelque chose flottait dans l'air et c'était la raison pour laquelle on nous avait mis des masques et on nous boutait hors du salon de thé. Je les voyais qu'ils essayaient de m'immobiliser mais je ne me calmai pas pour autant, au contraire, plus ils essayaient de me maîtriser et plus je me cabrais, comme un cheval fou furieux. Je me sentais oppressé, j'avais chaud, je transpirais à grosses gouttes, à un point tel que mes vêtements furent bientôt trempés et que mes cheveux s'aggloméraient entre eux. Je savais précisément ce qui était en train de se passer, puisque j'étais en train de faire une attaque de panique, et c'est dans ces moments là que je pouvais devenir particulièrement agressif, que je pouvais tout envoyer valser, cogner tout ce qui se trouvait à portée. Je ne contrôlais plus rien, le décor tanguait tout autour de moi.
« Attendez, vous m'emmenez où ? » m'époumonai-je, bien que le masque ne faisait qu'étouffer le son de ma voix. « Qu'est-ce que vous allez faire ? »
Je ne voulais pas qu'ils m'emmènent, je voulais qu'ils me lâchent, qu'ils me foutent la paix, qu'ils me laissent respirer. Mon regard affolé capta la silhouette du rat que l'on emmenait je ne sais où. Je ne voulais pas savoir, putain, qu'on me lâche ! La panique pulsait dans mes veines, j'essayais de défaire mon masque mais ils m'en empêchaient. Ce fut à peu près la dernière chose dont je me souvins avant de sombrer dans l'obscurité.
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Lorsque je repris connaissance, j'eus l'impression d'être entravé, comme limité dans mes mouvements. Encore dans le brouillard, j'émergeais peu à peu, et lorsque je commençai à inspecter mentalement mon propre corps, ne serait-ce que pour m'assurer que tout allait bien, je remarquai que mes poings étaient entourés d'une bande de gaze médicale, et qu'il se dégageait de mes bandages une forte odeur d'essence de dictame. J'en reconnaissais l'odeur parce qu'on m'en avait souvent appliqué pour soigner les blessures que j'aurais pu me faire tout au long de ma carrière d'Auror. Je me rappelai de la bagarre, de mes poings en sang et de la douleur qui me lançait un peu. Ceci dit, c'était peu de choses au regard des dégâts que j'avais infligés à l'autre. Lorsque je pensais à l'autre, je fus totalement réveillé. Je clignai des yeux pour chasser les dernières bribes de brouillard qui m'embrouillaient encore l'esprit. J'allais tout naturellement me redresser, lorsque je m'aperçus que je ne portais plus les vêtements que j'avais lorsque je suis arrivé ici pour passer mes examens médicaux. Pire encore, je vis que j'étais attaché, de telle sorte que je ne puisse pas agresser qui que ce soit, qu'il s'agisse d'un membre du personnel ou d'un autre patient. Du coin de l'oeil, je captai également qu'on m'avait enfoncé une perfusion dans le bras et que la poche contenait sûrement des sédatifs, d'où le fait que je me sentais complètement shooté. Je me laissai retomber sur le dos, sentant la panique m'envahir une nouvelle fois.
« Il y a quelqu'un ? » appelai-je d'une voix pâteuse, alors que j'essayais de comprendre ce qui m'arrivait.
J'étais où, putain ? J'étais certain d'être encore à Sainte-Mangouste, même si j'ignorais où. Et plus encore, il était où, ce fils de pute que j'avais commencé à fracasser ? Cela ne faisait aucun doute que, si je n'avais pas eu le malheur de croiser son chemin, je n'en serais pas là.
Une inspiration. Une expiration. Au dessus de sa tête, un long plafond grisâtre s'étendait à perte de vue. Une étendue compacte, un mur verticale, le socle d'un coffre tordu par l'angle des parois qui formaient le reste de la pièce. La respiration tranquille, l'échevelé s'appliquait à ne pas bouger. Rester calme. Immobile. Il vibrait à peine à chaque respiration et pourtant il sentait déjà la pression sur ses poignets, le contact chaud et familier des sangles.
Ludovic inspira plus profondément, fermant les yeux une seconde pour chasser le malaise qui commençait à revenir. Ne pas y penser, ne pas y penser. Il suffisait de ne pas y penser. L'échevelé inspira encore, profondément. Sentir l'air glisser dans ses poumons, la fraicheur parcourir son corps. Il inspira à fond, expira, laissant filer un épais nuage de buée. Le maigrichon sentit le froid courir sur sa peau, le guidant en douceur vers ses poignets jusqu'à gonfler la couche épaisse de glace qui enflait dans le tissu de la sangle. Cela faisait un moment maintenant qu'il était réveillé, un moment qu'il faisait la même chose. Rassembler l'humidité ambiante sur ses sangles, refroidir l'eau et la transpiration, glacer, faire enfler la glace, jusqu'à ne plus y tenir, laisser la glace fondre. Recommencer. Agitant les doigts en rythme, tant pour ne pas laisser ses doigts geler que pour entretenir le sort, l'échevelé semblait presque répéter une symphonie du bout des doigts, ses ongles pianotant sur la couverture, son ventre gonflant et vidant ses poumons, ses prunelles glissant le long du plafond, alors que tout le reste de son corps se tenait parfaitement immobile.
Finalement, au prix d'une éternité, Ludovic entendit le cuir de la sangle commencer à craquer. Il interrompit son souffle une seconde, ses doigts se figeant dans les airs. Une seconde, deux ou trois battements de coeurs et l'échevelé fit retomber ses doigts sur la couverture, sentant aussitôt la glace fondre en une petite flaque froide qui se répandit sur ses poignets. Un essai. Ludovic parvint à glisser sa main gauche hors de la sangle, sentant aussitôt une bouffée d'enthousiasme parcourir son corps. Libre ! Sans perdre un instant, le sorcier précipita ses doigts sur l'autre sangle parvenant sans encombre à se débarrasser de l'entrave, elle aussi déjà bien déformée par la glace. L'échevelé se redressa, poursuivant ses gestes en s'attaquant aux sangles à ses pieds. Rien de bien compliqué de ce côté là, il n'eut qu'à les défaire, comme une ceinture. Libre. Ludovic suspendit son geste, les bords de la dernière sangle encore prise dans ses mains alors que ses pieds sentaient de nouveau le contact un peu râpeux mais frais des draps. Libre, vraiment libre. Caressant doucement les draps de ses pieds déchaussés, Ludovic s'interrompit de nouveau en entendant des bruits de frottements dans le lit d'à côté. L'autre s'était réveillé.
Laissant là ses petits plaisirs simples, l'échevelé remit les bas de son pantalon en place, repoussant définitivement les sangles en se redressant sur son lit. S'occupant en constatant les dégâts que l'autre lui avait fait pour lui laisser le temps de se réveiller. Il n'avait plus grande trace des coups, les médicomages ayant rapidement fait leur affaire, c'était à peine s'il gardait une écorchure là où l'autre l'avait tabassé. Sa gorge en revanche, le tiraillait un peu et il était prêt à parier qu'il garderait des traces de strangulation pendant une bonne semaine au moins. Rien de bien grave, rien dont il n'ait pas l'habitude. Ses vêtements en revanche... une véritable calamité ! Il ne lui fallut pas longtemps pour constater que sa chemise était foutue, en bonne partie couverte de sang depuis longtemps séchée. Ludovic claqua de la langue, légèrement agacé, s'interrompant en entendant l'autre l'appeler piteusement dans son demi-éveil. Le français se figea, fixant le dégénéré d'un regard qui n'augurait rien de bon. Il ne savait pas encore, il n'avait pas encore réfléchi à ça, mais il sentait venir cette envie profonde de se venger d'une façon ou d'une autre. Que faire ? Ne rien répondre ? Laisser l'autre croire qu'il était seul ? Lui faire croire qu'il devenait fou ? Lui faire peur ? L'attaquer ? Le tuer ? Cela arrivait après tout, des mauvaises réactions aux sédatifs, des attaques... personne n'aurait pu dire si cela était de sa faute ou pas. Sans compter qu'il avait bien dut venir là pour une raison à la base. Avec un peu de chance il devait déjà avoir une maladie mortelle qui l'emporterait tôt ou tard. Il y avait tellement de possibilités, mais Ludovic n'en choisit aucune, relâchant plutôt son corps sur son lit, s'y allongeant tout à son aise en croisant ses pieds et glissant ses bras derrière sa tête. Tranquille. Ils avaient le temps pour cela de toute façon.
— Non, personne, rétorqua-t-il. Vous avez vraiment beaucoup de chance que je réponde.