Cher Journal,
Je trouve ça particulièrement cliché et ringard de commencer ça par "cher journal". Et je trouve ça encore plus cliché et ringard d'écrire que c'est cliché et ringard. Mais bon, vu qu'au fond, je ne suis qu'une fille parmi tant d'autres, je vais faire dans le cliché. Je ne sais absolument pas pourquoi j'écris ici, comme toutes les filles qui écrivent dans un journal, je suppose. Mais vu que je n'arrive à parler de ce que je ressens à personne, peut être que le confier au papier me fera du bien. En tout cas, je suis sûre que c'est ce qu'aurait dit mon psychomage, si j'en avais vu un. Mais non, tu comprends, je suis bien trop parfaite pour ça.

Je m'appelle Ange Primrose Sparrow, et j'ai la vie la plus parfaite qu'il soit. C'est bien ça le problème. Voyons voir que je vous explique. Ma mère, Maya Colerman, mariée Sparrow, et mon père, Marcus Sparrow, sont deux personnes fabuleuses qui s'aiment à la folie. Ils se sont rencontrés l'année de leurs vingt ans, ils se sont mariés à vingt et un et ils ne se sont plus jamais quittés. Je suis né trois ans plus tard, fille unique et adorée, et j'ai grandi dans un petit village au nord de l'Angleterre, avec Maman, Papa, et John le chat. Non, j'exagère, il y avait aussi trois ou quatre gosses du village avec qui je m'entendais bien, mais que je n'ai pas revu depuis des années. Bref. Jusqu'à mon entrée à Poudlard, tout allait plutôt bien. J'avais pas vraiment d'amis mais est-ce que j'en avais vraiment besoin ? J'avais mon père, j'avais ma mère, et surtout, j'avais John le chat. Qu'est-ce que je l'aimais, ce matou. Il était moche, il était complètement débile, il était gros et il passait ses journées à manger, dormir et se faire câliner, mais qu'est-ce que je l'aimais. Je crois que de mes sept ans à mes onze ans, il n'a pas quitté une seule fois ma chambre.

Et puis, je suis rentrée à Poudlard. John le chat ne m'a pas accompagné. Il était trop gros, trop vieux, et il aimait trop ma chambre pour la quitter. Toutefois, toutes les semaines, je prenais de ses nouvelles par l'intermédiaire de mes parents, et à chaque vacances, je le couvrais de câlins, de cadeaux et de gourmandises, pour lui faire oublier mes quelques mois d'absences. John le chat, c'était comme ma grosse peluche, mon petit trésor rien qu'à moi, mon ami le plus précieux. Et tandis que John le chat passait ses journées à flemmarder sur mon édredon, moi, je passais une première année plutôt joyeuse à Poudlard. Je faisais la fierté de mes parents et de mes professeurs par mes notes excellentes, et tout le monde m'aimait, grâce à ma gentillesse, grâce à mon sourire, grâce à ma douceur et à ma bouille toute mignonne. Puis la première année se termina. Pendant les vacances, John le chat devint encore plus flemmard que d'habitude. Il ne quittait presque plus mon lit, et il arrivait même qu'il ne mange plus du tout. Mais je ne m'inquiétait pas. John le chat était immortel, il nous enterrerait tous, j'en étais intimement convaincue dans mon esprit de gamine de douze ans.

Sauf que voilà, John le chat n'était pas immortel. Et deux mois après ma rentrée en deuxième année, je reçu une lettre de ma mère m'annonçant que ma grosse peluche était morte pendant la nuit, seule sur mon grand lit. Je pleurais toutes les larmes de mon corps ce jour-là. Et ce fut le début de la fin. Quand j'y repense, John le chat n'a été qu'un prétexte au fond. Ça aurait pu être n'importe quoi. Ce jour-là, alors que je pleurais, pleurais et pleurais encore, mes amies, mes professeurs, tous s'inquiétèrent pour moi. Tous se pressèrent à mes côtés, tous me tendirent des mouchoirs et me prirent dans leurs bras. Mais quand je leur avouais que je pleurais parce que mon vieux et gros chat était mort, tous s'écartaient. Certains riaient, d'autres me regardaient étrangement et tous me disaient "oh, dans ce cas, ce n'est pas si grave". Et pour la première fois de ma vie, je me suis sentie effroyablement seule. Quelques semaines plus tard, alors que je rentrais chez moi pour les vacances, je demandais à ma mère où mon matou avait été enterré, elle me répondit, gênée "enterré ? oh, chérie ... je ... nous n'avons pas jugé nécessaire de ... papa a jeté son corps dans l'étang, derrière la maison." Le corps de John le chat, dans l'étang. Mon pauvre gros matou. Lui qui détestait tant l'eau. A cette annonce, je fondis de nouveau en larmes, et là, ma mère prononça la phrase qui me fit comprendre qu'au fond, justement, personne ne me comprenait : "chérie, ne pleure pas, demain, on t'en achètera un autre, de chat". Je n'ai jamais eu de nouvel animal de compagnie.

Bien sûr, tu dois me trouver bien futile de faire toute une histoire pour la mort de mon chat, quand j'avais douze ans. Mais si c'était que ça. Toute le reste de mon existence n'a servi qu'à me prouver qu'aussi populaire, aussi appréciée que je pouvais l'être, j'étais seule, affreusement et totalement seule. Et peu à peu, au fil de mes années à Poudlard, alors que je devenais l'une des filles les plus brillantes, les plus aimées et les plus convoitées de toute l'école, je me mis à rêver d'autre chose ... Une vie moins lisse, moins parfaite. Une vie où je devrais affronter des épreuves. Parfois perdre. Tu comprends, toi, d'où ça me vient tout ça ? Non bien sûr que tu ne comprends pas, tu n'es qu'un stupide bout de papier, tu ne vis pas, tu ne fais rien de tes journées, à part attendre que quelqu'un vienne recouvrir tes pages d'encre. Mais moi, moi je veux vivre, bordel ! Malgré tout ce que je fais, malgré ces fêtes auxquelles je participe, malgré ces garçons avec qui je couche, malgré ces clopes que je fume et ces verres que je bois, malgré tout ce que je peux faire d'illégal, de malsain ou de dangereux, pour tout le monde et aussi pour moi-même, je reste qu'une sage petite fille, innocente et pure, fragile et douce. Parce que je ne veux pas décevoir mes parents. Parce que depuis toutes ces années, j'ai si bien construit cette image de petite fille modèle qui me suit partout, que je n'arrive plus à m'en débarrasser. Malgré tout ce que je peux faire, je serais toujours la sage Ange. Même mon prénom crie à la pureté et à l’innocence ! Alors je fais bonne figure. Alors je suis polie, aimable, calme, bonne élève, joyeuse, agréable à vivre. Je ris avec mes amis, je souris à tout le monde, mais derrière, au fond de tout ça, je hurle ma frustration, je hurle ma solitude, parce que je veux plus ! Tu comprends, abruti de journal ? Je veux avoir une vie excitante et fabuleuse, comme on le voit dans les livres, ou dans les films moldus. Je veux connaître la peur, je veux connaître la douleur, la vraie. Je veux me sentir vivante, et je n'y arrive pas.

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Il s'appelle Eddard. Il est bizarre, il est effrayant, et tout le monde me dit de me méfier. Mais moi, je me sens totalement attirée par lui. Pas ... Pas physiquement, tu vois ? Enfin, je veux dire, je ne fantasme pas sur lui, je ne rêve pas de lui sauter dessus. Juste ... J'ai l'impression qu'il incarne tout ce que je recherche depuis tant de temps. Il est mon opposé complet et pourtant ... J'ai envie de passer du temps avec lui, j'ai envie de lui raconter tout ce que je vis, et tout ce que je ne vis pas. J'ai envie qu'il me parle à son tour.

Il est si sombre. Si torturé. Il ne m'a encore rien dit, rien de personnel, rien d'important sur lui, et pourtant, je le vois. Je le sens. Il n'est pas comme les autres. Il n'est pas juste un bad boy qui veut se donner un genre, juste un gosse de riches complexé par des problèmes de bourges. Non. Il a souffert. Il a vécu. Il est entouré de mystères et de souffrances, et quand je suis avec lui, j'ai peur. Peur de comment il va réagir, peur de ce qu'il peut me révéler. Et j'aime ça. J'ai l'impression qu'à ses côtés, je peux enfin me libérer. Je peux enfin me sentir vivante. Il me montre la voie à suivre, et bien que tous me croient folles de le fréquenter, moi, je ne peux pas m'arrêter. Il est comme ma drogue, comme s'il m'aidait à tenir. Il apporte enfin un peu de piquant à mon existence si parfaite, si banale.

Tu ne comprends pas, stupide journal. Tu ne peux pas comprendre à quel point ce qui nous lie est fort, et spécial, et inattendu. Je lui ai tout raconté. Tout ce que je n'avais jamais osé dire à personne, je lui ai raconté. Mes complexes. Mes problèmes. Ma première cuite, ma première fois avec un mec. Ce sentiment d'incertitude, d'insatisfaction, de dégout, presque, une fois que ce fut fait. Et surtout, cette solitude intense, et cette perfection que je ne supporte plus. Cette petite vie tranquille qui me donne envie de vomir. Je lui ai tout raconté. La première dispute entre mes parents, qui m'a fait pleuré. Puis les nombreuses autres qui s'en sont suivies, et qui m'ont permis de comprendre qu'aussi fort qu'on puisse aimé une personne, il y a des moments où ça casse. Je lui ai raconté ma plus grande humiliation, mon plus grand bonheur. Je lui ai raconté la première fois que je me suis fait larguée. Je lui ai raconté ma première clope. Je lui ai avoué que je n'avais jamais eu de retenue, et que c'était ce genre de détails pourtant insignifiant que je ne supportais plus. Mon enfance, mon adolescence. Mes rêves. Mon passé, mon présent, mon futur. Il sait tout de moi, absolument tout, et à part Ezra, personne ne me connaît aussi bien au monde que lui, maintenant. Ça me fait peur, cher journal, et bordel, qu'est-ce que c'est bon d'avoir peur.

Il ne m'a encore rien dit de lui. Rien. Nada. Niet. Mais ça va venir, je le sens. J'insiste, et je sais que la prochaine fois, il me dévoilera tout. Je sais aussi que son secret, que ce qu'il va me raconter, ce n'est pas anodin. Ça fait peur. Ce ne sera même pas comparable à mes petits problèmes de filles. Alors je me prépare. Je me prépare pour qu'au moment venu, je reste à ses côtés. Toujours.