This one moment when you know you're not a sad story.
Verset I : Préquelle ; Les Origines
La famille Hopkins avait toujours été une famille de sorciers respectable. Ils n'étaient pas purs, mais le dernier sang non magique ayant joint l'arbre généalogique l'avait été huit générations plus tôt. Ils n'étaient pas riches, mais ils avaient toujours vécu confortablement. Ils n'étaient pas de grands inventeurs aux idées révolutionnaires, mais ils avaient réussi à se faire reconnaître pour leur gentillesse et leur amabilité auprès de leurs pairs à travers divers gestes simples mais toujours appréciés. C’était une famille qui vivait de ce que lui donnait la terre, ou de quelques métiers toujours très honnêtes. Le plus haut gradé des Hopkins avait fini professeur en école primaire. Ça avait d’ailleurs été un très grand événement.
La famille Lee était à la recherche d'un mariage qui pourrait redorer leur image, et pardonner leur soudaine richesse. Leur famille était l'une de ces familles sorcière comme l'on en trouvait par dizaines. Ils n'avaient rien de particulier pour les rendre plus important que les autres. Hormis peut-être cette soudaine augmentation de biens, gallions, villas et autres œuvres d'art. La Seconde Guerre Mondiale, comme toutes les guerres moldues, avait servi à cacher aux yeux des non-sorciers, une guerre magique. Ce qu'avaient fait les Lee durant ces années n'a jamais été nommé. Personne n'a jamais ne serait-ce que prononcé du bout des lèvres un début d'accusation. C'était un secret. Un tabou. Et, comme tous les secrets tabous, tout le monde le savait. En Corée du Sud, le nom « Lee », bien que très usité, provoquait des haussements de sourcils ou des petites exclamations étouffées. Si vous vous appeliez Lee, on vous demandait maintenant si vous étiez affilié avec « Ces Lee là, vous savez, ceux qui ont… Vous savez bien ! ». L'expatriation des Lee en Angleterre n'avait dès lors plus rien de bien surprenant. Seule était restée en Corée la génération des arrière-grands-parents de la jeune fille dont l'histoire est, je vous l'assure, bien plus importante encore. Ils étaient probablement les seuls qui pouvaient être fiers de cette histoire.
Minah Lee était arrivée à Londres à l'âge béni de dix ans, avec des parents encore soucieux de faire leur preuves et de racheter leur image et la richesse familiale ternies par leur passé. Elle entra à Poudlard comme tous les sorciers et sorcières du pays, et y effectua une scolarité relativement banale, bien que rejetée du cercle de l'aristocratie anglaise, non pas à cause de son manque de richesse mais de son sang trop peu bleu. Ce fut sans aucun doute ce qui déclenchera chez elle un tel besoin de reconnaissance auprès de cette classe sociale. La jeune fille fit la rencontre d'un certain Henry Hopkins lorsque ce dernier, épris d'elle comme d'une vélane, lui demanda de l'accompagner au Bal de Noël. Il était alors un jeune homme charmant mais sans grande ambition. Elle accepta plus par défaut que par réelle envie et, finalement, après le Bal et une cour des plus enflammée et tenace, le jeune Henry réussit à obtenir le cœur de sa bien-aimée.
Il était sans doute aucun, ce qui était arrivé de mieux à la famille Lee depuis leur soudaine poussée de richesse. Il était d'une blancheur grisonnante qui tranchait avec la noirceur profonde des ancêtres coréens de la sud-coréenne. Il était aussi tout ce que recherchait Minah et, malgré tout ce qu'elle pourrait dire plus tard, lors de leurs disputes et autres désaccords, elle en était tombée follement amoureuse. Tellement follement amoureuse qu’elle accepta et la demande en mariage, et de s’installer dans une campagne aux airs de fin du monde du Northumberland nommée Falstone. Ils décidèrent de nommer ces terres qu’ils avaient acheté, Shindo, en souvenir de leurs premières vacances en couple qu’ils avaient été passer dans la contrée d’origine de Minah. Ce n’était pas le grand luxe dont elle avait rêvé, mais c’était un lieu qu’elle allait pouvoir rendre douillet et chaleureux, à l’inverse de ce qu’elle avait vécu plus jeune. Et malgré tout ce qu’elle pouvait trouver comme défaut à l’endroit, elle s’imaginait déjà parfaitement les cris des enfants, qu’elle voulait nombreux, lorsqu’ils joueraient dans le jardin.
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Verset II : Une Famille, Deux Générations, Une Fratrie
Ephyra vit le jour un six décembre, alors que le soleil commençait à poindre. Il avait neigé tôt, cette année-là, et ses parents se souviennent encore parfaitement du givre qui avait recouvert les vitres lorsque Henry, nouveau papa, avait ouvert la fenêtre pour crier sa joie. Une fille. Une première fille. Non pas qu’il attendait avec impatience une progéniture à habiller en rose, mais il appréciait l’idée des changements à venir. Christobald, leur premier fils, était à cette époque âgé de sept ans. Il était voué à de grandes choses, ou c’était du moins ce qui se murmurait chez les oncles et les tantes. Les jumeaux, Andrew et Alexander, étaient âgés de cinq ans. Un âge particulièrement pénible. Ils prenaient plaisir à rendre leur mère folle, mais, assez étrangement, respectaient déjà leur père. Minah aimait dans ces cas-là, faire appel au complexe d’Œdipe, prédisant déjà lorsqu’ils se retourneraient contre leur géniteur. Et enfin, Maximilien avait trois ans. Trop petit pour comprendre ce qu’« avoir une sœur » voulait dire, mais bien assez grand pour ne pas apprécier l’idée de ne plus avoir cent pour cent de ses jouets pour lui. Comme le voulait la tradition familiale, Ephyra reçut un prénom coréen qui fut placé en prénom secondaire, « histoire de conserver tes racines », disait sa mère, « histoire d’asseoir le pouvoir de tes arrière-grands-parents », chuchotait son père.
Une des premières choses qu’apprit la jeune fille dans sa courte vie fut de rester silencieuse. C’était le seul moyen pour éviter d’être prise pour cible par les jumeaux, et donc, par sa mère. En fait, concrètement, ce qu’elle comprit rapidement, c’était d’éviter Andrew et Alexander. Ils avaient beau être adorables, gentils, et parfaitement bien éduqués – quand ils en avaient envie tout du moins – ils restaient de véritables petites pestes, chercheurs d’embrouilles. Ne pas être avec eux lorsqu’un incident se produisait, c’était se procurer un alibi en cuir de dragon – et pas de la sous-marque. Maximilien, le plus jeune après elle, s’était finalement bien adapté à sa nouvelle position. Il restait le dernier garçon, et c’était sans doute ce qui lui plaisait le plus. Prenant son rôle de protecteur très au sérieux, il sortait en permanence Ephyra de ses faux-pas, et n’hésitait pas à utiliser de toute son habileté pour se venger des jumeaux. Ce n’était pas pour rien que le Choixpeau l’avait envoyé à Serpentard, après tout. Mais malgré cela, l’aîné, Christobald – qu’elle appela pendant plusieurs années « Kitobad » tout en étant persuadée qu’il s’agissait là de son vrai prénom – était sans aucun doute celui dont elle était le plus proche. Il acceptait ses silences là où les autres se contentaient de les tolérer. Il acceptait de s’asseoir par terre, à ses côtés, pour jouer à la dinette. Faisant la conversation tout seul, il s’installait et prenait la tasse de faux-thé qu’elle lui tendait. Sans dire un mot, elle finissait par lui sourire. Leurs caractères étaient dissemblables, et c’était sûrement pour cela qu’ils passaient tant de temps ensemble.
Les départs pour la rentrée des classes étaient toujours un moment difficile pour Ephyra qui voyait partir, jeune qu’elle était, son frère préféré loin d’elle. Elle repartait donc dans sa petite monotonie d’esquive et de cachette afin d’éviter les deux tornades ambulantes qu’étaient Andrew et Alexander. Lorsqu’elle fut âgée de cinq ans, arriva à la maison Berkeley, son premier – et unique – petit frère. Christobald lui en avait beaucoup parlé alors que la naissance n’était prévue que quelques mois plus tard. Avec le recul, peut-être avait-il craint qu’elle ne se renferme plus encore en remarquant qu’elle n’était plus le centre de l’attention. Il voyait beaucoup de choses, Kitobad. Il voyait toujours beaucoup de choses. Et le plus souvent avant les autres. La rentrée suivante emportant les jumeaux à Poudlard, et le calme s’installa enfin à Shindo. Maximilien devint celui qui passa le plus de temps avec Ephyra, au même titre que Gusgus, le chat sauvage qui s’était installé dans la grange. La jeune fille ne parlait pas spécialement plus, mais ne se cachait plus, le danger ayant été écarté. Berkeley pleurait beaucoup, et cela ne lui donnait pas spécialement envie d’entrer en compétition de décibels avec un bébé de quelques mois. Durant les vacances suivantes, la petite avait six ans, et à nouveau Christobald eut une discussion avec elle. Quelques mois plus tard, Elvira était là. Leur famille était enfin au grand complet.
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Verset III : Où Les Braises Du Passé Se Ravivent
Angleterre, Northumberland, Falstone, Shindo ; 1969, 2nd Juillet.
Ephyra était alors âgée de huit ans, et assistait, impuissante, à ce qui aurait pu passer pour l’un de ces films au scénario bancal, et aux acteurs devenu professionnel dans la sur-dramatisation et le jeu surfait. Le silence qui la caractérisait fut probablement pour la première fois ce qui la rendit témoin de ces scènes. Elle n’aurait jamais dû les voir. Elle aurait dû, comme ses frères et sa petite sœur, être totalement aveugle à ce qui se trama cet été là. Mais pour se protéger des jumeaux, elle avait fini par s’exposer à tous les maux. Si quelqu’un le lui avait alors expliqué, aurait-elle changé ? Se serait-elle, du haut de ses quelques années, mise à parler, faire du bruit sans nécessité, juste pour affirmer sa présence et ne pas avoir à oublier ? Toujours était-il qu’elle se trouvait là, accroupie dans la cuisine, silencieuse comme une nonne, caressant Gusgus, le chat sauvage, qui avait finalement migré de la grange à la maison – l’hiver était passé par là, et, lorsque du choix du luxe s’offre à vous, vous n’avez aucune raison de refuser – lorsqu’un hibou arriva. C’était l’un de ces TLD Hiboux. Très Longue Distance. Ephyra n’en avait jamais vu. Il était beau, brillait presque malgré son vol. Mais l’arrêt des ronrons de Gusgus récupéra son attention. Elle entendit vaguement sa mère retenir un hoquet de surprise, mais ne s’y attarda pas. Elle ne vit pas une pâleur sans nom s’emparer du visage de sa génitrice. Pas plus qu’elle ne vit ses mains trembler lorsqu’elle ouvrit l’enveloppe, ou son corps s’affaisser sur l’une des chaises à la lecture de la missive. Elle ne vit rien, non. Par contre, lorsque son père arriva, elle entendit tout.
« Minah ? Il y a un problème ? Tu m’as l’air bien pâle. Tu es malade ?
- Non. Tiens, lis.
- Minah, tu sais parfaitement que je ne sais pas lire cette langue.
- Ah oui, pardon…
- Tu es sûre que ça va ?
- Ils veulent prendre Christobald. »
Ephyra était une habituée de ce genre de scène. Elle était habituée à être transparente aux yeux même de ses parents. Elle avait très vite décidé de n’écouter que d’une oreille ce qui se disait. Après tout, cela ne la regardait jamais vraiment. Elle continuait ce qu’elle était en train de faire, et elle laissait les autres, les grandes personnes, parler. Mais à la mention de Christobald, elle releva soudainement la tête. Kitobal. Son frère bien aimé. Qui donc voulait le lui prendre ? Son attention se fit plus accrue, alors que son père lâchait un « Quoi » sonore.
« Je te l’avais expliqué, il y a des années déjà, pour notre famille. Son histoire. Tout ce qui nous entoure. Les raisons de son expatriation. Je te l’avais dit, tu te rappelles ?
- Je ne vois pas ce que ça a m’apporte de savoir ça. Ils n’ont pas le droit ! C’est notre fils !
- Ils ont le droit. Ils n’ont pas d’autres héritiers fils. Ils sont descendus jusqu’à nous pour avoir un fils. Et ils le veulent maintenant.
- Tu ne peux pas envisager de les écouter ! Par Merlin, Minah !
- Je sais ! Tu crois que cela me plait ? Tu crois qu’être séparée de mon fils de seize ans me réjouit ! Ils ne nous laisseront pas le choix Henry ! Ils ont le droit… Ils ne nous laisseront pas le choix… »
Ce fut la première fois qu’Ephyra vit sa mère afficher un air aussi défaitiste. Elle toujours aussi sûre d’elle et combative venait de perdre face à une lettre. Un simple bout de papier. Alors que ses parents étaient enlacés, la jeune fille quitta la cuisine avec toute la discrétion qui la caractérisait. Elle n’était pas sûre de comprendre ce qui se déroulait. Mais elle savait que les prochaines semaines s’annonçaient difficiles.
Angleterre, Northumberland, Falstone, Shindo ; 1969, 3th Août.
Rien n'avait changé. Tout était pareil. Comme si la scène qu'elle avait entendu dans la cuisine n'avait jamais eu lieu. Comme si tout ça n'avait été que le fruit de son imagination trop fertile d'enfant. Ses parents avaient vraisemblablement trouvé une solution. Ils avaient du parler avec ces gens qui envoyaient des Hiboux Très Longue Distance pour prendre les frères préférés des jeunes filles. Les parents étaient fait pour avoir des pouvoirs et des capacités que les enfants n'avaient pas. Ainsi était-elle là, à lire silencieusement alors que son Christobald était en train de jouer du violon, seule chose qui l'empêchait de parler à tout va. Tout était parfait. Tout était calme.
« Ephyra, il faut que nous parlions. »
Le violon s'était arrêté. Elle ne le savait pas encore, mais dés cet instant, le son du violon lui donnerait un sentiment mélangeant habilement mélancolie, nostalgie et tristesse tellement puissant qu'elle en aurait des nausées violentes. Les harmonies si doucereuses de cet instrument sacré n'auraient plus jamais le même effet chez elle, et ce, sans qu'elle ne parvienne jamais à comprendre pourquoi. L'appel par son prénom complet la prit par surprise. Christobald était de ceux qui ne l'appelait jamais autrement qu'Era. Elle leva vers lui un regard qui exprimait sans doute son trouble.
« Je voudrais que tu me fasses une promesse. C'est très important Ephyra. Extrêmement important. Promets-moi que si un jour, nous sommes séparés, tu ne te renfermeras pas plus. J’ai besoin que tu me le dises. J’ai besoin que tu me le promettes. Même si nous sommes un jour séparés, que je ne puisse plus te voir, ou t’écrire, il faut que tu continues à vivre et à sourire Era, il le faut. »
Le violon était désormais oublié, posé à même le sol. Le livre faisait partie du passé, tombé sur le tapis lorsque Christobald l'avait attrapé par les épaules pour forcer la rencontre de leurs regards. Choc. Détresse. Trouble. Incompréhension. Toutes ces émotions étaient visibles sur son visage. Elle n'avait jamais fait face à cet homme. Ce n'était pas Kitobad. Ce n'était pas son frère. Sans aucun doute une personne d'apparence similaire. Mais certainement pas son si doux et si aimé frère.
« Je te fais peur. Je suis en train de t'effrayer là hein... Era... C'est très compliqué, mais j'ai besoin de savoir que tu feras tout pour être heureuse. Que tu feras tout pour sourire. Que tu souriras d’un rien, que tu riras de tout. »
Cela semblait si important pour lui qu'Ephyra jura. Du bout des lèvres. Juste du bout des lèvres, mais elle jura tout de même. Elle n'était pas sûre de comprendre. Ça lui arrivait parfois quand Christobald lui parlait. Ils avaient tout de même sept ans de différence après tout. Elle se disait qu'il lui expliquerait tout cela bien mieux plus tard, comme toujours. Son aîné hocha la tête, soulagé, puis il reprit son violon et joua un nouveau morceau. Comme si de rien n'était. La jeune fille se contenta de le regarder, incapable de reprendre sa lecture alors que son trouble était encore si récent. Un mouvement en vision périphérique attira son regard. Juste à temps pour apercevoir sa mère qui quitta la pièce d'un pas lourd. Étaient-ce des larmes qu'elle eut cru remarquer dans ses yeux ?
Angleterre, Northumberland, Falstone, Shindo ; 1969, 18th Août.
A plusieurs reprises, lorsqu’ils étaient seuls, Christobald le lui avait répété. « Si nous sommes séparés, tu devras sourire et rire. Je ne veux pas que tu pleures. Souviens-toi Era, tu m’as promis. ». Ainsi, lorsqu’ils allèrent tous ensemble au Chemin de Traverse pour faire les courses de rentrée pour les garçons, lorsqu’Ephyra avait perdu de vue son frère aîné, elle n’avait pas paniqué. Elle n’avait pas pleuré. Elle avait eu, en un premier temps, une moue triste, avant de se remémorer sa promesse, et elle s’était mise à sourire. Lorsque Christobald était réapparu, elle s’était jetée à son bras, manifestement fière d’elle. Lui en revanche, n’était pas sûr d’avoir parfaitement compris. Mais comme toujours, il avait ri aux réactions parfois incongrues de sa petite sœur. Cependant, ce jour-là, le jeu n’était plus de mise. La jeune fille s’en rendit compte dès lors qu’elle mit le pied dehors. Un climat de tension était palpable, et cela, même pour elle. Deux grandes personnes inconnues étaient présentes, se tenant face à ses parents. Il lui fallu quelques secondes supplémentaires pour remarquer que son frère aîné était là, entre ses parents. Tous les adultes avaient leur baguette sortie, et un silence presque solennel s’était installé.
« Nous vous avions prévenus que nous viendrons le chercher aujourd’hui. Laissez-le partir. Il a un rôle à tenir. Je pensais que tu étais assez censée pour comprendre cela, Minah.
- Je ne peux pas vous laissez prendre mon fils. »
Les rayons lumineux qui percèrent dans le jardin donnaient un air de fête nationale. Totalement figée, Ephyra observait sans vraiment saisir le danger ou l’importance de ce qui se jouait devant ses yeux. Quelque chose explosa non loin d’elle, et le sursaut qui la prit lui rendit l’usage de ses jambes. Elle se précipita sous la table de jardin et attendit, les mains sur les oreilles, que l’orage ne passe. « Ce n’est qu’un orage. Ce n’est qu’un orage. Ce n’est qu’un orage. ». Les bruits cessèrent, et enfin, lentement, elle releva la tête. Devant elle, encadré par les deux inconnus, Christobald quitta Shindo. Elle se leva brusquement, cherchant à courir vers son frère, mais elle fut bientôt retenue par son père. Ce cher Henry qui ne cessa, des semaines durant, d’entendre les hurlements de sa fille résonner dans sa boite crânienne. « Kitobad ! Kitobad ! Kitobad ! ».
Ce fut la dernière fois qu’Ephyra ne vit Kitobad.
Ce fut la dernière fois qu’elle prononça son nom.
Ce fut la dernière fois que sa mémoire lui rappelait cet être.
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Verset IV : Changer ; Pour Le Meilleur Et Pour Le Pire
Centre Hospitalier de Sainte-Mangouste
Dossier Médical N°843-BSU-3
Nom du patient :
Ephyra Seohyun HOPKINSÂge :
8 ans[…]
Notes : Choc à la tête causé par la chute due à son évanouissement ayant engendré une amnésie post-traumatique. La patiente ne se rappelle plus de l’existence de son frère aîné, ni d’une période équivalente à cinq minutes (plus ou moins deux minutes) antérieure à sa perte de conscience. Garanties d’un retour de mémoire : aucune. Rendez-vous réguliers avec un Pédo-Médicomage conseillés. A surveiller.
Cabinet du D. Harvey Denis
Dossier Médical N°BA-13
Nom du patient :
Ephyra Seohyun HOPKINSÂge :
8 ans[…]
Conclusions après première consultation : Ephyra souffre d’amnésie post-traumatique et semble donner des signes de distorsion de la personnalité. Elle n’a pas dit un mot durant la première partie de la consultation, puis, après une demi-heure à jouer en silence, s’est mise à parler sans s’arrêter, à sourire et rire sans raison apparente. A surveiller.
[…]
Conclusions après deux mois d’observation : En deux mois, Ephyra n’a donné aucun signe permettant de laisser imaginer qu’elle retrouvera un jour le souvenir de son frère aîné – seul souvenir effacé d’après les tests effectués après un mois de consultations. Sa personnalité est stable. Les signes avant-coureurs d’une distorsion de la personnalité n’étaient sans aucun doute que des conséquences collatérales au choc dû à sa chute. Espacer les séances devrait permettre de vérifier l’évolution d’Ephyra.
[…]
Conclusions après quatre mois d’observation : Ephyra semble être parfaitement saine et stable. Bien que surprenant, son changement de personnalité ne représente pas un obstacle ni à son intégration sociale auprès des enfants de son âge, ni à sa compréhension des règles sociales. Le suivi psychiatrique n’a plus de raison d’être. A surveiller tout de même : tout retour de mémoire, ou nouveau changement de personnalité.
L’existence de Christobald n’avait pas disparu uniquement dans la mémoire d’Ephyra. A Shindo, aucune photo, aucun bibelot, aucun objet ne rappelait son passage entre ces murs. Son prénom était honni, et même les jumeaux prenaient part à cet oubli familial. Aussi pitoyable que cela pouvait paraître, Henry et Minah s’étaient persuadés que rayer leur aîné de leur vie, faciliterait à tous et toutes la douleur de la séparation. Berkeley et Elvira étaient de tout manière trop jeunes pour s’en émouvoir – le jeune homme ne serait bientôt qu’une ombre sans visage dans leur esprit – les jumeaux et Maximilien n’ayant pas assisté au départ du Serdaigle vers d’autres contrés avaient pris pour paroles bibliques la version qu’ils avaient entendu de leurs géniteurs. Il était parti de lui-même. Il les avait abandonnés. C’était plus simple. Bien plus simple que d’avouer à leurs plus jeunes qu’ils avaient échoué dans leur rôle de protecteurs. Plus facile que même la loi serait contre eux et que l'injustice était loi chez les Lee.
Plus jamais on n’entendit de violon à Shindo.
En revanche, on entendit bientôt un rire que l’on avait jusque là que peu entendu. Celui de cette chère Ephyra. Sans vraiment savoir pourquoi, ni comment, tous voyaient en ce changement celui d’un renouveau. Elle était celle qui permettait aux autres de passer à autre chose. Elle n’avait jamais été aussi rayonnante que depuis ce dix-huit août. Minah avait un petit peu de mal avec cette nouvelle fille – parce que oui, elle avait l’impression d’avoir enfanté une nouvelle fois. Elle ne savait pas vraiment comment la gérer, comment réagir à chacune de ses actions. Elle devait réapprendre à cohabiter avec Ephyra. Et c’était assez difficile tant le changement qui avait eu lieu était radical.
Le silence qui entourait en permanence la jeune fille n’existait plus. Il y avait toujours un bruit qui l’accompagnait. Cela pouvait être un chant, le choc de ses pieds contre le sol, le claquement de sa langue contre son palais… La liste était longue. Alors qu’elle passait souvent inaperçue, on ne pouvait à présent que se rendre compte de sa présence. Lorsqu’Ephyra était là, le silence n’y était plus. Cela pouvait même s’avérer fatiguant. Andrew et Alexander devinrent ses partenaires de jeu préférés, au même titre que Berkeley. Tout se déroulait comme si la petite fille vivait ses premières années à nouveau. Aussi fraiche et innocente qu’une rose. Le carcan dans lequel elle s’était elle-même enfermée plus jeune, avait implosé. Elle était devenue celle que Christobald aurait voulu qu’elle soit. Et ce, sans même le savoir vraiment.
Tell me who you really are.