◘ Le vent soufflait ce soir-là, la pluie battait violement sur les fenêtres et pourtant personne n’entendait rien, les cris perçant du nouveau-né recouvrant tout le bruit. Alexandra souriait, jeune mariée et encore plus récemment maman, elle souriait sous le regard de son aimant mari, Sweeney O’Neary. C’était une fille, Sionann avaient-ils alors tous les deux convenus, un nom aux consonances suffisamment Irlandaise à leurs goûts. Le dix-huit novembre de l’année mille neuf cent soixante avait vu naître Sionann Hazel O’Neary, et rien au monde n’aurait pu enlever le bonheur des deux parents à cet instant. Surtout après tous les problèmes qu’avaient pu traverser le couple. Alexandra étant une sorcière bien que non pratiquante, le jeune homme avait très mal digéré la nouvelle lorsqu’il l’avait appris, et elle-même avait attendu un long moment avant de le lui avouer, non sans difficulté d’ailleurs. Ce n’était après tout pas tous les jours qu’elle le disait à quelqu’un, encore moins à l’homme qu’elle aimait. Mais ils l’avaient surmontés, la jeune femme lui ayant promis de ne faire usage de la magie que lorsque la situation ne le lui permettrait pas autrement. Elle avait préféré renoncé à son don plutôt que de le perdre lui, elle n’en voulait plus elle-même, elle désirait juste une vie normale en dehors de tout ce qui touchait à la magie. Et elle lui avait promis, elle lui avait promis que jamais celle-ci ne se mettrait en travers de leur vie, coupant même tout lien avec sa propre famille. Et lui, il avait fait un effort, faisant abstraction de l’anormalité de sa compagne parce qu’il l’aimait. Parce que oui, venant d’une famille relativement croyante, il voyait cela d’un mauvais œil. Ce n’était pas naturel.

Sionann était quant à elle devenue une enfant pleine de vie, elle apprenait vite, comblait ses parents de joies. Un peu fatiguante de par son agitation constante, mais pas pour autant méchante ou insupportable, elle semblait tout ce qu’il y a de plus normal comme enfant. Et deux ans après sa naissance, ce fut une tête blonde qui pointa le bout de son nez, Mebd. Cette dernière redonna le sourire à la famille qui traversait une mauvaise passe face à la perte d’emploi de Sweeney, emploi qui fut bien vite retrouvé à leur plus grand soulagement. Bientôt la fillette devrait rejoindre l’école primaire, autant dire que cette perspective l’angoissait assez, n’étant pas toujours à l’aise avec ses camarades de bac à sable. Et en effet, ce n’était pas en vain puisque dès le départ elle eut du mal à s’intégrer à la vie en société. Trop rêveuse selon les autres, trop bavarde, ou trop intelligente, non décidément elle ne leur plaisait pas. Plus les jours passaient, plus elle craignait d’y mettre les pieds à causes des moqueries, et du jugement des autres. Bien vite, Sionann apprit à se réfugier dans un coin de la cour de récréation avec un livre d’aventure dans les mains, évitant et ignorant du mieux qu’elle pouvait le reste des enfants. Et elle a continué comme ça pendant longtemps, vraiment longtemps, d’ailleurs elle n’a jamais vraiment arrêté. Puis elle rentrait chez elle, sa mère préparant déjà le goûter dans la cuisine. Celle-ci lui faisait alors un baiser sur la joue avant de laisser sa fille monter dans sa chambre, et de s’y enfermer avec sa sœur, pour être sûre que personne ne les dérange pendant l’histoire quotidienne que Sionann racontait à Mebd. Une histoire comme dans ses livres, mettant en scène les amis et les personnages imaginaires que la fillette s’était elle-même crée pour passer le temps, mais aussi pour avoir quelqu’un à qui parler, restant néanmoins consciente qu’elle ne parlait la plupart du temps que dans le vent. Mebd les aimait, ses histoires. Même si, souvent la blondinette demandait où se cachait ses mystérieux amis. Sionann lui répondait qu’ils étaient invisibles et qu’elle était la seule qui pouvait les voir, mais qu’un jour ils se montreraient. C’était faux bien sûr, le jour où ils se montreraient serait le jour où sa petite sœur comprendrait que tout ça n’était que le fruit de l’imagination de son aînée, de toute évidence.


◘ Et puis un beau jour, tout partit en fumée. C’est une étrange façon de qualifier ce que s’est passé, ce n’était après tout pas si terrible, mais cela n’était qu’un début.
Les deux sœurs siégeaient une fois de plus sur leur lit respectif. Mebd écoutait d’une oreille attentive sa sœur conter la suite de son histoire. Et Sionann venait de se saisir d’une règle dans son sac d’école, pour imiter l’épée que le voyageur était censé agiter face aux trois bandits devant lui. Quand soudain, sa sœur l’interrompit d’une façon peu commune. « Mais comment tu les connais ? Tu peux pas les connaitre, si ? » L’ainée eut alors une hésitation, ne sachant plus quelle excuse inventer à sa petite sœur qui s’impatientait. « Je… » Commença-t-elle en reposant la règle sur le sol. « Tu.. ? Ils existent pas hein ? » Souffla-t-elle avec une certaine déception sur le visage. « Tu m’as menti, hein ? J’suis sûre qu’ils existent pas, et que t’es qu’une menteuse, tes histoires aussi elles sont bidons. » Cette fois-ci, elle avait prononcé ses paroles sur un ton accusateur et réprobateur. Elle l’accusait de lui avoir mis des bobards dans la tête, des histoires idiotes et complètement fausses. Mais n’était-ce pas ce qui était bien justement dans les histoires fantastiques, le fait qu’elles ne soient pas réelles ? Sionann avait du mal à comprendre la réaction de sa sœur. « Mebd…Tu les aime quand même mes histoires, pas vrai ? » Cette dernière sauta par terre avant de répliquer sur un ton hautain que non, elle ne les aimait plus parce que ce n’était que des mensonges, et que c’était mal de mentir. Du haut de ses huit ans, la fillette ne comprenait pas pourquoi du jour au lendemain sa sœur se comportait de la sorte et réagissait ainsi, face à quelques choses qu’elle avait toujours adoré. Du moins elle le croyait, et maintenant elle commençait à douter. Et si elle ne s’était fait que des illusions ? Et si sa sœur ne l’écoutait que pour lui faire plaisir ? Et si Mebd était comme les autres, déçue de tout ce que Sionann pouvait faire ou dire ? Et si… Elle secoua la tête et déglutit. Non, ça n’avait pas de sens. « Mais si tu ne les aime pas, pourquoi tu me dis ça seulement maintenant ? » L’ainée baissa la tête, scrutant un moment sa petite sœur qui jouait à présent avec sa poupée. « Je sais pas, mais je les aime plus. Papa il m’a dit que c’était inutile, et surtout que c’était pas vrai ! J’y crois plus maintenant, et tu devrais en faire autant parce que c’est débile. » La cadette saisit alors un livre posé sur l’étagère et sans même regardé la couverture, le jeta par terre. Sionann voulu dire quelque chose, mais rien ne sortait de sa bouche. Un deuxième livre tomba par terre, et elle, avait toujours la bouche ouverte face à l’incompréhension. La colère montait petit à petit en elle. « A..arrête ça tout de suite Mebd ! » Voilà tout ce qu’elle était parvenue à articuler. Peu à peu ses joues virèrent au rouge et, lorsque sa sœur déchira une des pages de son livre sur les créatures marines, c’en fut trop. Derrière elle un verre se brisa, ensuite ce fût le tour du réveil qui tomba par terre en faisant un vacarme alarmant. Sa petite sœur cria et un livre la percuta de pleins fouets. Ainsi que la plupart des bouquins qu’elle avait jetés par terre. Des bruits retentirent dans les escaliers et leur mère martela la porte ferme à clé. « Les filles ? Mebd, Sionann ? » Elle demandait désespérément ce qu’il se passait, l’inquiétude dans sa voix se faisant ressentir. Mais personne ne répondait, Sionann était assise contre le mur, elle pleurait. Sa sœur quant à elle gisait sur le sol, un peu sonné après s’être cogné la tête sur le coin d’une étagère en tombant. Alexandra n’eut d’autre choix que d’utiliser la magie pour pouvoir déverrouiller la porte, et elle les trouva là, toute les deux. Sionann releva la tête vers sa mère et murmura qu’elle était désolée. « Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? » cria alors sa mère en se précipitant vers Mebd. « Je…je sais pas, je me suis énervée et… » La fillette tenta de ravaler ses larmes. « Je sais pas… Les livres ont commencé à voler, mais je l’ai pas fait exprès c’est pas ma faute je…je te jure je l’ai pas fait exprès. » Alexandra déglutit. Jamais elle n’avait ne serait-ce qu’évoqué la magie auprès de ses enfants, persuadée que moins elles en sauraient, mieux ce serait. Et maintenant sa fille…Non ce n’était pas possible, et pourtant elle ne rêvait pas. Au fond d’elle, elle ne savait pas si elle devait se réjouir ou au contraire, prendre mal la nouvelle. Et tout ce qu’elle fut capable de faire, c’est de fondre sur sa fille et la serrer dans ses bras. « Je le sais, je te crois. Et je t’aime. » lui murmura-t-elle avant de retourner s’occuper de sa cadette.

Les jours qui suivirent l’accident, Alexandra expliqua à sa fille sa nature de sorcière et elle lui détailla tout ce qu’elle savait du monde sorcier. Poudlard, le chemin de traverse, sa famille…Sionann bien qu’émerveillée restait sceptique. Ce genre de choses ça ne m’arrive pas à moi, se disait-elle, avant de se souvenir que bien souvent elle s’était faite la réflexion qu’elle n’appartenait pas à ce monde trop terre à terre, fait de gens ennuyants. Mais ce petit nuage, c’était sans compter Sweeney qui avait très mal digéré la nouvelle de ce retour au surnaturel –comme il aimait l’appeler. Il avait toujours craint que les livres que sa fille lisait, provoque une certaine folie en elle et qu’elle développe des capacités à pratiquer la magie. Ajoutez aussi à cela de récents problèmes de boissons. Et le voilà qu’il blâmait sa femme de tout ça, il lui reprochait d’avoir elle aussi mentit, il lui reprochait d’avoir laissé leur fille découvrir ses habilité à la magie, sans savoir que quoi il parlait. Et il continuait, criant qu’à cause d’elle, leur fille n’aurait pas une enfance normale. Il criait, il parlait, il lui reprochait d’être un monstre et d’avoir brisé sa promesse, trahis sa confiance. Alexandra le laissait faire. Mais lorsqu’il leva la main sur elle, c’en fût trop. Trop en une fois, trop à encaissé. Elle se sentait abandonné, et stupide. Sans hésiter, elle prit quelques affaires et dit Sionann et Mebd d’en faire autant, se demandant comment elle avait fait pour vivre avec un homme qui la considérait comme un monstre pendant tant d’année. Pourtant elle l’avait aimé, ça oui. Et maintenant elle devait faire face à un brutal retour à la réalité. En commençant par retourner chez sa sœur, ayant repris contact avec cette dernière depuis maintenant quelque mois. Elle ne voyait de toute façon aucun autre endroit où elle pourrait aller.


◘ Elle était arrivé, mais n’était à peine restée qu’une nuit. Elle avait dit qu’elle reviendrait, qu’elle avait des choses à régler. Et Alexandra était partie en claquant la porte derrière elle, laissant ses deux filles aux soins de leur tante qu’elles venaient tout juste de rencontrer. Tante May aussi avait des pouvoirs, leur avaient-elles dit, elles seraient en sécurité ici. Oui, personne ne viendraient les chercher dans cette endroit qui semblait tant hors du temps et de l’espace. Mais jamais elle n’était revenue, elle avait pourtant promis. Jamais elle n’avait remis les pieds dans cette maison, qui devint à partir de ce jour celle où les deux sœurs vivraient. Celle où Sionann se sentiraient éternellement coupable de ce qui était arrivé à sa famille. Etant persuadé que c’était de sa faute, de la faute de ses pouvoirs que leur père avait pété les plombs et que leur mère les avaient abandonné.

C’en fût définitivement fini de l’école moldu pour Sionann. Quant à Mebd, tante May jugeant que c’était plus sûre pour la petite de rester auprès d’elle au cas où sa magie se manifesterait, ne l’envoya qu’à l’internat moldu lorsqu’elle fut âgée de onze ans et donc eut la certitude qu’elle était cracmol. L’environnement dans lequel elles vivaient était bien différent de l’Irlande, ça on pouvait le dire. Tout était étrange ici, la nourriture, les maisons, les gens, tout… La jeune sorcière cessa de passer son temps enfermée dans sa chambre. Elle alla parfois aider sa tante dans la librairie qu’elle tenait, mais aussi muette qu’inutile lorsqu’elle était confronté à un client, elle préférait parcourir les nombreux ouvrages sorciers que tante May avait en sa possession, dans le but d’en savoir le plus possible sur ce monde qu’elle venait d’intégrer.
Lorsque la lettre pour Poudlard atterrit entre ses mains, un soulagement immense la traversa. Rarement elle n’avait été aussi excitée, la joie lui dévorant les entrailles. Mais un sentiment de tristesse continuait néanmoins à la ronger, elle aurait aimé que sa mère puisse être là, à ses côtés. Surtout après tout ce qu’elle avait pu lui raconter sur ses études dans l’école britannique. Sa tante aussi, lui avait conté un tas d’anecdote, mais ce n’était pas pareil...
Etant née en novembre, l’année qu’elle dut attendre avant de pouvoir intégrer Poudlard fut insupportable. Elle voulait tout acheter tout de suite, y aller maintenant, après tout elle n’avait raté que deux mois. Ce n’était surement pas grand-chose. Tante May dû la calmer, répartissant les achats tout  le long de l’année pour éviter de se ruiner en une fois. La fillette de onze ans ne tenait décidément plus en place. Elle avait tellement hâte de pouvoir enfin rencontrer des enfants comme elle, se disant que de toute évidence la timidité et la gêne qu’elle avait développée à l’école moldu lui passerait rapidement. Point sur lequel elle eût tort. Et s’il y a bien quelque chose que Sionann n’oublia et n’oubliera jamais, c’est lorsque pour la première fois elle a mis un pied dans la grande salle. Quatre longues tables surplombaient la pièce, et elle marchait dans l’allée principale avec les autres. A deux reprises, elle a manqué de se prendre les pieds et de s’étaler. Qu’est-ce qu’elle aurait aimé pouvoir se cacher ou devenir invisible à ce moment-là, lorsqu’un tas de regards curieux scrutaient les nouveaux premières années d’un air amusé, voir même moqueur. Rajoutez à cela l’angoisse de se retrouver face à tout le monde avec un chapeau qui parle sur la tête, dans le but de vous envoyer dans une des quatre maisons de Poudlard. Paniquée, voilà ce qu’elle était. Dans son esprit, ce jour était tellement mieux, en fait. Comme tous c’est qu’elle s’était imaginé, tout était mieux dans sa tête. Oh bien sûre, le monde magique restait parfait à ses yeux, les enchantements qui sortaient de sa baguette tout aussi merveilleux à chaque fois. Mais les gens … les gens étaient les mêmes. Les gens étaient les mêmes partout. C’était probablement ça, sa plus grande déception. Ou alors était-ce elle qui avait un problème ? Au bout de compte, elle admis que la deuxième possibilité était probablement la bonne. En fait, ça sonnait comme une évidence que le problème venait d’elle. Mais faire autrement…Sionann n’y arrivait tout simplement pas, se fondre dans la masse restait l’éventualité la plus facile dans son esprit.


◘ Pendant les vacances, généralement elle rentrait chez elle, impatiente de revoir sa sœur même si toutes les deux étaient devenues comme des étrangères l’une pour l’autre. Mebd lui avait même dit que si elle n’avait pas été là, tout aurait été bien mieux, qu’elle avait tout gâché pour en rajouter à la culpabilité qu’elle ressentait déjà. Mais Sionann n’arrivait pas à haïr sa sœur, et ce malgré des nombreuses raisons que cette dernière lui avait donné de le faire. Et puis il y avait eu Belize, cette terrible nuit où beaucoup d’entre eux ont péri. La brune n’avait jamais réellement eu d’avis par rapport à la guerre qui se profilait. Maintenant, elle a beau savoir de quel côté de la barrière elle se trouve, elle continue de se poser un million de questions à propos de ce qu’elle pourrait faire ou non. Elle a envisagé d’entrer dans l’ordre mais…En quoi serait-elle utile ? Ce n’est pas une grande sorcière ou quelqu’un bourré de talent, c’est juste une grosse tête, rien de plus. Igor lui répète pourtant souvent que dans l’ordre ils ont aussi besoin de grosse tête, mais elle ne veut rien entendre, persuadée de que toute façon elle continuerait de faire le pot de fleur qui passe inaperçu dans le décor. Que comme à chaque fois, les gens finiront par être déçu.