La chute d’une poursuiveuse n’entrave rien au jeu et, dans les hurlements des élèves venus supporter leurs équipes, le ballet aérien continu comme si de rien n’était. Le commentateur rappelle les scores et c’est avec amertume que Jill se rend compte qu’ils ont encore 30 points de retard. Essuyant son visage ruisselant de pluie elle se concentre sur le gardien à une vingtaine de mètres de là. La balle s’apprête à être remise en jeu. Malgré la tournure des évènements, Gryffondor vient de prendre l’avantage grâce à une équipe au complet sur le terrain. C’est le moment. Elle fonce sur le premier poursuiveur qui attrape le souaffle, n’hésitant pas à lui couper sa trajectoire. Forcé de dévier il tombe droit dans le piège que lui tendent ses co-équipières. Une balle de récupérée, quelques slaloms, un tir raté qui rebondit avec violence sur l’anneau ; le soaffle échappe au gardien et dégringole de 10 mètres, libéré un instant du joug de ses oppresseurs. Les yeux des spectateurs suivent la chute jusqu’à ce qu’une silhouette frêle mais bien décidée s’en empare. Profitant qu’un des deux poursuiveurs adverses échappe de peu à un cognard sifflant droit sur lui, la sorcière vise le cercle le plus bas, exempt de défense. Un rugissement féroce s’élève des tribunes rouges et ors alors qu’il s’enfonce sans résistance aucune. Premier point de son fait. Trempée jusqu’au os elle brandit le poing, savourant sa maigre victoire pour une brève seconde avant de totalement se concentrer à nouveau. Ne rien lâcher.

Jamais elle n’avait joué par un tel temps. Même l’entraînement qu’elle avait allègrement qualifié de « Quidditch-natation » de la semaine dernière n’était rien comparé à ça. Les vents se déchaînaient, emportant avec lui parapluies, écharpes et bonnets aux couleurs diverses. La foudre se faisait entendre avec fracas au dessus de leurs têtes et couvrait les quelques mots que les joueurs essayaient vainement de faire entendre. Mais le pire restait la pluie. Ses protections en cuir comme ses mains dégoulinaient d’eau froide et diminuait sa préhension sur la balle. Le souaffle menaçait de s’échapper si souvent qu’il fallait se résoudre à complètement le bloquer contre soi, tout en essayant bien entendu de minimiser la surface de cette boule ronde et glissante que l’on offrait aux adversaires. Les cognards semblaient sortir tout droit des nuages, profitant d’une couverture sombre pour se fondre dans les couleurs du paysage mais le pire restait le vif d’or. Bien qu’elle avait fort à faire Jill jetait souvent un coup d’œil au hasard, espérant repérer cette petite bille brillante et l’indiquer à son attrapeur. L’idée même de devoir chercher pendant des heures la rendait folle et elle n’était que trop contente d’avoir pu accéder au poste de poursuiveuse. La vitesse, les réflexes, les décisions rapides, tout cela lui convenait parfaitement. De plus elle n’était pas seule et pouvait compter sur l’aide de ses deux co-équipières pour envoyer le plus de soaffles possible entre ces anneaux qui semblaient défier la nature par leur immobilisme.

Jill avait toujours voué une grande passion au Quidditch. Depuis ses premiers vols sur un balai jusqu’à ce match précis. Son premier dans l’équipe. Elle avait mis des heures à s’endormir, bercée par la tempête qui grondait déjà, pensant et repensant aux joueurs d’en face. A leurs techniques. Aux siennes. A combien de buts allait-elle réussir à marquer, au caractère décisif de ses passes. A se répéter inlassablement les mouvements pour échapper à un adversaire un peu trop collant. A voir et revoir ces mêmes adversaires, redoutables pour certains en sport magique, qu’elle allait devoir affronter le lendemain et qu’elle connaissait pour les avoir vu s’entraîner des dizaines et des dizaines de fois. Jill n’avait jamais été particulièrement tendre avec les autres aussi n’avait-elle pas peur de mettre toutes les ressources dont elle disposait pour s’assurer de leur victoire. En revanche, l’aspect qui fait que le Quidditch ne comporte quasi aucune règle lui fichait clairement la frousse. Pour la première fois. La jeune sorcière s’était déjà blessée en entraînement, en jouant chez elle et à certains matches plus amicaux. Cela faisait partie intégrante du jeu ce n’était pas grave. En revanche le jeu du lendemain semblait beaucoup moins ludique que ce que le Quidditch lui avait toujours apparu. Se blesser signifiait lourdement handicaper son équipe puisqu’il n’y avait aucun remplaçant, ce qui se traduisait quasi systématiquement par des points de retard pour sa Maison. Inacceptable. L’idée même de se ridiculiser plus ou moins devant l’école entière ne lui faisait ni chaud ni froid. Jill n’avait jamais prêté attention aux dires des autres. Mais hautement se décevoir ; ça, jamais.

Plus concentrée que jamais elle filait donc dans le ciel, zigzaguant parmi les joueurs, attrapant et lançant cette boule de cuir rouge qui constituait tout son monde. L’adrénaline saturait tellement son organisme qu’elle ne ressentait plus la fierté, le stress et l’excitation du début de match, ni la douleur qu’un cognard avait causé en heurtant son tibia. Rien ne l’intéressait omis ces anneaux dorées qui projetaient leur ombre fantomatique sur le terrain et ces balais qui, parsemés à travers, lui bloquaient la route.