Il est trop doux, Eleonore. Il est sage comme une fillette et rêveur comme un illuminé. Il rit à tout ce qu'on lui dit, et il sourit à la vie comme si elle était belle. Tu ne comprends donc pas ? Il est faible, Eleonore, comme un nourrisson alors qu'il a passé l'âge de raison. S'il ne grandit pas, il deviendra notre poison.

Ces mots t'avaient paru tellement grands et forts, dans la bouche mauve de ton père géant. Tu t'étais demandé s'il pouvait te reprocher d'être heureux et ça t'avait filé la chair de poule. T'avais presque eu envie de t'excuser, de demander pardon à genoux, de promettre de devenir meilleur ou bien mauvais, tout ce qu'il voulait, peu importait. Tu avais voulu dire au revoir à ton monde de candeur et d'innocence, à tes mots trop doux, à tes idées trop bleus. Tu avais voulu brûler tout ce qui te rendait faible et les larmes carmins de ton enfance déchue roulaient déjà sur tes pommettes d'angelot. Regarde comme il est blond ; à se demander s'il est un vrai Black. A se demander s'il est vraiment mon fils. Les syllabes serpents filaient comme des couteaux se planter dans ta chair porcelaine et il a fallu grandir, joli Némésis. Il a fallu devenir grand et fort, prouver ton hérédité et ta valeur sous la violence d'un entraînement physique de guerrier noir, sous la houppette des idées folles de ton mangemort de père. La race supérieure, la supériorité magique, ton droit au monde servi sur un plateau d'or et d'argent, la suppression de cette vermine moldue du sang sorcier et la haine, et la cruauté servies au repas et au petit-déjeuner. La blondeur candeur de ta mère devint noire sous le regard fier de ton bourreau, sous les larmes dissimulées de la lâcheté maternelle. Pardon, maman, tu as voulu crier. Mais c'est fini maintenant, c'est terminé. Je suis plus un enfant mais j'suis pas un homme non plus ; j'suis une créature démoniaque entre les deux qui cherche sa voix comme un aveugle imbécile, comme une plaie ouverte. Je suis roi, tu voulais lui hurler de tes yeux pâles ; je suis roi. Ta famille vit en toi le fruit d'une éducation parfaite, la transformation idéal de l'enfant devenu homme de loi et de sang. Le joli môme pâle et chétif laissa place au garçon sirupeux aux yeux de glace que ton père brandissait en trophée, sous son bras de violeur d'enfance. Mon fils, il répétait à qui il voulait. Regardez comme il est grand, comme il est beau, comme il est fort. C'est moi qui l'ai fait, qu'il aurait pu rajouter, comme un gamin fier de sa création grotesque, comme un artisan aux mains couvertes de vices, le coeur gorgé de mensonge. Et toi tu paradais, le coeur en vrac, la respiration courte ; heureux d'être accepté comme un homme serpent, comme le reflet terrifiant du reptile sur tes épaules. Tu es beau, tu es grand, qu'elle te rassurait de ses yeux de monstre. Père ne pourrait être plus fier. Et maman, perdue et seule, qui pleure le soir, toute seule sur ton matelas. Mais elle pleure de bonheur, qu'elle t'avait assuré, un soir où tu l'avais surprise, la main sur la poignet. Je pleure de la chance d'avoir un si joli prince à mes côtés. Et elle caressait tes cheveux teints en riant, et en pleurant, et en riant, et en pleurant et alors, tu riais toi aussi. Petit ingénu, trop naïf pour vivre cette vie de choix et de perte ; et celle du petit ange brun fut le coup de trop, la lame vengeresse qui vint poignarder ta mère en pleine âme. Elle était si jolie, dans ses langes blancs, dans ton berceau de plume et de douceur que même ton père avait sourit en la regardant babiller ses mots sucrés de nouveau-né. C'était l’esquisse d'un nouveau jour, c'était l'espoir d'une nouvelle chance et tu sentais déjà pointer sous ton armure d'acier, l'enfant que tu avais enterré. Tu l'avais aimé avant qu'elle grandisse, avant qu'elle sache quelle était cette ombre noir au sourire sincère, au-dessus de son havre de paix. Tu l'avais aimé comme un pirate aime un trésor, comme un Black aime son sang. Tu l'avais aimé de toutes tes maigres forces de garçon abandonné. Puis, elle est venue toquer à votre porte enveloppé un grand manteau noir, comme dans le conte que maman te lisait souvent au coin du feu, le soir. Elle était froide et absurde et personne ne l'avait vu venir. Elle adopta ta soeur en une quinte de toux terrible, en un froid saisissant et en un dernier sourire.
Alors, ce fut l'hécatombe des sentiments, l'ouragan des émotions, la promesse d'un nouveau monde sans douceur, sans regrets ni remords. Tes entrailles semblaient vouloir imploser, ton esprit quitter ton corps de mort-vivant et d'esseulé. Adieu, chevelure corbeau, adieu mensonge, adieu papa et tes idées qui me foutent la peur au bide et le bide en vrac. Et puis ça sert à quoi d'être un Black si on peut pas protéger les gens qu'on aime, si on peut pas soigner maman qui va mourir de tristesse, si on peut pas sortir papa de ses rêves démoniaques ? Alors le petit prince a arrêté de se teinter les cheveux en affrontant les colères de son père. Némésis est devenu le fils de personne, l'enfant de rien au destin enfer qu'il ne veut pas affronter.

Il n'est pas faible, Aloïssius, il est bon. Il a de l'espoir plein les poches et c'est ça qui te fait peur. Alors fais-en le soldat que tu veux qu'il soit, si tu veux. Un jour, il me reviendra.