« Imaginons un sujet qui serait doué d’un excès d’empathie, de la capacité de s’oublier totalement pour ne faire qu’un avec l’autre. À priori, ce don devrait représenter un formidable avantage : sur le plan relationnel, l’individu, capable de devenir l’autre, bénéficierait d’une fantastique intuition. Comme il n’y a guère de raison que ce talent s’arrête aux êtres humains, il serait également un observateur talentueux, apte à appréhender le monde dans sa globalité, sans la moindre distanciation. Un tel individu devrait donc percevoir plus vite, mieux et plus intensément le monde environnant. Ce don d’empathie se révèlerait donc fort utile (…) ; captant directement l’essence des choses, l’individu devrait atteindre à une plus grande vérité et une plus grande intensité.

Toute médaille a son revers : le corollaire de cette hyperempathie est un manque de recul par rapport au monde extérieur. Car percevoir est une activité mentale en deux temps : dans le premier, on s’identifie à l’objet perçu, dans le second, on objectifie la perception, ce qui revient à s’en détacher, à prendre du recul. (…) Sur le plan relationnel : dans un premier temps, le don d’empathie, en abolissant la distance qui me sépare de l’autre, me fait éprouver ce qu’il éprouve ; dans un second temps, il est nécessaire que je puisse examiner le sentiment perçu de mon propre point de vue. ( …) L’hyperempathique, très doué pour la phase identificatoire, peine ensuite à prendre de la distance. (…) Sa difficulté n’est pas de comprendre les autres, mais de se situer par rapport à eux. »

Gérard Apfeldorfer