L'orage battait son plein. Je sentais mes cheveux trempés me laminer le visage. J'avais l'impression de voir trouble, images par images retardées, comme si mon cerveau n'était plus apte à comprendre quoi que ce soit. Flash par flash, j'admirais la beauté frénétique de la pluie. Elle se déversait sur la terre avec une violence accrue et renversante. J'avais pour habitude d'aimer cette danse qu'entreprenait les gouttes tombées des nuages gris, et à ce moment-même, je me sentais revivre lorsqu'un éclair frappa le sol jonché de flaques d'eau. J'étais spectatrice d'une cascade aérienne, d'un coup de feu du ciel. Et c'est vrai, j'en oubliais même la cause de ma présence en ces terres déchaînées.


Mes parents s'étaient approchés de moi prudemment, comme si je devais m’apprêter à vivre un choc. Mon père tenait une enveloppe ouverte dans ses mains. Je ne comprenais pas pourquoi ils se tournaient vers moi, puisqu'ils ont toujours reçu du courrier, et ils n'avaient jamais réagi d'une telle façon. Peut-être que cette enveloppe contenait quelque chose en rapport avec moi. Je ne disais mot. J'attendais juste des explications d'eux-même, de leur bouche et de leurs cordes vocales. Mon père s'approcha plus que ma mère, puis il s'accroupit doucement avant de me parler d'une voix douce et réconfortante.

« Ma chérie tu sais, parfois il arrive des choses inévitables. »

Mon cœur ne fit qu'un bond, un bond qui atteignit les milles mètres d'altitude. Que voulait-il m'annoncer, à la fin?

« Ce matin nous avons reçu une lettre d'une école. Une école spéciale. »

Il se tue un moment. Ses yeux me regardaient toujours, eux. Je restais toujours muette. De toutes manières, ma voix ne voulait pas sortir, c'était comme si j'en étais incapable, qu'il y avait un blocage.

« Avec maman, on l'a lu. C'est vrai, tu es spéciale. Tu vois, pendant toute ces années, tu te croyais bizarre, différente. Et bien c'est vrai, ça se confirme aujourd'hui. Tu es différente, tu es un petit bijoux, mon trésor. »

Mon père avait les larmes aux yeux. Je me posais toujours autant de questions. Qu'est-ce qui était écrit dans cette fichue lettre? Je voulais savoir. J'en étais impatiente.

« Dans cette lettre, il est écrit que tu es acceptée à l'école Poudlard. C'est l'école de sorcellerie dont je t'avais parlé. Elle accueille des gens comme toi, comme moi. Des sorciers. »

A ce moment-là, j'écarquillais les yeux. J'avais l'impression d'avoir mal entendu. J'eus un mouvement de recul, lent, mais qui ne s'arrêtait pas. Si cette école était pour les élèves dis "sorciers" et que j'avais reçu une lettre d'admission dans cet établissement, ça voulait donc dire que je faisais partie de ces élèves. Et donc... Que j'étais une sorcière, comme mon père. C'est vrai, j'avais des manifestations plutôt bizarres et incontrôlables ; et les uniques personnes qui le savaient étaient mes parents, bien qu'ils n'étaient pas les seuls à en être témoins.

« Tu te rends compte, c'est magnifique, ma chérie! »

Mon père me prit dans ses bras. Je n'étais encore qu'une gamine, une fillette déboussolée par l'importance de cette lettre. Elle définissait mon avenir, ma place. Les yeux toujours arrondis par le choc, je serrais mon père à mon tour en fermant les paupières. C'est en les rouvrant que j'aperçus ma mère nous regarder comme si nous étions insensés. Une sorte de dégoût, en fait. Elle n'avait jamais aimé le fait que mon père soit un sorcier. Elle ne voulait pas en entendre parler, alors mon père me racontait des histoires en cachette, quand elle n'était pas là, mais c'était peu, et j'étais très petite, je pensais que tout était fictif. Je ne la lâchais pas du regard, et même si j'avais du mal à avaler cette nouvelle, je n'étais pas totalement sceptique sur mon sort. Ma mère, elle, l'était sans pitié. La voir nous dévisager de cette manière me détruisait. Comment osait-elle... Après tout ce que mon père faisait pour elle! Je serrais les poings inconsciemment, essayant de contenir ma colère comme je le pouvais. Ma mère lâcha un soupir las, la chose à ne pas faire. Un vase se brisa soudainement. Mes yeux ne la quittaient même pas. Mon père sursauta, puis se détacha de mon emprise. Il se leva et dit à ma mère sur un ton dur qu'ils en discuteront plus tard. Ils commencèrent à se disputer, comme à leur habitude, et pendant ce temps-là, je pris discrètement l'enveloppe qu'il avait posé à côté de moi. Je l'ouvris, puis je lisais les quelques lignes qui étaient inscrites. Mes yeux s'écarquillèrent encore une nouvelle fois pendant ma lecture. Je laissai tomber la lettre par terre, et je n'empêchai pas mes jambes de courir. Courir. Courir. Je ne trébuchais pas comme dans les films. J'avais l'assurance et la vitesse d'un guépard.


Et me voilà. Abandonnée à moi-même sous les éclairs de Jupiter et la rosée abondante du crépuscule. La tête entre mes petites mains frêles, j'étais décidée. J'étais décidée à quitter les mots blessants de cette maison. J'étais décidée à m'occuper de moi et de mon avenir, à me prendre en main. Je regardais le ciel de mes yeux azurs en pensant à cette école. J'étais profondément attristée de devoir quitter mon père. Le pauvre, il se donnait corps et âme pour moi, et maintenant je vais devoir quitter la maison familiale. C'est peut-être sa récompense à lui, de me voir prendre mon envol. A contrario, j'étais satisfaite de devoir m'arracher de ma mère. C'était sans doute une douce délivrance que j'allais bientôt vivre. Il faisait sombre et l'orage continuait de menacer, mais j'étais heureuse comme si le soleil rayonnait. J'étais une sorcière, et j'allais étudier la magie dans une école où seuls des gens comme moi étaient. Des gens qui me comprendront. Des gens avec qui je pourrais rire et discuter. Des amis. Mais je ne pensais plus à quoi que ce soit et fermai les yeux pour apprécier ce moment de plénitude totale. Le bruit de déchirement d'un éclair se fit entendre, puis se fit voir en une traînée électrique. Tout était violent, tout était intense. Parce que comme je l'ai dis...
L'orage battait son plein.


Plusieurs années ont passées. J'ai eu quelques peu de difficultés à m'intégrer dans cette école, mais finalement j'y suis parvenue. J'ai rencontré une cousine dont j'ignorais l'existence, Summer, puis je me suis fait quelques amis. Je retournais, comme tout le monde, chez moi, pour les vacances de Noël. A chaque année, j'étais toujours très heureuse de retrouver mon père. Bien entendu, j'étais moins satisfaite de retrouver ma mère. Mes relations avec elle n'ont pas changé. Je dirais que ça va un peu mieux, mais sans plus. J'attends qu'elle fasse des efforts, qu'elle arrête de me renier comme si j'étais la fille d'une autre personne. Nous passions des fêtes chaleureuses, bien que parfois tendues, puis nous nous quittions dans de tendres accolades. Encore une fois, me voici retournée à Poudlard pour une nouvelle année. Les précédentes étaient pleines de... vide, à vrai dire. Rien de spécial ne s'était passé, mis à part les cours complètement déjantés et surtout très intéressants. J'étais une grande passionnée des leçons des professeurs de Poudlard, et pourtant, on ne m'appelait pas "l'intello de la classe". Je ne supportais pas me tromper à une question, et quand cela se produisait, il m'arrivait de quitter la salle d'une traite pour ne pas avoir à faire aux regards imposants de mes camarades de classe ainsi que ceux de mes enseignants. Et ce défaut de ma personnalité ne s'était toujours pas volatilisé. Je n'avais presque pas d'amis, à vrai dire, que des camarades et connaissances avec qui je ne passais que quelques minutes par jour, et je consacrais tout mon temps libre aux légendes magiques, à la lecture, et aux études. Je me donnais à cent pour cent, dans tout ce que je faisais, pour être la meilleure de toutes. Parfois, mon ego me dépassait, mais j'arrivais à le maintenir en dessous de la barre des chevilles enflées.
En d'autres mots, mes années à Poudlard, jusqu'ici, ont été d'une banalité tout à fait normale, et j'espère que cette année-là, tout va changer.