Il paraîtrait que nous sommes la somme de nos expériences passées et qu'elles conditionnent tous nos actes et nos choix futurs. J'ai lu ça dans l'autobiographie de Jékri Justpoorlfrik, grand écrivain contemporain. C'est pourquoi je vais ici vous raconter ma vie, dans les moindres détails de ma mémoire plus ou moins défaillante. Je ne garantis pas l'authenticité des faits que je vais énoncer, mais je relate les choses telles que je m'en souviens. Commençons donc... Je mentirais si je vous racontais le jour de ma naissance, je ne sais pas si qui que ce soit peut réellement se vanter de se souvenir de ça. Je peux vous dire ce qu'on m'en a raconté, mais ça n'aurait pas un gros intérêt, aussi je vais m'abstenir de le faire. Mes premiers « vrais » souvenirs remontent à un âge indéterminé, entre trois et quatre ans, dirons-nous. Nous étions tous petits, enfin moi plus que les autres, étant une des plus jeunes avec Lysander et Cybille. Mais à l'époque, personne n'avait grand chose à reprocher à qui que ce soit, les attentions étaient donc totalement tournées vers moi. Non, pas pour ma capacité exceptionnelle en solfège ou mon aptitude au violon, bien sur que non, ce serait trop facile. Quel intérêt de remarquer qu'à trois ans, votre enfant a plus de talent que la moitié de la famille ? Aucun, bien entendu. D'autant que j'étais la dernière de ma fratrie, et que tous les autres avant avaient globalement les mêmes talents. Bien que je leur sois supérieure. Bref, une réunion de famille sous le Soleil, où je voulais désespérément jouer avec les autres, autres qui ne m'accordaient pas beaucoup de regards sans que je sache pourquoi. Andrès était le plus grand à cette époque (oui bon d'accord, il est toujours le plus grand), et c'était le premier à m'avoir mis à l'écart. Mais je ne veux pas que vous vous apitoyez sur mon sort, le fait que je sois rousse me confère un avantage, je suis plus jolie que toutes les autres. La moins aimée par les miens, certes, mais la plus intelligente également. J'entends tout de suite vos petits airs méprisants « Et la plus modeste hein ? », et bien oui. Parce que chez les McLeod, avoir un ego surdimensionné est une affaire de famille. Je ne fais pas exception à la règle, je peux l'admettre, ce qui est déjà un signe d'intelligence en soi. Bref, peu importe. Je n'ai pas vraiment besoin que vous me trouviez modeste, je sais ce que je suis, et cela me suffit largement. J'ai développé mes premiers pouvoirs à l'âge de cinq ans et ça, je m'en souviens très bien. Léandre me courrait après pour me mettre de la boue dans les cheveux, pour que je puisse « me fondre dans la masse ». Mon cousin a toujours été quelqu'un d'attentionné. Toujours est-il qu'au moment où il m'a attrapé, j'ai pu le repousser en m'envolant plus loin. Au moins, je ne suis pas une cracmoll. C'était toujours ça de pris. On ne peut pourtant pas en dire autant de Violett, née quelques années plus tard. Je me souviendrais toujours du soir où on a appris la nouvelle. Je ne sais pas qui l'a dit à mes parents, certainement un des enfants, car jamais au grand jamais Arthur McLeod n'aurait toléré que ses frères et sœurs sachent qu'il avait enfanté une cracmoll. Les autres ont passé toute la soirée à se moquer ouvertement d'elle, alors que je ne pipais mot. Intérieurement, j'éprouvais pourtant du soulagement. Enfin, quelqu'un d'autre dans la famille attirait l'attention. Pour autant, je ne pouvais me résoudre à lui faire subir ce que les autres m'avaient fait des années durant, aussi j'essayais le plus souvent d'être aimable avec elle, du moins jusqu'à ce qu'elle s'en aille vivre chez les Moldus... Tout comme ma propre sœur. J'ai toujours trouvé absurde qu'elle se cache derrière sa fonction de pianiste pour s'enfuir de la famille, préférant les moldus à nous. Ou alors était-elle simplement plus courageuse que moi. Elle rapportait en tout cas assez d'argent pour qu'on ne puisse pas la renier complètement, mais je sentais l'agacement du reste de la famille lorsque l'on parlait d'Aloysia. S'en suivirent alors mes années à Poudlard, où j'ai successivement vu Andrès devenir le petit génie de la famille, Lysander le mal aimé, Violett l'oubliée, Oscar être renié et tous mes cousins plus grands devenir Mangemorts, de même que mon propre frère. Adopterais-je moi-même la marque un jour ? Je ne saurais le dire. Pour l'heure, mes projets sont seulement de protéger les miens, et je savais dès ma première année que je voulais devenir la meilleure, pour qu'enfin ils puissent compter sur moi. Voir dépendre de moi. Poudlard signifia également ma rencontre avec Kilian qui fut mon premier (et pour l'instant seul) amour. Nous avons passés deux ans ensemble, deux années presque parfaites et remplies de douceur, mais en même temps, à douze ans, tout est beau et rose. Tout cela se fini lorsque je me rendis compte qu'il commençait à devenir comme les autres. Comme tous ces sangs-purs qui ne voient que la manipulation comme moyen de survie. Comme les miens. Il ne changea pas avec moi, mais je le vis se métamorphoser en un être froid et fourbe avec les autres. J'appréciais d'être l'exception, mais je ne pouvais pas supporter de l'être. Je ne voulais pas sortir avec quelqu'un comme ça, je ne voulais pas être la seule avec qui il était gentil. Je le quittais donc, à quatorze ans, et s'ensuivirent deux années de solitude relative. Je ne me remis pas en couple, vivant de temps en temps quelques petits flirts, mais rien de bien sérieux. Vinrent ensuite les patronus, qui me sortirent plus ou moins de mon renfermement. L'avantage d'avoir passé deux années presque exclusivement à étudier et à jouer du violon fut que j'avais pris de l'avance, j'avais passé mes BUSE les doigts de le nez, ce qui me garantissait de pouvoir suivre les ASPIC que j'avais décidé, pour ensuite choisir le second cycle que je désirais, à savoir la Justice Magique. Mon projet prenait petit à petit forme dans mon esprit, et si j'avais toujours été ambitieuse, j'étais désormais aussi déterminée que jamais. Survint la cauchemar de Belize. J'ignorais ce qui était le pire, entre voir le chaos autour de moi et savoir que les miens l'avaient en partie orchestré. A l'issu de cette attaque, Kilian sorti de sa bouderie ridicule et redevint plus aimable. Presque comme un miroir, je me mis à en faire autant avec le monde, sortant de mes études pour observer les autres et recommencer à vivre. L'année suivante se déroula dans une atmosphère tendue, faite d'attaques et d'agressions. Bien que je sache de manière à peu près sûre que je ne risquais rien des Mangemorts, je voyais le monde décrépir autour de moi, sans que je ne puisse rien faire. Je n'étais pas aussi sotte que ma sœur, mais j'aimais quand même vivre sur une terre pleine de couleur et de joie plutôt que dans un cimetière ambulant. Cela ne changea pour autant pas mes projets. Je comprenais pourquoi les sorciers devaient dominer les moldus, mais je regrettais que les sorciers ne soient pas tous unis et que du sang magique doive couler. Enfin, cette année passa, les ASPIC aussi, je fus admise en second cycle, en Justice Magique comme je le voulais. Ce fut ensuite le début de la huitième année, le train et...l'accident. Rien ne me préparait à ça. Ce fut soudain, violent, froid. Cela me frappa avec une violence inouïe. La seule chose qui me sauva ce jour là, hormis le médicomage qui a pris soin de moi, fut que le morceau de métal qui m'a éventré est resté en place, empêchant mes organes de sortir de mon corps. On a dit que j'étais une miraculée, une chanceuse incroyable. Lorsque je regarde la cicatrice qui barre mon ventre, remontant sous ma poitrine, j'ai envie de les détruire, tous autant qu'ils sont. Avoir de la chance... Être éventré et avoir de la même chance... Dans la même phrase. Allez au Diable, tous autant que vous êtes. Je suis restée plusieurs semaines sur mon lit à Sainte Mangouste, mais je ne pris pas de retard grâce à Kilian. Au moins, la menace de perdre mes organes semblait lui avoir fait prendre conscience qu'il m'aimait bien, c'était déjà ça de pris. Il m'emmena les cours tous les week-ends mais la blessure qui barrait mon corps m'empêchait de répondre à ses attentes. J'appréciais sa gentillesse, mais j'avais peur qu'il n'agisse que par charité, et que ma plaie le fasse fuir. Je pus reprendre ma scolarité avec deux mois de retard, mais j'étais heureuse de ne pas avoir à rester plus longtemps. On m'avait fait promettre de revenir à la moindre chose anormale, comme s'il pouvait y avoir des séquelles. Imaginez donc ma terreur lorsque, quelques mois plus tard, mon patronus tomba malade. Je fus presque soulagée (oui, je trouve beaucoup de réconfort dans le malheur des autres) en constatant que ce phénomène ne me touchait pas exclusivement. Je fus touchée par toutes les phases de ce que nous appellerions plus tard la peste des patronus, jusqu'au moment ultime où Niken disparu de mon esprit. Pour réapparaître plus tard. Certes, il était sous la même forme, mais je me rendis compte plus tard qu'il était tout de même un étranger. Froid, sombre et cruel, il m'empoisonnait désormais d'un venin que j'avais du mal à contrôler. Car après tout, les patronus sont des parts de nous mêmes, n'est-ce pas ?