- CHAPITRE I -
« Although the world is full of suffering, it is also full of the overcoming of it »
Dix-huit mars mille neuf cent soixante-quatre.Pour raconter l’histoire de quelqu’un, il est toujours bien de commencer par sa naissance. Le commencement d’une vie, n’est-ce pas là la plus belle chose qui soit ? Alors pourquoi un enfant pleure-t-il si fort ? Tant de souffrances dans ce cri, comme s’il savait en son for intérieur que le monde où il venait de naître ne l’épargnerait pas.
Olivia naquit un matin, alors que le soleil n’était pas encore levé. Lorsqu’elle prit sa première inspiration, elle ne cria que brièvement et finit par se taire. Si la toute première personne qu’elle vit fut sa mère, ce fut à sa sœur qu’elle adressa son premier vrai regard, comme elle lui offrirait son premier sourire. Ce ne fut que l’appel de son estomac qui lui fit détourner le regard d’Oksana. C’était le premier d’un long combat, mais cela, ni l’une, ni l’autre ne le savait encore.
Sept avril mille neuf cent soixante-cinq.Un an de vie, un an à découvrir le monde. Ou plutôt son monde, celui qu’elle se créait peu à peu pour se protéger de ce qu’elle ne comprenait pas. Olivia ne souriait jamais directement à une personne, excepté Oksana. Elle ne tendait pas souvent les bras quand on voulait la porter. Tout semblait lui échapper, même parfois son prénom.
La fillette était malade et ses parents étaient bien conscients que quelque chose n’allait pas. A un an, elle aurait dû prononcer au moins quelques mots, mais ce n’était pas le cas. Alors, ce jour-là, ils décidèrent de consulter un spécialiste moldu et un psychomage. Le diagnostic tomba deux fois. Trouble du spectre de l’autisme faible. Elle parlerait mais pas tout de suite. Elle s’intéresserait à ce qui l’entourait mais un autre jour, dans quelques mois, quelques années. Il faudrait de la patience.
Assise sur le sol, jouant avec une poupée prise dans la salle d’attente, la petite Liv’ ne se rendait pas compte qu’on parlait d’elle. Sa bulle la protégeait de tout ça. Et elle la protègerait longtemps encore. Jusqu’à ce jour tout du moins, celui où elle vit l’inimaginable se produire juste sous ses yeux.
Ce jour-là, quand la petite famille rentra à la maison, sa sœur lui fit un câlin. Elle avait sans doute compris que sa cadette n’allait pas bien. Ce qu’Olivia ne savait pas, c’est que sa sœur serait toujours là pour veiller sur elle après ce jour-là, malgré tout ce qu’elle s’apprêtait à traverser.
Huit juin mille neuf cent soixante-neuf.C’était un jour comme les autres. Ou du moins, il commença comme tous ceux qui lui avaient précédé. Olivia jouait dans la chambre de sa sœur. Jouer était sans doute un bien grand mot, mais c’était ce qui s’en rapprochait le plus pour la petite fille aux grands yeux bleu-gris. Assise en tailleur sur le sol, elle se contentait d’agiter sa poupée qui ressemblait beaucoup à Oksana selon elle, là où sa sœur prenait soin de faire marcher sa poupée comme si elle était vivante.
L’interpellation de son aînée eut pour effet de tirer Liv’ de sa bulle l’instant d’un hochement de tête accompagné d’un sourire. Et puis, elle s’était de nouveau perdue dans son petit monde bien à elle. Elle n’entendit pas les bruits de pas dans la maison et ne se retourna que parce qu’elle vit que sa sœur avait arrêté de jouer. Il n’y avait pas grand-chose qui pouvait arrêter Oksana au milieu de ses reconstitutions plus ou moins fidèles à ce qu’elle voyait autour d’elle, sauf peut-être leur mère et parfois leur père. Mais l’homme qui apparut dans l’encadrement de la porte n’était ni l’une, ni l’autre. La petite fille posa sur lui un regard impassible. Elle s’apprêtait à retourner dans sa bulle mais il y avait quelque chose dans son regard qui l’en empêcha. Elle ne comprenait tout simplement pas, elle en était incapable. Sa sœur se leva et Olivia esquissa un geste pour la retenir mais elle fut trop lente. Oksana ne semblait pas tellement inquiète et cela rassura un peu sa cadette.
-Endoloris !Le mot tomba, dur, tranchant, glacial. Et aussitôt, sa grande sœur s’effondra sur le sol, se tordant de douleur. Alors, pour la toute première fois –et sans doute la dernière avant un long moment-, Olivia comprit ce qui n’était pas dit. Elle comprit la souffrance de sa sœur et, dans son regard d’habitude si impassible, une lueur d’horreur et de désespoir s’alluma. Elle ne fit rien, tétanisée par ce qu’elle comprenait. Qu’aurait-elle pu faire de toute façon ? Rien sans doute mais, dans le regard d’un enfant, rien n’existe pas.
Si Oksana se sentit seule à cet instant, elle ne fut pas la seule. Sa petite sœur vit sa bulle devenir plus solide et la couper plus encore du monde. Pour la protéger. Elle était seule dans son monde. Et pourtant, elle ne pouvait détacher son regard de celui de sa sœur. Elle y lisait une douleur sans nom et, sans s’en apercevoir, elle serra si fort ses petits poings de peur que ses ongles s’enfoncèrent dans sa paume, dessinant de petits arcs de cercle sanguinolents. Oksana venait de rentrer dans le monde d’Olivia, elle serait sa porte de sortie vers le monde extérieur. Mais cette porte était bien abîmée et elle ne s’ouvrirait qu’avec beaucoup d’efforts, ce qu’elle n’était pas vraiment prête à faire. C’était elles deux contre le reste du monde à présent. Pour toujours et à jamais.
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- CHAPITRE II -
« It was books that made me feel perhaps, I was not completely alone. »
Vingt-deux novembre mille neuf cent soixante-dix.Six ans, un monde à elle et une sœur à protéger. Cela faisait trois mois qu’elle et Oksana était dans la même école et trois mois qu’elle servait de calmant pour sa sœur. Elle n’avait pas grand-chose à faire lorsque l’on frappait à la porte sinon se lever, suivre le directeur, faire un câlin et un bisou à son aînée. Cela suffisait et, après, elle se contentait de rester là, perdue dans sa bulle, juste à côté de sa sœur. Elle ne disait rien, elle ne parlait pas devant des inconnus, jamais.
Olivia savait très bien ce que faisait Oksana, c’était la seule personne avec sa mère dont elle se préoccupait un tant soit peu. Elle n’ignorait rien des actes de cruauté de sa sœur et elle n’aimait pas ça. Elle lui faisait savoir à sa façon, sans sous-entendu. Mais elle n’avait pas la carrure pour être ce qu’on voulait qu’elle soit, c’est-à-dire la grande sœur de la petite furie qu’était Oksana.
La petite fille put reprendre sa vie alors que sa grande sœur se calmait en grandissant. Elle apprit à lire et se mit à dévorer tous les livres qui tombaient entre ses mains, se coupant ainsi un peu plus encore du monde extérieur et embellissant le sien de personnages plus ou moins étranges mais tous attachants selon ses propres critères. Il arrivait qu’on se moque d’elle mais elle n’entendait pas. Il n’y avait pas grand-chose de suffisamment intéressant à l’extérieur de sa bulle pour qu’elle fasse l’effort d’en sortir et ses camarades de classe n’en faisait certainement pas partie.
Olivia aurait pu être seulement cette petite fille qui reste seule dans un coin de la cour pendant la récréation, un livre entre les mains. Mais elle était aussi la sœur de l’hystérique qui les effrayait parfois. Alors, pour protéger sa sœur, elle prit des coups sans jamais les rendre. Elle ne le voulait pas, ç’aurait été accordé trop d’importance à ceux qui ne le méritaient pas. Et chaque fois que cela se produisait, Oksana se figeait, incapable de secourir la seule qui avait toujours sa confiance. Liv’ ne lui en voulait pas, elle ne le pouvait pas. Après, lorsque sa sœur l’aidait à se relever, elle se contentait de lui sourire et de lui murmurer quelques mots.
-Il ne faut pas faire ce à quoi tu penses parce que c’est mal. Et tu ne peux pas faire le mal sans te faire mal à toi aussi.Elle savait ce que s’imaginait faire Oksana et, malgré tous ses efforts pour l’en dissuader, elle continua à torturer les autres, physiquement d’abord et puis psychologiquement. Et Olivia n’y pouvait rien, alors elle poursuivait ses lectures comme s’il ne se passait rien.
Deux juillet mille neuf cent soixante-quinze.Ce fut ce jour-là qu’elle la reçut, la lettre qu’elle attendait tant. Elle avait découvert ses pouvoirs quelques mois auparavant par le plus grand des hasards et elle savait que ce jour-ci arriverait donc avant le mois de septembre. En se levant, elle ramassa le courrier tombé au bas de la porte et regarda avec enthousiasme les expéditeurs, s’attendant à être déçue une nouvelle fois. Mais ce ne fut pas le cas.
Olivia entra en courant dans la chambre de sa sœur et sauta sur son lit. Elle voulait partager sa joie avec sa sœur, sachant que celle-ci serait contente de pouvoir la voir plus souvent. Et puis c’était Poudlard, la meilleure école magique qui soit. Bien sûr, réveillée aussi brutalement, Oksana grogna après elle mais sa petite sœur s’en fichait. Elle allait enfin pouvoir apprendre la magie et peut-être qu’elle trouverait le moyen d’aider la seule qui faisait partie de sa bulle et qu’elle aimait de tout son cœur.
Son impatience ne redescendit pas un seul instant jusqu’à la rentrée. Aller acheter les affaires qu’il lui faudrait pour les cours ne fut pas si facile. Elle refusa de prendre un animal de compagnie. Mis la plus grande épreuve pour elle fut le passage chez Ollivander, le vendeur de baguettes. Oksana lui avait expliqué qu’il savait jauger les gens sans qu’on est besoin de parler, mais ça n’empêchait pas Liv’ de trembler lorsqu’elle poussa la porte de la boutique, sa sœur sur les talons.
Finalement, la rentrée arriva et il fallut se rendre à la gare, sur le quai 9 ¾.
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- CHAPITRE III -
« Cela a l’air facile, de se lier à un autre être humain, on dirait que personne ne leur a dit que c’est la chose la plus difficile au monde. »
Trois septembre mille neuf cent soixante-quinze.Elle était montée dans le train le matin même, juste derrière sa sœur. Et puis elle s’était trouvée une place et avait sorti l’un de ses livres avant de se mettre à le lire sans plus relever la tête jusqu’à l’arrivée. C’était son moyen de lutter contre le stress qui grandissait peu à peu en elle à chaque seconde qui la séparait de la cérémonie de répartition.
Soudain, ils entrèrent en rangs serrés dans la grande salle de Poudlard. Les élèves des autres années étaient déjà assis selon leur maison et si tous ceux qui avaient un frère ou une sœur plus âgé qu’eux les cherchèrent du regard, Olivia n’en finit rien. Son regard bleu-gris s’était, lui, posé sur le Choixpeau magique et ne parvenait à s’en détacher. Un professeur leur expliqua la prochaine étape et la liste de noms commença à s’égrener, bien trop lentement du point de vue de Liv’. Et puis soudain, ce fut le moment.
-Olivia Adelaïde Lewis.Tout ce qui suivit, la jeune fille le vécut comme un rêve éveillé. Le Choixpeau posé sur sa tête, son regard se perdit dans le vide et il lui fallut même un instant pour comprendre ce que lui avait annoncé l’objet magique, après avoir murmuré pour lui-même ce qu’il pensait de ce qui se passait sous sa tête.
Perdue de nouveau dans sa bulle, sans doute pour échapper à la déception de ne pas être dans la même maison que sa sœur, elle alla s’asseoir parmi ses nouveaux camarades qui l’accueillir chaleureusement. Elle ne leur offrit que l’esquisse d’un sourire en retour.
Le discours annuel du directeur et le banquet fini, elle suivit avec les autres premières années de sa maison leur préfet. Celui-ci les conduisit à leurs chambres où leurs affaires les attendaient déjà. C’était le début d’une nouvelle année mais surtout le début de quelques choses d’autres.
Ving-trois février mille neuf cent soixante-seize.C’est ce jour-là qu’elle le rencontra, celui qui serait son seul et unique ami. C’était un après-midi comme tant d’autres. Elle venait de finir les cours et elle était allée se réfugier sur le rebord d’une fenêtre pour écrire quelques vers et surtout finir un livre sur les potions. Ce n’était pas son cours favori mais comme elle aimait lire et qu’elle avait égaré son ouvrage d’
Oliver Twist, elle avait bien dû trouver autre chose.
Cela devait faire près d’une heure qu’elle était là quand un bruit atypique la tira de sa bulle. Et il en fallait pour l’en sortir. Mais un garçon plus âgé qu’elle venait de s’adosser au mur juste à côté d’elle et il n’allait visiblement pas bien. Il n’y avait rien d’autre à comprendre et pas de relation autre que celle de l’aider sans même parler. Et pourtant, la jeune fille resta figée. Elle n’y arriverait pas, une petite voix le lui murmurait dans le creux de l’oreille. Elle n’avait pas réussi à aider sa sœur, elle ne pourrait pas non plus aider cet inconnu. Mais il y avait cette autre petite voix au plus profond d’elle-même qui lui disait d’agir.
L’élève de première année ferma son livre qu’elle posa avec soin et elle se leva. Ses gestes n’étaient pas précipités, loin de là. La respiration de son camarade à l’écharpe rayée de vert était sifflante et il semblait peiner à reprendre son souffle. Elle posa une main sur son épaule et, lorsqu’il releva la tête, leurs regards se croisèrent. Elle lui sourit et lui dit simplement un mot.
-Où ?L’élève malade lui indiqua l’endroit où il gardait son médicament et elle alla le chercher d’un pas léger, presque joyeux. Une poignée de minutes plus tard, elle était de retour et lui tendait de quoi aller mieux, un sourire toujours sur son visage. Elle ne le savait pas, mais elle venait de se faire son premier ami à Poudlard. Peut-être même son premier ami tout court. Ils échangèrent leurs prénoms comme on échange un merci et se quittèrent après qu’elle lui ait promis de garder le silence.
Vingt-quatre décembre mille neuf cent soixante-dix-huit.Ce matin-là, Olivia s’était rendue dans la chambre de sa sœur pour lui demander de rentrer avec elle pour fêter Noël en famille. Mais la réponse d’Oksana fut sans équivoque et elle aurait pu insister autant qu’elle l’aurait voulu, la réponse n’aurait pas changé.
Alors, résignée, l’élève était retournée dans sa chambre pour aller chercher le livre qu’elle lisait avant d’aller se trouver un rebord de fenêtre tranquille. Mais ses plans furent bouleversés lorsqu’elle le vit au pied de son lit. Un tout petit cerf aux grands yeux noirs qui la fixaient avec tendresse. Bouche bée, ce fut lui qui parla le premier.
-Ne t’en fais pas, je ne te ferai aucun mal. Je suis une partie de toi.Ce n’était pas effrayant du tout, du tout… Absolument pas pour Liv’. Dans son monde, tout était possible et peu de choses étaient mauvaises. Et un animal aussi mignon ne pouvait pas être méchant.
-Kaalys.Ce fut les seuls mots qu’ils échangèrent pour le restant de la journée. Bien décidée à en apprendre un peu plus sur son nouveau compagnon qui la suivait comme une ombre l’aurait fait. Elle finit par devoir abandonner ses questions, personne ne semblant avoir de réponses à lui donner. Alors, comme c’était la veille de Noël, elle se mit en quête d’un cadeau pour Kaalys. Elle était bien décidée à lui faire plaisir, d’autant qu’ils semblaient partager certaines émotions. Alors le rendre heureux lui donnerait peut-être le sourire à elle, même si Oksana ne voulait pas fêter Noël avec leur mère.
Onze janvier mille neuf quatre-vingt-un.Elle ne pensait pas que Kaalys pourrait tomber malade. Elle avait pris soin de rester éloignée des autres pour ne prendre aucun risque. Et pourtant, ce matin-là, elle ne le trouva pas au pied de son lit comme d’habitude. Inquiète, elle finit par le trouver percher sur le rebord en bois d’une fenêtre sous la forme… d’une chouette.
-Mais qu’est-ce que tu fais là Kaa’ ? Et qu’est-ce que c’est que toutes ces plumes ?Inquiète, elle décida de se rendre à l’infirmerie pour le faire examiner. Elle entra dans la pièce, la petite chouette sur son épaule. Elle ne savait pas encore qu’elle n’en sortirait pas avant plus d’un mois. Bien sûr, elle se fit apporter des livres et les cours pour ne prendre aucun retard ou le moins possible.
Elle allait un peu mieux lorsqu’elle vit sa sœur arriver dans la zone de quarantaine. Elle qui espérait ne pas la voir ici la vit débarquer avec Bart sous la forme d’un tout petit oiseau. Heureusement, sa sœur n’alla pas aussi mal qu’elle ne l’avait été et, si elles restaient toutes les deux assez faibles, elles étaient presque rétablies lorsque l’été arriva et qu’on les envoya passé l’été dans un endroit reculé en Asie. Olivia aima ce lieu bien plus que la plupart de ses camarades. Là-bas, tout était si calme qu’elle pouvait sortir de sa bulle sans crainte. Mais la rentrée arriva et avec elle, le retour à Poudlard. Au moins, elle retrouverait Alec et les cours.