(7-10 y.o) — le meilleur des mondes ”« J'ai fait gonfler une grenouille ! Elle est devenue encore plus grosse que la tante de Marjorie, et en plus elle volait !», se vantait Merlin. « J'ai rangé ma chambre grâce à un sortilège et ça m'a même permit de passer le balai sans quitter le canapé », racontait Elliot. « j'ai réussi à faire clignoter le boursouflet de ma voisine de pupitre » disait, pensive, l'une de ses sœurs. Encore et toujours, Audric buvait leurs paroles, leurs récits, leurs anecdotes. Assis aux côtés de Mandy qui semblait ailleurs, le jeune garçon n'avait qu'une hâte, pouvoir joindre un jour ses propres péripéties à celle de sa famille. Être comme eux, découvrir sa magie, entrer à Poudlard et devenir un très très grand sorcier. Il s'y voyait déjà, sur les cartes de choco-grenouilles que ramenaient parfois ses cousins les plus âgés en rentrant de Poudlard. Qu'est-ce que ça leur en boucherait un coin, à tous, et surtout à papa. Papa qui plaisante de moins en moins avec lui. Parfois il surprend du coin de l’œil ses œillades inquiètes. Comme s'il pouvait ne pas les voir ou les sentir, elles et ce qu'elles dégagent. Mélange de craintes, d'incertitudes et d'incompréhension. Chaque fois qu'il croisait ces yeux fuyards, il se demandait s'il était responsable du voile qui année après année, dissimulait leur éclat. Parsemé de ces doutes, il s'interrogeait et il avait peur de ne pas être assez bien, assez beau,
assez tout, en fait.
Hormis cela, qu'il ne ressentait qu'en présence de son parternel, Jack McLeod, tout allait pour le mieux. Mandy Nott, dix ans, appréciait sa compagnie et il n'avait besoin de plus pour être heureux. Gosses, ils ne vivaient que pour eux-même. Il la voyait reine de son royaume et elle le faisait roi du sien. Il la faisait muse de ses chansons, de ses dessins, de ses louanges. Elle le faisait héros de ses contes, sujet de ses contemplations. Ils n'avaient point besoin de baguettes pour s'amuser; ensemble ils s'échouaient dans les étoiles. Audric était paisible, de petites fossettes ornait son visage de sel, ses cheveux écorce paraient son front de leurs lueurs et ses yeux mordorés reflétaient toute la bonté du monde. Mandy plus jolie, dansait du soir au matin, tempétueuse chevelure sauvage aux pupilles diaphanes, incapable de filtrer la tornade d'émotions qu'elle ne se souciait de contenir. Quoi qu'il en soit, les gosses étaient rêveurs, avaient la tête dans le ciel, dans la nuit, dans les étoiles _ C'est d'ailleurs ainsi qu'Audric aimait considérer tout homme, tout être, toute existence. Comme un astre pourvue de milles-et-une facettes. Une chose brillante, puissante, saupoudrée de mystères, se tenant bien trop haut dans le ciel pour qu'on puisse facilement les résoudre. Il se pensait jolie lueur parmi tant d'autres, comme une étoile dans l'univers. Plus tard il a filé droit sur Terre. Comète d'espoir s'écrasant dans le vrai, idéaux se nappant soudain de réalité. Le jour de ses onze ans sonne le glas de son enfance paisible. Année où son chemin de vie bifurque subtilement vers de lointaines contrées. Jour du verdict, où il comprit qu'il ne serait jamais sorcier, qu'il ne pourrait même plus continuer à l'espérer, se voyant octroyer le fâcheux statut de cracmol, à jamais.
Atterrissage violent, bourrasques d'incompréhension, Audric s'est souvent demandé pourquoi mère nature lui avait alors refusé ce que bon nombre d'autres n'avaient eu à demander. Il se souvient encore, que malgré la funeste date passée, il continuait d'attendre l'arrivée des courriers, l'envolée des hiboux au sein de la résidence familiale, à guetter le moindre signe de magie pour enfin pouvoir devenir comme tout le monde. Mais non, il était resté sans pouvoir, incapable de lancer le moindre sort et d'égaler ses dédaigneux cousins. Ce oh combien regrettable hasard causa bon nombre de retentissements chez les McLeod. Quelques uns tentèrent de l'envoyer au ciel, d'un simple coup de baguette, aussi facilement que l'on lance un douteux crache-limaces. La première fois ce fut ce même- jour, quand il dépassa la dizaine d'années. Un employé de maison, un elfe plus précisément, fit barrage de son corps à l'étincelle crachée du bout de bois qui en son sein abritait un cheveux de vélane -créature de conte qu'il n'avait jamais vu, mais qui souhaitait déjà sa fin-.Ce jour-là, quelque chose ripa dans la machine à bonheur de l'enfant. Il se sentit perdre pied, pour la première fois. Cet événement l'attrista tout autant qu'il lui fit comprendre l'épineux problème que présentait son existence. Une assemblée familiale fut convoquée afin de décider de son avenir, et les négociations durèrent bien plus longtemps. Jusqu'à ce qu'un terrain d'entente puisse être trouvé. Jusqu'à ce qu'on décide pour lui qu'il ne pourrait vivre dans le monde des sorciers et que son absence de pouvoir ne doive être divulguée aux autres familles. Maman Greengrass accepta, sachant que c'est là tout ce qu'elle pourrait obtenir pour cet enfant dépourvu de don.
Et c'est ainsi qu'il devint un fantôme
Un fantôme portant le nom
d'Audric McLeod.
Né de parents sorciers, sang-purs,
il n'aurait point le privilège d'être sorcier à son tour.
Il serait tel un moldu, sans pouvoirs,
sans dons, sans magie, sans rien
à la seule différence que lui,
il saurait ce que c'était, la magie.
Et une fois qu'on a connu la magie,
on ne peut pas s'empêcher
de la penser, de la vouloir,
de la désirer
(11 y.o) — le voleur de vie, gris monolithe ” L'homme mentait, depuis toujours. Il avait le chic pour embrouiller les autres, et la tête de monsieur tout le monde. Cette dernière délicatement enserrée par une cravate imbibée de l'odeur de whisky bas de gamme trônait sur un cou et des épaules bien frêles, las du fardeau qu'elles portaient. Il semblait ailleurs cette nuit, le cœur dans les étoiles et les bras ballants. Il avait le faciès livide et il tremblait devant sa glace comme il tremblait tous les matins avant de gober ses cachtons. Chaque jour, il avait renié l'idée que de telles choses puissent se passer tous les jours, juste à côté de sa maison, dans sa rue, juste derrière ses fenêtres qu'il n'osait jamais ouvrir, quitte à rester dans le noir, à la seule lumière des rayons s’engouffrant dans les trous des volets. Il avait fermé les yeux sur les enfants vêtus de leurs manteaux de famine, sur les voyous postés sous certains pas de portes. Il était devenu comme ce gros cafard, juste à côté de la glace, n'osant pas passer devant la surface miroitante.
Pedro Di Scipio, sang-mêlé d'âge moyen, n'avait jamais eu la foi. Il le fallait pour travailler dans un endroit comme celui là. Surtout quand le boulot en question amenait à se salir les mains. Son boulot est pourri. Il accepte n'importe quels horaires de peur de se faire mal voir, puis d'avoir des problèmes. Ce qui lui fait le plus peur, c'est de devenir la victime, et de n'avoir plus que pour havre de paix, les bâtiments délabrés qui font face à l'adversité, dans lesquels règnent toute la misère du monde. Soudain, le vent vient faire trembler la porte dans son cadre, faisant soupirer une énième fois l'homme. Il a essayé de la bloquer en glissant un carton épais dans la chambranle, mais le boucan persiste, comme si quelqu'un essayait d'entrer en lançant de violents coups de pieds. Chaque fois il ne peut s'empêcher d'aller vérifier, et cette fois encore, la porte est toujours là.
Assis en tailleur dans le canapé moisi de son salon, le quinquagénaire attend que vienne la nuit, enroulé sous une multitude de couvertures dans un état aussi crade que sa barbe. Il s'amuse à suivre les motifs du bout des ses doigts, ses ongles tout aussi sale que le reste. Il avait eu une jolie vie, pour un baroudeur comme lui. Et son appartement s'était avéré plutôt sympathique, jusqu'au jour où cet homme un peu trop bien vêtu ne lui présente sa requête et qu'il ne l'accepte, l'esprit sans doute trop grisée par le rhum groseille qu'il s'était enfilé dans la matinée. En y repensant, il aurait dû refuser immédiatement la proposition. Mais boucler le mois aurait été compliqué avec les quelques gallions perdus au fond des poches de son veston. Alors il avait dit oui à cet homme au visage grave sans penser aux conséquences de cette fâcheuse histoire. Et désormais, à peine quelques jours plus tard, il était là, à se terrer dans un ancien taudis, entre moisissures et fragrances nauséabondes. Malgré les douches excessives, il se sentait toujours sale. Sale d'âme, sale de cœur, sale d'esprit. Il était en tout point semblable à l'état de ce misérable deux pièces. Il avait fini par pénétrer ce brouillard dérangeant, par ne plus faire exception.
Sorcier de longue date, sa petite entreprise commençait à bien se faire connaître dans l'Allée des Embrumes. Elle proposait des services peu communs à vrai dire depuis que Pedro avait décidé de se la jouer mercenaire chapeauté. Il avait depuis lors vécu bon nombre d'aventures, sordides ou non. Payé pour découvrir comment cultiver certaines plantes particulièrement entêtées, pour soulager la fin de vie d'animaux magiques ou encore pour transporter des documents secrets. Il avait fait bien des choses. Mais ce que l'homme lui avait demandé en entrant dans sa boutique, ça non jamais. Il ne s'était jamais abaissé à tuer un petit garçon venant à peine d'atteindre la dizaine, un sang-pur de sur-croix. L'homme lui avait promis une somme plus qu'excessive pour que ce soit fait rapidement et en toute discrétion, lui fournissant moultes explications sur la demeure et le minot concerné.
Le lendemain, Pedro avait cherché à s'acquiter de cette pénible tâche. Il avait relu le contrat, découvrant qu'il allait devoir se rendre dans la demeure familiale des McLeod pour mener à bien sa besogne. Alors pris de sueurs froides, il s'en était voulu de ne pas avoir pris le temps d'observer son client avec plus d'attention. Qui était-il pour en vouloir à ce point à un sorcier encore en âge de pisser au lit par mégarde ? Quels étaient ses desseins en le payant pour rajouter un monolithe supplémentaire dans le cimetière McLeod ? Sombre fou qu'il était d'avoir accepté, lui, un sorcier de basse lignée une mission ciblant un membre de cette fameuse maisonnée de sang-purs.
Il se souvient de tous les détails de sa visite dans la niche McLeod. Se faisant passé pour un servant dont il avait pris le nom, ainsi que l'apparence grâce à du polynectar de sa confection, l'homme avait pris la direction des cuisines et avait fini par trouver, non sans affronter la moindre difficulté. Et c'est là-bas qu'il s'était retrouvé face au fragile petit-être dont il était censé prendre la vie.
Avait-il hésité ? Sa main avait-elle un instant tremblée en identifiant l'écharpe verte et or, symbole qui serait porté par la victime en ce funeste jour ? Il ne pourrait l'expliquer, mais cela lui avait pris un instant supplémentaire pour lancer son sort. Court laps de temps durant lequel un elfe avait fait barrage de son corps, barrage de sa vie pour sauver l'enfant. Il aurait pu en lancer un autre, il aurait suffit d'un seul autre sort pour venir à bout du gamin. Mais il n'en avait eu le courage. Ou plutôt, il avait paniqué, quand le gosse à la tignasse brune lui avait jeté un coup d’œil moralisateur. Lui, il avait prit la poudre d'escampette.
Et il se cachait désormais
Dans son pouilleux t2,
fait comme un rat,
à attendre l'homme
au visage sombre.
(12-15 y.o) — les vagues de l'âme ”Audric fleurit donc, bien loin de ce monde qui lui était promis. Avec pour camarades de classes des moldus, et pour environnement, un monde fade, un monde gris, un monde sans magie.Enfant terreur, enfant gredin, rêveur absorbé sans cesse par ce qu'il ne peut côtoyer. Gosse, il regarde par la fenêtre de la demeure de vacances les enfants sorciers jouer sur la pelouse avec envie, puis jalousie, probablement. Il comprend en quoi son absence de don est un problème, mais il souhaiterait tant que ce n'en soit pas un. Il voudrait s'épanouir dans un monde blanc, lumineux, et celui qui s'anime devant ses yeux lui paraît vivement laid.
Durant un moment, il vogue de pensionnat en pensionnat, la tête dans les nuages, toujours à raconter de drôle d'histoires à ses camarades qui mettent cela sur le compte d'une imagination sans bornes. Et une fois bouclée dans sa chambre, à double tour, il ressort cette boîte à chaussure de sous son lit. Une boîte on ne peut plus banale et pourtant si précieuse. Cadeaux de Mandy, qu'il prenait plaisir à voir quand il faisait encore parti de l'univers des grands de sa famille. Elle lui avait confié, qu'elle n'appréciait pas vraiment ce destin tout tracé qu'on lui avait choisi et qu'elle ne se voyait pas se marier à un promis comme sa sœur pour jouer à la dame silencieuse le restant de ses jours. C'est pourquoi elle avait toujours cette boîte dans sa chambre. Objet magique dans la famille Nott, se léguant de génération en génération. Un moyen d'évasion disait-elle, une boîte à rêves, qu'elle imaginait contenir un univers et qui lui permettait de voir la vie sous un angle moins défaitiste. Audric avait sans difficulté convenu que ce présent était bonne et s'y était laissé prendre bien facilement, s'échappant un peu trop souvent, se laissant envoûter par cette perspective d'un mieux à portée de ses bras.
Et il s'était noyé dedans, chaque soir, songes emportés dans un flot de subtilités une fois le couvercle de la boîte soulevé. Loin de ses fugues à répétitions des pensionnats, il préférait nettement fermer les yeux sur les difficultés qu'il causait à ses parents et faire fructifier son imaginaire. Là-bas, dans la boîte il revoit les défunts danser, ce petit elfe de maison qu'il avait nommé preux-chevalier, ses joues blafardes encore rosées. Il le voit, lui et tous les autres qui s'animent dans les rues de son monde couleur hoya nacrée, et il repense à l'avant, à l'avant que tout devienne gris. A l'avant que ne soit prononcé le mot cracmol, qu'il ne soit plus que cela aux yeux des McLeod. Et il y revient, dans cette boîte, chaque fois qu'il ferme les yeux. Le lendemain, le jour d'après et encore aujourd'hui, se demandant si un jour il pourrait y rester coincé (par mégarde), dans ce beau monde bâtis d'idées chimères et baigner à jamais dans ce divin simulacre. Là-bas, il suffit de souhaiter, il suffit de penser. Et une fois dans la boîte à chaussure,
le vœu est exhaussé.
(18-23 y.o) — la flambeuse de cœur, rouge allumette ”_Boxeuse
_
Cycliste. Regarde les mollets, dit-il d'un ton sans appel.
_T'as vu son dos ? Le vélo ça forge pas un dos de la sorte
_
Monter des côtes ça forge tout, je te dis. ça se voit que tu n'en as jamais fait toi. Du vélo... je pourrais t'apprendre un jour, mais je pense pas que ça puisse être bien palpitant quand on fait du balais volant.Audric lève les yeux au ciel avant de se laisser choir sur sa chaise. Mandy, juste à côté, lui envoie un coup dans l'épaule comme elle le fait d'habitude. C'est leur check respectif, depuis qu'ils sont tout jeune. Et c'est dans leurs habitudes de se retrouver là, dans ce petit bistrot perdu du Londres moldu. Après qu'Audric ait cessé de sillonner les pensionnats, se faisant virer à droite à gauche, c'est devenu plus aisé pour eux de se retrouver. La demoiselle Nott, excellant dans son cursus d'offensive magique à Poudlard lui accorde bien volontiers la majorité de son temps de vacances pour qu'ils puissent se voir. Dieu sait que c'est compliqué depuis qu'Audric a tenté d'imposer son souhait de travailler dans le monde des sorciers. Entre sa mère, qui y a perdu un œil, autant au sens propre que figuré, et la tripotée de McLeod qui souhaiterait fort bien dissimuler la honte de la famille aux yeux des autres grands noms de ce monde, il y a plus que de quoi annuler ses projets. Et comme si cela ne suffisait pas, les parents de Mandy ne cautionnent pas non plus ses escapades en ville bien qu'ils en ignorent la visée. Rien que de songer à leur précieuse petite fille entourée de risibles humains, ça a de quoi les rendre dingues. Alors imaginez si elle leur avait révélé que c'était pour retrouver son ami d'enfance, cracmol en plus de ça ? Ils auraient fait une syncope, voila qui est certain. Où se seraient étouffés avec un de leurs boursouflets de compagnie rongés par le dépit.
Quoi qu'il en soit, Mandy est là, et tout deux regardent les filles qui passent dans le parc en face, en train de faire ce qu'on appelle du jogging - chose que bien peu de sorciers doivent connaître-. Alors que la jeune fille s'amuse à entortiller les cheveux bruns de l'être dénué de magie autour de ses doigts, l'autre sourit, et en profite pour avaler une gorgée de café. Liquide amer qui lui brûle un peu la trachée au passage, il a beau en boire de temps à autre, il ne comprendra jamais ce que peuvent bien trouver les humains à cette boisson, au point d'en boire tous les jours, tous les matins, toutes les heures.
_
Dis Mandy, tu veux faire quoi plus tard ?_T'en poses de ses questions aujourd'hui, ça ne te ressemble pas. J'en sais trop rien, sans doute comme papa.
Le père de la jeune fille est haut- employé au sein du gouvernement et c'est quelqu'un qui ferait froid dans le dos de n'importe qui. C'est le genre d'homme loin d'être avenant. Déjà enfant, Audric n'appréciait pas le croiser, c'est à peine s'il supportait ses regards trop pesants, bourré de suffisance. Alors, penser que sa fille, tout son contraire souhaite rentrer dans le même genre de case, cela a de quoi le surprendre, l'étonner. Le jeune homme secoue la tête tout en continuant de sourire, le regard perdu dans le vague.
_
T'as vraiment pas d'autres idées, plus originales ? Je sais pas moi, partir à l'aventure dans je ne sais quel pays à la recherche d'une fichtrerie de fontaine de jouvence ? inventer de nouveaux sortilèges histoire que ta promotion ait de quoi jaser à ton sujet au moins jusqu'à ce qu'ils deviennent aussi aigris que le vieux Peverell ? _Non, puis t'occupes, ça te concerne pas.
_
Tout me concerne quand il s'agit de toi.Après tout, ils se connaissent depuis presque toujours.
_
Tu sais, moi, quand j'aurais mis assez de sous de côté, je crois que je partirais. J'irais voir ailleurs, si quelque chose de mieux peut m'y attendre. Je compte pas rester les bras croisés ici, à servir dans ces bars miteux des boissons qui n'en valent pas la peine ou à attendre qu'un de mes très chers cousins finisse par me tomber dessus en se disant que ce serait moins embarrassant que le fils de Jack disparaisse pour de bon.Oui, Audric il a fini par avoir l'impression d'être sur la sellette en permanence. De ne plus pouvoir faire un pas de travers, et cela peu se comprendre, après avoir manqué de se faire occire deux fois, on ne peut que songer à quand la prochaine ? Jamais deux sans trois. Et ces mots ancré dans la peau, il se surprend à douter de presque tout, à ne plus pouvoir vraiment vivre sereinement. Il a sans cesse l'impression qu'on l'observe, comme si cela se sent qu'il n'est pas de ce monde, et qu'il n'est pas non plus fait pour l'autre. Il le ronge, d'ailleurs, les regards, en permanence. Comme si le troisième œil s'amusait à le scruter, juste pour le mettre mal à l'aise. Cette sale impression lui rappelle trop vivement Léandre, ce fameux cousin qui le suit comme une ombre mais pas de façon aussi discrète. Si ses regards pouvaient tuer, nul doute là dessus, il en crèverait.
_
Tu pourrais venir avec moi. On pourrait y aller ensemble.Ailleurs.
Loin des lueurs de la ville.
Et de leurs yeux revolvers.
Mais en a tu seulement envie, Audric ?
(23 y.o)— la drôle de petite mort, couleur pastelle”Est-ce qu'ils existent au juste ces mots ?
Ces mots suffisamment forts,
Ces mots suffisamment beaux,
Ces mots si fort, si beaux, qu'ils t'aurais laissé pantois
au point que t'en restes là ?
(aujourd'hui même je les cherche encore.)
A peine né qu'on décline, qu'on s'engage le long d'une pente insurmontable, et qu'on s'y casse les os, morceaux par morceaux. La vie nous quitte, d'ors et déjà nous grappillant de petite dose en petite dose l'existence. Des doses, un peu trop petites pour qu'on puisse s'en apercevoir, mais suffisamment grandes pour que l'après survienne. Suffisamment pour qu'on se meurt de l'intérieur. Pour que le bouquin d'aventures finisse façon papier mâché, pour que les rêves ne soient que pensées avortées. C'est bien triste mais c'est comme ça. Impossible de se plaindre, d'en redemander ou de faire les beaux yeux. C'est triste mais il donne pas de rab'
au comptoir de la fin.
Un jour, Mandy est partie. Direction Ste Mangouste. Elle était pourtant si belle, si différente. Finalement devenue Auror, elle voulait œuvrer pour le bien, créer de ces mains un monde comme dans sa boîte à rêves. Un joli monde, couronné de paix et de joie. Puis il y a eu cette mission. Cette couverture dévoilée un peu trop vite, et ce vile sortilège. Cette magie noire qui effraye les spécialistes qui se pressent à son chevet. Certains disent ancien maléfice, d'autres, nouveauté complexe, sans parvenir à se mettre d'accord. Et pendant ce temps, l'horloge de la vie continue de marcher alors que la machine de Mandy se détraque. Il s'en voulait, de ne pas avoir la moindre influence, ou encore la moindre capacité dans le domaine de la magie, à devoir se contenter de rester assis dans le fauteuil à proximité de son lit, à éviter les horaires où par mégarde il risquerait de croiser ses proches. A eux deux, il s'étaient amusés longtemps,de tout ce qu'ils pouvaient. Ils avaient vécus d'impossible, dépassant les bornes et grugeant les limites. Pendant tellement de temps. Malgré eux, le temps avait fini par les rattraper. Il les avaient défaits.
Désormais, les médicomages souhaitaient l'aider, à appréhender sa nouvelle vie, à gérer la croissance de ce sortilège qu'ils étaient incapable de contrôler. Audric savait ce qu'il voulait pour de vrai. Il savait mettre les mots sur ce qu'ils n'osaient tous dire. Ils voulaient juste l'aider, l'aider à mieux mourir. Mais Audric s'en fichait de ça. Lui, il voulait juste la garder, près de lui, comme toujours. Égoïste dans sa tristesse. Et un jour, Mandy lui a demandé, de quitter l'hôpital. C'était au début, quand elle pouvait encore se mouvoir sans trop de difficultés. Ils ont donc commencé à prévoir cette escapade. Le jeune McLeod venait lui rendre visite tous les soir. Ils vécurent quelques semaines comme ça, très belles, très fortes, durant lesquelles Audric ressassa tous les moments qu'ils avaient pu passer. Du plus loin qu'il s'en souvienne, elle avait toujours été là pour lui et il avait toujours tout aimé chez elle. Même maintenant, c'était toujours le cas. Tout.
Son parfum sauge, ses cernes violacés un peu trop prononcés, ses cheveux bille de poivre, sa dégaine Vivienne Westwood des temps modernes, sa façon de le faire graviter autour d'elle, de devenir le centre de son système, ses traits exténués mais tout de même appâtants, les gouttes creusant des sillons sur son visage fragile, les fleurs qu'elle lui accrochait dans les cheveux quand ils squattait dans son jardin, la place qu'elle avait finalement pris dans son appartement bas de gamme, dernier étage sans ascenseur, la façon dont elle lui susurrait des mots doux, ces mots qui le rendait si fou. Même ce gâteau raté qu'elle avait fait pour son anniversaire. Mandy la curieuse. Mandy la splendide. Mandy la superbe.
Le monde avait beau être pareil,
il avait beau être cracmol,
tout avec elle prenait des airs de magie.
Le matin du second mois, le maléfice a soufflé cet espoir. Plus subitement que les bougies sur son gâteau. Sans protester, sans dire un mot. La pierre qui avant n'était pour l'instant située qu'à l'endroit que le sort avait touché s'était mise à prospérer.
Encore et encore, jusqu'à la rendre incapable de marcher.
Et comme son sourire si doux, comme celui de papa avant elle,
la lueur de ses yeux s'était fanée
comme les fleurs à l'entrée.
Tout reprenant des tons de
gris.
(26 y.o)— un tournesol qui jamais ne perdrait ses pétales”Accompagné de Van Gogh, le golden que lui a confié Mandy, le jeune McLeod, plus si jeune que ça, continu de chercher. Il cherche, encore et toujours il cherche. Il cherche un tournesol.
Un tournesol qui tel sa lueur, jamais ne meurt.
Un tournesol comme ceux que peignait Vincent, avant qu'il ne décide de ne plus importuner quiconque et de revenir à l'état de cendres. Audric s'est toujours demandé ce que signifiait cette fleur pour le peintre néerlandais. Il s'en est fasciné, de ces pétales ensoleillés, de ces fleurs jaunâtres d'aspect canari. Si beau à la floraison. Centaines de soleils jaunes qui virent au noir dans les plantations. Mais celle-ci ne sont désormais que restes de ses moments heureux qu'il ne peut se permettre de passer. Il a gardé la boîte à rêves, avec lui. Mais cette vie ne lui plaît pas. Cette vie sans ailes, cette vie de doutes, d'encore, et de peut-être.
Il a perdu Maman, il n'y a pas très longtemps. Elle, elle ne devient pas pierre, à petit feu. Elle est passée directement à l'état de cendres. Les circonstances de son décès ne lui ont pas été vraiment détaillée, mais son paternel s'est donné la peine de lui envoyer un courrier par hiboux, ce qui est plutôt rare venant de lui. Certes, le contenu de la lettre n'était point chaleureux et contenait une mise en garde spécifique quant au fait que sa présence à la cérémonie risquerait de ne pas être approuvée par la famille. Comme s'il était suffisamment naïf pour ignorer combien lui coûterait un petit détour dans la demeure McLeod. Il n'en a d'ailleurs pas eu besoin pour recroiser un énième emmerdeur désireux d'attenter à sa vie. Et ce jour là, Reine a toqué à la porte de son existence. Plus précisément, y a fait irruption, lui évitant un décès prématuré, parée d'une couronne de camélias et de promesses dans ses longs cheveux blonds.
Pendant ces quelques mois, années qui ont suivis le sortilège de Mandy; il avait fini par croire que tout n'était que gris. Que les couleurs qu'il voyait enfant n'étaient que simple leurre, cachant la désillusion et l'aspect fade de ce monde atroce et fade. Mais avec le temps il s'est mis à y croire, et pourrait désormais conter aux aveugles le règne des couleurs rien que par ses mots. Couleur jasmin, beauté sans fin, comme ce monde qui lui fut offert, ce monde de plumes, de paillettes et de volutes artistiques. Apporté sur un plateau d'argent, sur lequel il valse désormais au milieu du monde sorcier, comme il l'a toujours souhaité. Il y a tant de tons dans ce monde qu'on ne peut que s'y attarder, comme sur les tableaux des grands peintres. De chaque teinte ou nuance se dégage multitudes de sensation. Comme quand un rayon passe par la vitre et tombe d'une façon si particulière.
(29 y.o) — mosaïque solitaire ”_M'savez, j'me suis déjà fais une déchirure musculaire rien qu'en changeant une mandragore de pot.
_Moi je m'suis méchamment ouverte l'arcade en tentant de faire une tête dans un cognard... qui dit mieux ?
_
Les gars, stop pouvez pas test. je me suis déboîté l'épaule en essayant -en vain- de m'arracher un foutu poil de nez._Ah ouai, audric, notice me.
Un trio déjà bien allumé alors que la soirée vient à peine de s'entamer, les gorges asséchées par les calomnies qui ne cessent d'en sortir, trop rapidement pour se refaire une santé malgré les verres d'alcool qui valsent sur la table, de main en main, de lèvres en lèvres. Toujours à jouer au plus risible des trois. en bas on entend les rires gras des types qui viennent rassasier leurs désirs au mademoiselle, de ces gars qui s'écroulent dans le fictif au lieu de chercher un peu de concret, des choses bien plus délicates auxquelles pouvoir enfin goûter. Chanel fini par se lever, histoire de changer la musique qui hurle en boucle depuis la chaîne hifi qu'elle a réussi à se payer avec son salaire du mois dernier et qu'elle trimbale partout depuis. Elle est comme toutes les autres filles Chanel, elle aime hole, l5, year bitch, m.i.a ,maître g, et d'autres trucs dans le genre, assez atroces. des trucs que seules les filles peuvent écouter sans choper de migraines. Faut croire qu'elles ont des oreilles différentes des autres, dotées de goûts désapprouvés. Il sait pas vraiment quoi en penser Audric, il se dit qu'un jour ça lui passera, s'il campe sur ses positions, à monopoliser le lecteur avec ses disques à lui. Mais non, les filles sont têtues, elles veulent toujours croire qu'elles ont raison. Elles veulent qu'on leur envoient des fleurs, qu'on les acclament, mais qu'on leur disent qu'elles ont des goûts de chiottes, ça non, interdit. Même si c'est à vomir. in-ter-dit.
Quant à Ungram, faut croire qu'il supporte ça. Il donne presque le mal de mer, à voir sa tête tanguer sur les côtés, au rythme du son, mais tant qu'il ne parle pas ça reste supportable. Ce mec c'est un moulin à paroles, une machine à débiter quinze mots à la seconde quand il est clean. C'est pas pour rien qu'on se sent parfois dans l'obligation de lui proposer un ou deux verres de firewhisky en soirée, ça l’assomme un peu et il devient plus supportable à côtoyer. On a beau lui dire, qu'il faudrait qu'il ferme sa gueule parfois, lui, il sait pas faire ça, c'est bien trop naturel de parler. On dirait qu'il a peur, de s'arrêter. Comme si un jour on pouvait le priver de sa langue. Audric y a déjà pensé parfois, à lui brider la langue à partir d'un funeste sort. Mais d'une, Audric n'a pas de don, et de deux, un Ungram sans paroles, c'est comme une horloge sans aiguilles, comme un soleil qui s'écroule dans la mer, un baryton qui perd la voix en plein milieu de son récital sur la scène du cabaret. C'est too drama, pas net, pas réel, bien trop fade dans un endroit comme celui-là. Alors, Audric, affalé sur une chaise, les bras posés sur le dossier, tangue aussi. Comme un funambule, il cherche le bout du fil, la fin de l'histoire.
Il aperçoit ensuite le serveur qui le lorgne du regard à travers l'embrasure de la porte, il lève les yeux au ciel, jetant des coups d’œil inquiets dans le couloir. Normal, généralement, ils aiment pas trop avoir à monter à l'étage, alors ils évitent soigneusement le coin. Pour peu qu'ils croisent Reine dans les couloirs, c'est la catastrophe assurée. Ce soir, elle n'est pas là la gérante. C'est donc lui qui gère la bâtisse du 35 Phillmore Garden. Chose exceptionnelle pour un cracmol. Mais Reine lui fait confiance, et pour rien au monde il ne dérogerait à sa tâche. Fin bon, quoi qu'il en soit, le serveur ne semble pas serein. Il est possible qu'il se passe quelque chose en bas. Audric se lève donc, adresse aux deux camarades sorciers un signe de tête pour prendre congé et prend le chemin de l'escalier. L'homme explique que l'on a besoin de sa présence en bas, pour superviser l'ensemble du spectacle et qu'il ferait mieux de se dépêcher de ramener son cul terreux de cracmol en bas. Audric hausse un sourcil, songeant au bon plaisir que ce serait de lui cracher dessus. Il lâche un rire moqueur avant de se contenter de suivre l'imbus de lui-même. Il aurait pu faire quelque chose, mais il n'a pas le temps. Il n'a plus le temps pour les cons. Sans se presser, il a salué la plupart des salariés de l'endroit, puis sans l'ombre d'un regard au serveur frôlant l'agacement, il s'est rendu dans les coulisses où l'agitation était à son comble pour des broutilles. Une simple mésentente entre la femme léviteuse de cerceau et le façonneur de bulles qui fut réglée en moins de temps qu'il n'en faut pour se vêtir.
Une fois le problème résolu, Audric quitta les artistes sans pour autant prendre le chemin de sa chambre. Préférant rester dans le secteur au cas où quelque chose tournerait au vinaigre durant la représentation. Pour rien au monde il ne laisserait un flop se produire au Mademoiselle. Il aime trop le lieu et sa bienfaitrice pour ne pas se soucier de l'influence que peut avoir un mauvais show, et de la retombée que cela entraîne sur les rentes de l'établissement. Assis sur un des sièges à proximité du bar, Audric aperçoit le chien de son ami, Sacha. Le Jack Russel se ballade parmi les patronus, faisant parfaitement illusion pour son maître. Le barbu grattouille un moment l'animal derrière l'oreille avant d'apercevoir les cheveux blonds de son maître, tapis dans la foule. Audric s'inquiète un peu pour Sacha en ce moment. Le laisser le remplacer au côté de Reine pour l’événement qui se tiens la semaine prochaine ne lui semble plus être une si mauvaise idée que ça. Si le McLeod lui souhaite de découvrir ses origines, il ne lui désire pour autant pas un destin similaire au sien. Il tient trop à cet acolyte pour ne pas se soucier des répercussions que pourrait avoir sa présence dans une réunion de la communauté magique. Il n'aime pas ça, le mettre en danger de la sorte alors que lui s'y soustrait. Si par mégarde, Reine se retrouvait en mauvaise position et ce malgré la formation que tout deux s'acharnait à donner au cracmol, il ne pourrait se le pardonner. Rien que d'y penser,
ça lui fait des vagues, dans l'âme.