Y'a Gregor, y'a un autre homme, en face de lui, dans quelque chose qui ressemble un peu à un pub miteux. L'homme en face de Gregor boit une bière. Gregor boit un cocktail beaucoup trop élaboré pour l'endroit. Ce ne sont visiblement pas leurs premières consommations.
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T'es prêt?  Je vais pas me répéter, faut suivre.

Ma vie est une succession d’échecs, et par Merlin, j’arrive pas a m’y faire.

La naissance : déjà, échec massif. Faut pas me méprendre, je dis pas que j’ai honte de ma famille. Mes parents sont probablement plus cool que les tiens. La partie échec vient du fait que j’aurais dû naître sang pur en théorie, mais que c’est pas ce qui est arrivé. L’échec vient peut-être aussi un peu de ma situation familiale, apparemment que c’est pas l’idéal, un père absent et une mère criminelle disparue, mais les Beurk étaient des gens bien, alors ca a compensé.

En fait, c’est de la faute à grand-papa. Il a marié la fille d’un guerrier Maori. « Ils valent quoi les sorciers? Ils valent que dale! » Il avait raison. Les pseudos princesses des ténèbres aux mains gantés comme Cassiopeia ne sont capables de rien, mais n’empêche, j’aurais préféré naître sang pur. Ca vient avec un certain statut. C’est une supériorité en soi. Mais mon grand-père, il avait un sacré culot. Ma grand-mère aussi. Mon père, il a jamais été là. Il est revenu en Angleterre, mais le temps ne lui plaisait pas, je suppose, alors il est reparti assez vite.

Ça restait un Barjow, mais c’était un Barjow déchu. Il a marié une sorcière quand même, mais c’était un peu tard pour la lignée, et je crois qu’elle a peut-être fini par regretter de s’être associée au côté sombre de la magie. Je veux dire, la réputation des Barjows ne s’est pas bâtie sur rien, c’est pas pour les enfants de cœur, les histoires qu’on se raconte en soupant. Bref. Ouais, y’a du sang moldu du côté de ma mère aussi, tu te doutais bien qu’on allait pas ruiner deux lignées en une. Et puis, bien honnêtement, tant mieux. Ca élargit un peu le choix, et personne ne s'en mêle. Personne ne s'est jamais mêlé de mes fréquentations non plus. Remarque, y’a du sang moldu du côté de ma mère, mais pas n’importe lequel. Je suis cousin avec la famille royale, en quelque sorte. Si si, j’te jure. La vraie, l’anglaise, celle qui règne encore, pas comme ces français qui rôdent dans le coin, doublement déchus. Je veux dire, elle vaut quoi ta royauté si elle sait pas mâter ses rébellions. Cousin avec qui? Comme si tu le connaissais. Un duc.

Quand j’étais petit, je me disais qu’un jour, mon père allait venir me chercher et m’emmener où il était. Si ça se trouvait, j’étais un prince. Il est revenu, finalement, mais ça valait pas le coup, et puis il était un peu tard. Les Beurk avaient raison, j’avais ma place parmi eux. Enfin, parmi eux, mais jamais au-dessus d’eux, ça, on me l’a bien fait comprendre. Reste que Barjow et Beurk, c’était moi et Elijah, maintenant, on avait un certain prestige. On formait un duo élégant. Ça me plaisait, toutes ces possibilités. Parfois je me dis que j’aurais dû naître en tant qu’Elijah, mais je me dis que j’ai probablement beaucoup plus de plaisir en tant que Gregor, tu vois ce que je veux dire?

De quoi on parlait déjà? Ah ouais. Des échecs.

Donc après la naissance, le gros échec majeur, c’est Poufsouffle : Juron de Poufsouffle de bouse d’hippogriffe. Comme si la honte de ne pas être reparti à Serpentard n’avait pas été assez grande. Serdaigle, même Gryffondor, à la limite. Mais Poufsouffle. Juron! Te fais pas d’illusions, j’ai la gentillesse amère, la loyauté rêche, et encore pas pour tout le monde. Quant à la patience, tu préférerais peut-être que je n’en aille pas. Par exemple, quand j’ai la patience d’attendre quatre jours dans tes buissons que tu sortes de chez moi pour qu’on règle des trucs, ensemble. Évidemment que c’était un sujet de moqueries, et évidemment que je m’entendais pas avec mes « camarades » de maison. Bon, je dois avouer, y’en avait des moins sensibles, des un peu plus durs à cuire, pas beaucoup, mais quelques un. C’est sûr que dormir le soir dans la même chambre que le mec que tes amis de Serpentard ont ridiculisé plus tôt dans la journée, c’est pas l’idéal. Mais au moins, là je voyais ceux qui allaient s’en remettre et ceux qui valaient pas le coup qu’on s’intéressent à eux. Et puis, j'ai appris. Quoi? Ce qu'on apprend, en traînant avec des gens limités, des gens un peu comme toi en fait, c'est qu'il faut pas les sous-estimer. Jamais. Les gens cons ont pas de limite à leur connerie, et ça pourrait se retourner contre toi. Alors, je jamais sous-estimer personne, et regarder tout le monde avec suspicion. Les gens gentils sont tout aussi vicieux que les gens cruels. Faut pas se leurrer. Les gens qui clament leur bonté d'âme, en général, sont les premiers à te rentrer dedans et à t'insulter. Moi au moins, j'ai jamais fait aucune promesse de grandeur. Et puis maintenant, je connais un paquet de gens. Faut jamais cracher sur les dettes et les connexions diverses. Même s'ils te portent pas dans leur coeur, s'ils te connaissent, s'ils connaissent ta réputation, tu peux en tirer du profit. Faut être snob avec tout le monde ou avec personne. De toute façon, je traînais avec Elijah, mais je voyais bien le regard que certains de ses amis posait sur moi. Après deux trois coups de poings, en général, ils arrêtaient de me regarder tout court et à l'avenir, feulait comme des chats à mon approche mais jamais sans plus. Elijah s'interposait jamais. Je pense que ça l'amusait, ce toqué. Ah, non. Il s'est interposé une fois, quand j'ai mis la main au collet de Princesse Black. Il a toujours eu un faible pour elle. Je pense qu'elle a quand même eu peur.

Parlant de Poudlard, y’en a quand même eu plusieurs, des échecs. C’est pas de ma faute, les trucs que je trouvais intéressants se trouvaient pas à l’examen.  De toute façon, c’est pas comme si j’allais devenir auror, j’avais un commerce à reprendre, et ça me branchait bien. J’ai fini mes sept années à Poudlard, mais je ne me suis pas éternisé. C'était mort, là-bas. Les profs, les étudiants, les fantômes, les tableaux, tout était mort. Les gens qui trouvent que ce sont là leurs plus belles années ont mené des vies centaurement ennuyantes.

En fait, j’avais pas mal de projets, des projets bien plus intéressants, bien plus lucratifs. J’avais bien plus de projets qu’Elijah. Lui, il avait le magasin et Cassiopeia. Moi, j’avais ce qui restait, donc je devais bien trouver des trucs à moi, surtout que je ne la supportais pas. Combien de fois lui ai-je dis que c’était une folle!? Est-ce qu’on m’a écouté? Non, bien sûr que non. Moi je voyais clair dans son jeu : elle voulait exactement ce que moi je voulais : la fortune du magasin, et l’amour d’Elijah, peut-être. J’ose espérer, pour lui. Qu’elle crève, elle et son charme féminin.

En fait, c’est ce que j’aurais dit. Là, faut surtout pas qu’elle crève. Parce que Elijah m’a demandé de veiller sur Cassio. Le genre sur ma vie, si vous voyez c’que je veux dire. Le genre d’avec un serment inviolable. Et moi l’imbécile, j’ai accepté. Ce devait probablement être un très beau moment, fort en émotion pour que je me laisse prendre dans un tel traquenard. Maintenant, si la folle meurt, je meurs, et par Merlin, on connaît tous l’espérance de vie des fous. J’ai tout le mal du monde à la suivre, juste l’autre jour, elle décide de jouer à la sorcière surpuissante et d’aller mâter la rébellion de la vermine à Pré-au-lard, comme ça, sans me demander mon avis avant. Eh bien! Ils ont perdu. Encore. C’est moi qui te le dis, il faut moins de mamans esseulées sur le champ de bataille et plus de gens comme moi. La dernière fois, au complexe, y’avait déjà un peu moins de drame, mais y’en a quand même qui se sont fait butés. Je t’ai déjà parlé du complexe? Je me sens nostalgique, juste d’y penser. Mais même à la fin, ça devenait lassant. Briser la volonté de vivre de gamins, bof. Maintenant qu’ils sont au large, là, ça redevient excitant. La chasse, tu vois. J’suis un chasseur. Et puis c’est mieux ça que de rester avec elles. Parce que maintenant que Elijah est plus là…. C’est insupportable. Leur regard. Leur présence. Si je travaille encore au magasin, c'est parce que ça les agace, t'imagines bien. J'vais pas abandonner si vite. J'ai juste aussi d'autres choses à faire.

J’ai dit elles au pluriel, parce que comme si c’était pas assez que ce soit Cassiopeia qui ait désormais le magasin, on promet un part de marché à l’autre abomination. Mywy quelque chose. Nom d’un gobelin, qu’elle me fait peur. Toutes les femmes me font un peu peur, mais ce monstre! Cette abhération! Je vois clair dans son jeu, elle se sert clairement de sa monstruosité pour faire l’innocente. Faut se méfier des gens très beaux comme des gens très laids, faites-moi confiance, je sais de quoi je parle. Et ce serait elles qui auraient la boutique. Qu’ils changent le nom pour Gogospard et Black, moi je ne veux plus que mon nom soit associé à ces folles, parce que pour l’instant, j’y gagne absolument rien.

Laisse-moi te dire…

Cassio n’a jamais compris comment se tenir avec les hommes de main. C’est parce que c’est une femme bourgeoise. Elle nous regarde de haut, toi et moi. Elijah, non. Elle, si. Il faut pas qu’elle oublie qui est en bas, qu’il suffit qu’on en ai marre et qu’on leur coupe l’herbe sous le pied. Elle ferait pas la moitié du sale boulot que je fais. Et je le fais bien, elle le sait. Vois-tu, je fais ce que je fais parce que c’est marrant, parce que j’en ai envie, pas parce que je ne peux pas faire autrement. C’est un jeu de rôles, vois-tu. J’aurais pu travailler au ministère aussi, j’ai la garde-robe pour.

Non, mois je ne suis pas un bourgeois, je suis un aristocrate. Je suis un excentrique. Je pratique l’art du snobisme. Le fait pas qui veut. De la bierraubeurre, tu trouves que ça fait pas snob? C’est que t’y connais rien. Les vrais snobs boivent de la bierauberre par ironie. C’est snobber le snobisme.

Elle n’a toujours eu de yeux que pour Elijah. J’suis beau, pourtant. Mais même son nom sonne mieux que le mien. Gregor, c’est un grognement. Elijah c’Est une cascade. Ca m’irait d’ailleurs bien mieux qu’à lui. J’aurais été un bien meilleur Elijah Beurk que lui.

Quoi? Non mais oh! Tu te prends pas pour de la bouse de dragon pour parler de lui comme çca! Moi, c’est pas pareil. Moi je peux. Moi, j’ai connu l’homme. J’ai grandi avec lui. J’donnerais ma vie pour lui. En fait, je l’ai déjà fait. Santé!

La vie est mal faite, mais je vais pas passer mon temps à me plaindre. Je suis plus futé que ça. Je suis un guerrier.

-Tu détales comme un lapin

-C’est aussi ca, l’art du guerrier. L'art de la retraite. C'est noble. Tu y connais rien. Beth, par exemple. Ma femme. Mon ex-femme. C'était un retrait stratégique. Tout le monde s'entend pour dire que la gamine se porte mieux quand j'suis pas trop dans le coin. Au moins, moi j'ai le courage de dire que j'ai pas l'étoffe d'un père modèle, je fais pas semblant. N'empêche, la petite, elle est cool. J'suis fier que ce soit ma fille. Elle a plus de gueule que bien des mecs que je connais. Elle aussi, elle va faire ce qu'elle veut dans la vie, elle va pas se faire chier, j'en suis sûr. La preuve, elle a pas la langue dans sa poche et me dit bien assez souvent ce qu'elle pense de moi. C'est pas méchant, c'est honnête. Les gens sont trop sensibles. Moi, je suis pas sensible. Nan, comprends-moi bien, je suis pas un bloc de glace non plus, j'aime plaire, si tu vois ce que je veux dire. Mais je suis pas du genre qui se prend la tête, qui ressasse ses refus et ses échecs. Non, là, je ressasse pas, je te raconte, c'est pas pareil. Ça m'affecte pas, tu vois.

Un jour, je vais peut-être partir. J'pense même pas que je suis déjà allé jusqu'en Écosse. Mais j'pense pas non plus que y'a des grandes révélations à y avoir ailleurs. De toute façon, pour l'instant, je suis trop occupé ici.

D'ailleurs, tu veux bien t'occuper de l'addition? Je suis un peu à sec ces temps-ci. Vois ça comme un échange, mon histoire en échange d'un verre. Qu'est-ce que tu crois? Je t'ai dit que j'étais un aristocrate, pas un bourgeois, je roule pas sur l'or.  Au 20e siècle, c'est dur. J'ai un standard de vie à maintenir, et un standard d'occupation auquel je ne peux pas m'abaisser. Je te le revaudrait bien, dès que je clos mes contrats. De toute façon, si ça se trouve, ça te rapporteras. Crois-moi.

Comment ça, mon histoire vaut pas un verre? C'est rude de dire ça. Tu voulais quoi de plus? Des histoires dramatiques? Des détails sur des traumas d'enfance exagérés? Le nom de mes contacts, peut-être?

Bouge pas, j'dois aller aux toilettes, on règle ça quand je reviens. L'insulte! L'insolence.

Gregor se dirige vers le fond du bar, tourne à gauche au lieu d'entrer dans la toilette, pour hommes. Il emprunte la sortie de secours au fond de la salle d'entreposage et disparaît dans la nuit en sifflant.