Plus rien ne te rattache à ce monde. Plus rien. Ta mère s’est suicidée sous tes yeux, le jour où t’as reçu ta convocation à l’école. Parce que ton père a été obligé de lui montrer qu’il était un sorcier et elle l’a pas supporté. Vivre dans le mensonge comme ça, non. Vous viviez dans un immeuble assez grand, au sixième étage. Elle s’est défenestrée. Sous tes pauvres yeux de gamine. Et toi, t’as fait quoi ? T’as accouru à la fenêtre pour voir, peut-être que maman vole après tout. Mais non. Elle vole pas maman. Maman elle est étalée par terre, dans une position bizarre, le sol tâché de rouge autour d’elle. Et t’entends des gens qui hurlent dans la rue, des sirènes au loin, de l’agitation partout autour de toi. Ton père panique. Toi ? Tu pleures même pas. Pourtant maman est morte. Maman ne reviendra plus. Plus jamais. La police débarque. On te demande ce qu’il se passe, ce que t’as vu. Tu dis juste ce qu’il s’est passé. Maman a ouvert la fenêtre, elle s’est assise au bord et elle s’est laissée tomber dans le vide. Le policier ne te croit pas. Papa a forcément poussé maman. Non. Papa n’a rien fait. Papa n’y est pour rien. Tu hurles, tu te débats mais rien à faire, ils passent les menottes à papa et papa s’en va, les larmes coulant silencieusement sur son visage. Papa… On t’a placé chez mamie le temps que l’enquête soit terminée. Mamie. La maman de papa. Elle sait, elle. Elle sait que papa n’a rien fait. Elle comprend. Elle-même, elle a vécu ce que maman a vécu. La découverte de la nature magique de son mari, de la magie présente en son fils, en papa. Alors elle comprend, elle t’écoute. Ou plutôt tu l’écoutes puisque tu ne parles pas. Elle t’emmène faire tes courses scolaires, pour ta rentrée magique. Tes manuels, tes ustensiles, tout. Et elle t’accompagne jusqu’à la gare le jour de la rentrée. Elle te serre dans ses bras, étreinte à laquelle tu ne réponds même pas, et tu montes dans le train. Tu t’installes dans un compartiment plus ou moins vide et t’observes le paysage en silence durant tout le trajet. Et c’est pareil toutes les années.

Première, deuxième, troisième, quatrième année. Le temps passe, s’écoule, tu grandis dans ce monde magique que tu découvres progressivement. Les maléfices t’attirent, les sortilèges te fascinent. Papa est sorti de prison. Bonne conduite qu’on dit les juges. En même temps, papa est innocent. Mais personne n’a voulu te croire lors du procès. Alors pour les vacances d’halloween, t’es heureuse de rentrer à la maison. Revoir papa. Ton papa chéri. Mais quand tu arrives à la gare, personne ne t’attend. Papa n’est pas là. Tu réussis quand même à retourner à l’appartement. Mais le nom sur l’interphone a changé. Où est passé papa ? C’est chez mamie que tu te retrouves. Elle non plus, elle n’a pas de nouvelle de papa. Elle a pourtant essayé de le joindre mais non, il ne répond pas. Quinze ans. Pourquoi pas ne répond pas ? Pourquoi n’est-il pas revenu ? Il ne veut plus de toi ? Pourquoi ? Fin des vacances, tu retournes à l’école. Mamie t’envoie un hibou pour te demander si tu comptes venir pour noël. Papa n’a toujours pas donné de signe de vie. Il te manque. Papa… Alors non, tu  retourneras pas chez mamie pour noël. Elle t’envoie tout de même de quoi fêter noël. Un cadeau, des chocolats, des friandises et des gâteaux fait maison. Mamie est gentille. C’est vraiment une mamie géniale. Mais papa n’est pas là. Et toi, c’est papa que tu veux. Papa te manque. Tu n’avais pas le droit de lui rendre visite en prison, les juges avaient dit non lors du procès. Alors t’avais obéis. Et t’as jamais visité papa.

Cinquième année. Un matin. Quelques jours avant la rentrée. Alors que tu dors chez mamie, comme chaque été, papa est là. Mais il est pas seul. Il a une femme à son bras. Et il tient un bébé contre son corps. Un bébé. Ton frère. Une femme. Ta belle-mère. Il te fait clairement comprendre que si tu laisses sous-entendre ne serait-ce qu’une allusion à la magie, ta vie est terminée. Belle-maman ne sait pas que papa est magique. Mais, ton frère, il sera magique non ? Il te retourne une claque. Non. Lui, il le sera pas. Pas comme toi. Il crache presque ton prénom. Dégoutant. Tu fuis vers ta chambre. Non, ce n’est pas papa, ce n’est pas possible, papa n’est pas comme ça. Tu attrapes le cadre dans lequel repose une photo de papa, maman et toi et tu le jettes contre le mur, de toutes tes forces. Non, ce n’est pas papa. Papa est gentil, lui. Et tout ce qui te passes sous la main termine sa course explosé contre le mur. Mais papa va revenir, papa reviendra, tu le sais. Et il t’aimera comme il t’aimait avant, papa. Tu ramasses tout ce que t’as cassé et le verre du cadre te coupes l’avant-bras par mégarde. Le sang perle doucement sur ta peau. C’est étrange, comme sensation. Tu saisis le morceau de verre entre tes mains et appuie contre la chair de ton bras. Ça pique, ça fait du bien. C’est chaud sous ta peau. Ça coule le long de ton bras. Tu te sens calme, apaisée. Et tu pleures. Papa ne reviendra pas, jamais.

Sixième année. Tu fais des crises, t’es devenues instable. Ta propre image se dégrade à tes yeux. Tu ne sais plus qui tu es, d’où tu viens. Maman. Qui étais-ce ? Tu es vide à l’intérieur, plus rien ne t’habite. Crises d’angoisses, crises de boulimies et puis crises d’anorexies. Tout te tombe dessus en une année. Tu manges jusqu’à prendre des kilos bien plus que tu ne devrais et quelques mois après, les toilettes deviennent ta résidence secondaire pour vomir tes tripes à force de doigts enfoncés au fond de ta gorge. T’es irritable, un rien te met en rogne, en colère parfois. Tu deviens même incontrôlable des fois. Tu te fais peur. Tu rêves de la vie de ta mère, tu rêves qu’elle est encore là, qu’elle n’est pas morte. Et quand tu te réveilles, elle n’est pas là. T’es dans ce lit froid, dans ce dortoir que tu ne trouves pas rassurant et tu trembles. La seule chose qui te fait te sentir bien est de te blesser, de te faire du mal, le soir, quand tu prends ta douche. C’est pratique d’être une sorcière en fait. Tu peux transformer ta brosse à cheveux en couteau ou cutter suivant les soirs. Toujours plus pratique que d’essayer d’arracher un morceau de carrelage pour te couper. Et puis au moins, ça tranche comme il faut. Et ce qui est encore plus génial, c’est que personne ne sait jamais rien puisque t’arrives plus ou moins à masquer les marques à l’aide de sortilège. Génial n’est-ce pas ?

Septième année. T’es enfin en septième année. Tu te sens plus libre, plus toi-même ? Mais ce n’est que le début. Parce que cette année-là, mamie a décidé de rejoindre maman. Elle souffrait depuis quelques temps déjà. Mais elle a attendu que tu retournes à l’école pour passer de l’autre côté. Quand tu as reçu le hibou de ton père, tout a volé dans ton dortoir. Toutes tes affaires, contre le mur, encore. Mamie. La seule personne qui te rattachait à ce monde, disparue, pour toujours. Crise d’angoisse. Tu es désormais seule. Du sang, partout autour de toi dans la douche. De l’eau froide sur ton corps, pour accélérer la circulation du sang. Mais non, t’as pas réussi à les rejoindre. T’as survécu, seule, dans ton sang. Et t’as repris ta vie. Une vie où tu passes ton temps à bosser et à penser, seule dans ton coin. T’arrives pas à te mêler aux autres. Tu te sens trop différente, trop exclue. Et tu passes tes ASPIC. Avec des notes allant de optimal à effort exceptionnel. Tu brilles dans certains domaines comme les potions et la botanique sans savoir trop pourquoi. Mélanger des ingrédients pour créer des potions, c’est ton délire. T’étudies les ingrédients correctement pour savoir s’ils sont nocifs ou pas et tu testes même parfois tes inventions sur des animaux que tu attrapes dans le parc de l’école, à la lisière de la forêt interdite. C’est marrant non ?

Et maintenant. T’es devenue qui ? T’es devenue quoi. Médecine magique. C’est le cursus que t’as choisi. T’as signé pour cinq nouvelles années dans cette école. Tu sais pas vraiment pourquoi la médecine. Parce que t’as envie de sortir de cette putain de maladie qui te ronges ? De comprendre tes symptômes ? Pourtant c’est pas ici que tu les comprendras, tu le sais bien. Mais qu’importe. La seule chose qui te relie à ton géniteur est le besoin d’argent. Ce n’est plus papa, tu l’appelles par son prénom maintenant. Belle-maman va bien, elle s’efforce d’être gentille avec toi quand tu rentres à la maison. Mais tu vois bien qu’elle ne te porte pas vraiment dans son cœur. Qui voudrait d’une belle-fille morose aux cheveux roses ? Personne. Ton petit frère à quel âge déjà ? 4 ? 5 ans ? Tu sais même pas. Tu l’aimes bien. Tu sais pas pourquoi. Ton instinct maternel surement. Et c’est amusant, quand tu le gardes l’été, tu le fais jouer dans le jardin et il montre déjà des signes de magies. Ton géniteur va adorer l’année de ses onze ans à ton petit frère, oui, adorer. Tes troubles comportementaux sont toujours là, présent, au fond de toi. Ils ressurgissent parfois. Mais moins. Morphine est là pour te canaliser. Ce python tapis qui a débarqué dans ta vie, sans vraiment prévenir, ton patronus qui ressemble plus à un animal de compagnie qu’à un sortilège. Il remplace peu à peu Ashes, ton chat, qui est en train de devenir un chat sauvage tant il passe plus de temps dans le parc que dans ton dortoir. Mais qu’importe, Morphine compte tellement pour toi, t’aide tellement.