-Non.
-Non, quoi ?
-Je ne veux pas de robe.
Les bras de la gamine, croisés fermement contre elle, annonçaient d'office la vaine issue de cette querelle. Ce à quoi sa mère répondit par un long soupir, tout en levant les yeux au ciel.
-Ah non, tu ne vas pas recommencer !
Le timbre autoritaire du père derrière elles fit sursauter l'enfant, qui se retourna vivement tout en reculant de deux ou trois pas. La scène commençait à attirer les regards inquisiteurs, et bientôt les clients de la boutique se mirent à murmurer entre eux, à propos de ce gosse désobéissant et de ses parents laxistes... Voyant que les joues de son mari se teintait d'une drôle de couleur, Triona posa sa voix tout en tentant de calmer le jeu :
-Allons, Saoirse, tu ne veux pas l'essayer, au moins ?
La fillette se tordait nerveusement les doigts, elle savait pertinemment qu'elle ne voulait pas de cette robe mais le regard appuyé que lui lançait Fergal lui fit bien comprendre qu'elle n'aurait pas le choix, cette fois-ci. Cependant, elle ne savait pas pourquoi ses parents se bornaient à vouloir lui faire porter des robes, alors que ces vêtements ne lui inspiraient que mépris et dégoût. En robe, on devient une fille. Et quand on devient une fille, on ne peut pas courir après les copains dans la cour de récréation, on ne peut pas non plus jouer dans la terre parce qu'on pourrait se salir. Quand on est une fille, on doit non seulement jouer à la poupée mais en plus se comporter comme une poupée. On ne doit pas bouger, pas broncher, se faire pomponner... Saoirse serra les poings, leva la tête vers ses géniteurs tout en les dévisageant avec colère. Puis sans préavis, elle cracha avec haine :
-Je ne veux PAS être une fille !  
Elle avait rêvée de ce jour depuis un an maintenant. Elle en avait sept.
Mais elle fulminait depuis plus longtemps, ressassant sans cesse les propos qui n'avait jamais franchit le seuil de ses lèvres. Jusqu'à aujourd'hui. Mais pendant tout ce temps, sa rancœur avait eu le temps de grossir, abondamment nourrie par les attentes parentales. Alors maintenant elle s'enrageait.
Et la robe prit feu ! Littéralement. Triona lâcha soudainement le vêtement, en poussant un cri de surprise ! Fergal piétina furieusement le morceau de tissu, jusqu'à ce que la dernière flamme ne s'évapore. Mais c'était trop tard, la robe bleue devenue noire tomba en miette lorsqu'un vendeur tenta de la ramasser.
Des larmes de fureur refroidissaient les joues empourprées de Saoirse qui s'attendait à recevoir la baffe imméritée.
Il n'en fut rien.  
Fergal se détourna d'elle, paya le prix de la robe, puis lanca un 'rentrons' froid et distant. Triona attrapa la main de sa fille, puis ils repartirent chez eux. Bredouilles et quelque peu atterrés parce qui venait de se passer...

D'un côté, Saoirse se sentait extrêmement bien. Comme si une phrase suffisait à lester le fardeau qu'elle avait longtemps traîné. Enfin longtemps, à l'échelle d'une enfant de sept ans, bien sûre. D'un autre côté, l'absence de réaction de ses parents laissait comme un vide en elle.
Un vide que l'on ne pouvait combler.  





-Hé toi, t'es une fille ou un garçon ?
-Pourquoi choisir ? Je suis les deux. A la fois une fille et un garçon.
-Tu mens, ça n'existe pas !
Saoirse haussa vainement les yeux aux ciels. Pourquoi tout le monde voulait-il que l'univers soit parfaitement ordonné selon deux axes opposés, mais qui néanmoins, s'attiraient ? Le bien et le mal, les femelles et les mâles, le beau et le laid, le noir et le blanc... Où était donc passé le gris ? Qu'avons nous fait de la nuance ? D'autant plus que le gris n'est pas une couleur unique, il a la capacité de se décliner en tout une palette de tonalités distinctes et semblable à la fois. C'est cela, la nuance.
Saoirse est l'une de ces nuances. Du moins, elle le devenait, s'efforçant de nager à contre courant, elle devait parfois supporter de se faire submerger par quelque vagues plus fortes que les autres. Mais patiemment, indubitablement, elle finirait pas triompher. Comme ce jour où elle avait demander à sa mère de couper ses cheveux, que ses parents s'appliquaient à garder longs. A ce moment là, c'était le seul vestige témoignant de son sexe biologique. Bien entendu, la gamine se heurta à un refus glacial. Mais le lendemain, une fillette était arrivé dans la classe de CM2, les cheveux presque rasés. Apparemment elle et sa petite sœur avait jouée à la coiffeuse... Le soir même, Saoirse donna de joyeux coups de ciseaux dans sa tignasse charbonneuse ! Le lendemain, lorsqu'elle entra dans l'école, tout le monde se demanda qui était ce nouvel élève aux cheveux hirsutes mais au visage si doux.    
Globalement, dans sa classe, tous les élèves côtoyaient Saoirse depuis la maternelle. Tous s'habituèrent donc à son petit jeu et tous la considérait à présent comme un garçon à part entière. Les parents en revanche, prirent cette fantaisie un peu moins à cœur. Ils rechignaient lorsque leurs marmots demandais à inviter Saorise à leurs anniversaires... D'autant plus qu'elle se montrait polie et courtoise et qu'elle n'avait choisit de garder presque que les points positifs de la 'masculinité'. Par exemple, jamais il ne lui était venu à l'esprit de taper les filles ou d'être physiquement violente. Au contraire, dans les jeux elle avait plutôt tendance à se montrer galante et laissait gagner les autres. Filles comme garçons, sans réelle distinction. Il était clair que pour son âge, elle inspirait confiance de part sa maturité et dans son école elle n'avait aucun ennemi malgré son apparence de 'garçon manqué'. Et pourtant, d'étranges phénomènes se produisaient en sa présence. Outre la robe qui s'était enflammée toute seule... Ses cheveux par exemple, ne poussaient plus ! Depuis qu'ils avaient été coupés courts, ils semblaient avoir décidé de le rester, de leur propre chef.





Et bientôt, tout prit du sens. Enfin, presque tout.
Ce jour là, et comme tous les autres jours, c'était Fergal qui allait ramasser le courrier. Aussitôt, une lettre close par un cachet de cire piqua son attention. Il fut d'autant plus intrigué qu'elle était adressée à sa fille unique ! Il appela sa femme et ensemble ils ouvrirent la lettre, quelque peu interloqués. Ce qu'ils y découvrirent acheva de les dérouter... D'un côté cela semblait totalement saugrenu, voir même complètement fou. Mais d'un autre, cela expliquerait les mystérieuses mésaventures entourant Saoirse...  D'ailleurs, lorsque cette dernière entra dans la cuisine, elle vit pour la première fois sur leur visage, une expression qu'elle ne leur connaissait pas. Comme un subtil mélange de peur et de fascination. Alors elle prit connaissance de la lettre. Aussitôt, elle crut mots pour mots tout ce qui y était inscrit. Elle refusa de croire qu'il s'agissait d'une blague ou même d'un rêve.

Ainsi, ils se rendirent au Chemin de Traverse, afin d'acheter tout l'équipement nécessaire, comme l'indiquait la liste jointe à la lettre. A peine Saoirse fut-elle entrée qu'elle sentait qu'elle n'avait plus du tout envie de quitter ce monde. Son nouveau monde. Pour la première de sa vie, elle prit plaisir à essayer des robes ! Mais des robes de sorciers, comme indiqué sur le papier... Il était toujours hors de question qu'elle rentre dans tenue rose à froufrou. A part peut être s'il s'agissait d'un pari ou d'une blague.
Quoi qu'il en soit, un nouveau monde s'offrait à elle. Un monde où l'étrangeté et la bizarrerie lui semblait de mise. Ce fut donc le cœur gonflé d'impatience qu'elle attendit la rentrée scolaire.

Elle déchanta rapidement.
Non seulement elle fut catégorisée parce que née de parents non sorciers, mais en plus parce que les questions de genre subsistaient belles et bien dans le monde magique. Mais au moins, le fait de découvrir des matières complètement nouvelles la passionna et lui fit peu à peu oublier sa morosité. D'autant plus qu'elle s'était trouvée une matière de prédilection en la confection de potion. Avoir, entre autre, la possibilité de soigner quelqu'un ou au contraire, de l'endormir à jamais la gonflait d'un orgueil nouveau. Non pas par haine, mais simplement par goût pour cette espèce de sentiment de supériorité qui l'enveloppait.

Elle accueillit l'apparition de son patronus à ses côtés avec allégresse et curiosité, la jeune femme étant totalement ouverte aux changement. D'autant plus qu'elle s'était rapidement rendue compte qu'elle n'était pas la seule dans ce cas là. Ses quelques amis lui envoyèrent des lettres lui faisant part de leurs propres expériences. L'arrivée de Grahyena fut l'une des choses qu'elle ne perdrait pour rien au monde... Ainsi, elle prit peur lorsque commença la peste des patronus. Peu à peu, elle voyait ses amis partir à l'infirmerie, en attendant son tour... Bien sûre, au début elle pensait comme tous le monde que ce n'était qu'une simple grippe. Mais quand certains patronus se volatilisèrent, cela devint des plus inquiétant. Fort heureusement, il semblerait que Saoirse fasse partie de la population immunisée à cette drôle de maladie. Ainsi, sa hyène resta à ses côtés, conservant exactement la même personnalité.