« WAS ?¹ » gronda Hiltrude à la façon d’un ouragan. « Wiederholen, was ist los mit dem Kind ?² » répéta t-elle à nouveau, fixant alternativement son cher Alfred puis l’espèce de vieux parchemin que l’homme hébété tenait à deux mains.

Bien dissimulé derrière le coussin du fauteuil, le gamin mourrait bien sûr d’envie de bondir dans la cuisinette en proclamant haut et fort qu’il était un magicien, que le grand monsieur accoutré bizarrement leur avait tout bien raconté et que c’était fini pour lui, les casseroles de vieille choucroute et les tâches ménagères le week-end! Verdammt³, qu’est-ce qu’il aurait payé cher pour que la sorcière – quoique tout bien considéré, Enrick allait peut-être devoir revoir le champ lexical d’insultes à saveur folklorique qu’il lui réservait – soit présente au moment des explications, qu’elle puisse entendre à quel point il était spécial lui au moins, qu’il possédait de vrais super-pouvoirs et bientôt même, une baguette magique! Sa mère, la vraie de vraie, était quand même une sacrée cachotière...

Bon, s’il s’empêchait toutefois de jouer les fanfarons, c’était plutôt parce qu’une certaine culpabilité l’envahissait désormais à l’idée de devoir abandonner à leur sort ses compagnons de jeux – quoique Philipp et Andrew avaient peut-être reçus un parchemin et la visite du maître sorcier eux aussi – et profitant de la petite scène de ménage en cours, la préadolescent se glissa sur la pointe des pieds jusqu’au berceau de Gerit, la petite Blitsch toute neuve. La fillette d’une vingtaine de mois dormait paisiblement, paumes ouvertes et bave sécheé au coin des lèvres.

« T'inquiète Gege, quand j'aurai appris à bien faire de la magie, je pourrais lui faire pousser des furoncles sur le nez chaque fois qu'elle osera nous crier dans les oreilles... »



« Bordel Blitsch, tu veux bien me dire ce qui t’as pris là ?
— Was ?¹ s’offusqua faussement le troisième année d’un ton tout de même cordial. Bon bon ça va, il y a faute, mais personne n’est tombé de son balai quoi, on ne va quand même pas suspendre le jeu à chaque misérable croc-en-manche si ? tempéra t-il en espérant que Gus (bien tapi dans sa veste sous sa forme compacte de mulot) n’en remettrais pas une couche lui aussi.
— Pas « encore » tombé tu veux dire ? Je te rappelle qu’on est entre nous là Enrick, alors si t’as un surplus d’agressivité ou de mordant à écouler, tu es libre d’aller passer tes nerfs au vestiaire. répliqua le premier poursuiveur en pointant arbitrairement un point fixe des estrades.
— Attends, tu… tu es sérieux ? insista le garçon, comme s’il ignorait que certaines limites avaient été atteintes.
— Parfaitement. »

Rageur, Enrick enserra le manche de son balai jusqu’à ce que la peau blême couvrant chacune de ses phalanges achève de se décolorer complètement. Non pas qu’il eût été particulièrement orgueilleux ou d’humeur acrimonieuse, mais cette manie qu’avait son aîné de mettre à mal chacune de ses interventions chatouillait tout de même légèrement son amour-propre. N’était-il pas en droit lui aussi de faire valoir son point? En plein match, les fautes se démultipliaient à la vitesse d’un troll en colère et ça aussi, il fallait pourtant bien qu’ils y soient préparés. Sous l’œil mauvais de son capitaine, le jeune migrant exécuta donc une dernière arabesque renversée avant de se laisser chuter librement jusqu’à ce que ses deux pieds rejoignent l’herbe laissée humide par l’absence de soleil dans l’aube naissante. Les entraînements matinaux n’avaient jamais figuré au registre de ses préférences en matière d’exercices, la fatigue ayant tôt-fait d’annihiler son caractère d’ordinaire accommodant.

Solidaire, il détestait tout de même passer pour le petit monstre de service et s’efforça donc d’accrocher un sourire sur sa mâchoire bien carré avant de fixer une dernière fois le ciel pour adresser une courbette symbolique à son commandant.

« VOILÀ! JE RENTRE À LA NICHE OH MON MAÎTRE! » hurla t-il à plein poumon, mais d’un ton pourtant déjà plus léger.

Les deux jeunes hommes avaient déjà bravé quelques tempêtes et si leur amour respectif des débats avait tendance à les opposer, ce n’était toujours que de façon temporaire. Du reste, Gus était heureux de reprendre la forme dans laquelle il était le plus à l’aise, quittant de son côté la « niche » qu’était la veste d’Herr Blitsch.



Confortablement installé dans un fauteuil de sa salle commune, Enrick avait posé ses pieds sur le dos de Gus, le colossal canin se trouvant sagement assoupi et pas dérangé le moins du monde de servir de pouf. Le sixième année pouvait sentir ses lunettes glisser tranquillement vers la bout de son nez alors qu’il relisait pour la troisième fois consécutive la même phrase de son ouvrage de botanique.

« Pfffff, ça suffit pour ce soir. »

C'était peine perdu, la fine équipe – comprendre ses deux meilleurs potes – ne tarderait pas à débarquer et le jeune homme n'avait déjà plus la tête aux révisions. Il ne regrettait pas de ne pas les avoir suivi cette fois dans leur escapade aussi nocturne qu'illicite, mais en attendant leur retour, il refusait de tuer le temps en étudiant. De toute façon, ses notes étaient bien suffisantes pour le cursus de sport magique qu'il envisageait d'intégré une fois ses ASPICs en poche.
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¹ : Quoi ?
² : Redis moi, qu'est-ce qui se passe avec cet enfant ?
³ : Bon sang